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Sexualité

Les aphrodisiaques naturels nous font-ils de l’effet ?

Par Stanislas Deve

Consommer du gingembre ou du chocolat noir a-t-il réellement un effet sur la libido ? Les aphrodisiaques naturels, d’origine végétale ou alimentaire, ont la réputation de stimuler le désir, augmenter les performances sexuelles voire l’intensité des orgasmes. Qu’en est-il vraiment ? Deux sexologues nous déconstruisent le mythe.

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Aurore Malet-Karas est docteure en neurosciences et sexologue. Dr Gilbert Bou Jaoudé est médecin sexologue et directeur médical de la clinique digitale Charles.co.

- Mieux Vivre Santé : Les aphrodisiaques naturels existent-ils ?

Dr Bou Jaoudé : Pendant très longtemps, les êtres humains en ont été persuadés. Ils ont utilisé des produits dits aphrodisiaques, soit pour la libido, la sexualité, la performance sexuelle, soit pour la fertilité. Avec l’arrivée de la science, on a mis de côté les produits naturels, remplacés par les médicaments. Depuis une quinzaine d’années, avec le développement de la phytothérapie, les aphrodisiaques naturels font leur retour. Les études ont montré que certaines plantes pouvaient s’avérer efficaces, notamment si elles sont prises en complément d’une thérapie. Comme le tribulus terrestris, qui augmente la production de testostérone naturelle (réputée chez les sportifs), le fenugrec, qui a une action hormonale susceptible de jouer sur la libido, ou encore la L-arginine, un oligo-élément, qui améliore la microcirculation sanguine, dont celle dans les organes génitaux. Mais comme pour d'autres traitements, il faut pouvoir répondre aux questions suivantes : quelle dose prendre, comment ça marche, de quelle façon on le prend, pour qui, à quel moment, etc. Les études dans ce domaine ne nous permettent pas encore d'avoir toutes ces réponses.

Dr Aurore Malet-Karas : Le terme fait beaucoup de bruit, mais tout dépend de ce qu’on appelle "aphrodisiaque" et de l’effet recherché. Il faut distinguer les aphrodisiaques qui renforcent l’érection masculine et les aphrodisiaques qui désinhibent et boostent la libido, le désir sexuel, que ce soit chez l’homme ou la femme. Il y a toujours eu dans les pharmacopées ancestrales, la médecine chinoise notamment, des plantes qui permettraient un boost érectile. Parce qu’elles ont une action très mécanique sur le système cardiovasculaire : en augmentant l’afflux sanguin et le retour veineux, des plantes comme le maca, le ginseng ou le clou de girofle vont, entre autres, aider l’érection. Il est essentiel de demander un avis médical avant de consommer ce type de produits, surtout si l’on a des facteurs de risque cardiovasculaire. Et attention à certains produits en vente libre, comme le bois bandé, dont on ignore souvent la composition et qui peuvent potentiellement mettre en danger.

- Quel est l’effet concret des plantes comparé aux médicaments ?

Dr Bou Jaoudé : Ce n’est pas une solution magique. Ce n'est pas dénué d’effets mais ça n’a pas d’effet majeur, contrairement aux médicaments. D’après les études, l’utilisation de plantes permet une amélioration chez une personne sur deux, soit 50 %. On sait aussi que chez les personnes qui ont de vrais facteurs de risque de problèmes d’érection (tabagisme, diabète, sclérose en plaques, prostate...), les plantes ont peu d'effets car l’organisme est trop "abîmé" et nécessite un traitement plus intensif. En revanche, pour quelqu’un qui se sent simplement "à plat" parce qu’il vit une période difficile (fatigue, stress...) ou parce qu'il fait moins de sport ou a pris un peu de poids, les plantes peuvent aider, le temps qu’il reprenne soin de lui, sur le plan physique et de son mental. Les phytothérapies sont parfois utilisées en complément aux traitements sexuels pharmacologiques, pour en augmenter certains effets ou apporter un complément d'effets sexuels.

Dr Aurore Malet-Karas : Concernant les aphrodisiaques naturels qui boosteraient la libido, il n’y a rien de probant scientifiquement, aucun produit n'a été validé comme réellement puissant. Il y aurait bien le gingembre, qui semble prometteur, mais on a besoin de plus de recul scientifique. S’il a un effet sur le désir sexuel, c’est peut-être notamment parce que le gingembre aide le système immunitaire à défendre le corps contre les agressions, et libère ainsi la "mémoire vive" de l’organisme pour penser à autre chose... comme la sexualité. Une plante, c’est en réalité plusieurs molécules et principes actifs qui vont avoir des effets sur tout l’organisme, et il est difficile de les isoler pour ne garder que ceux qui nous intéressent (comme le fait la médecine moderne). C’est pour cette raison qu’il peut être pertinent, en cas de problèmes érectiles ou d’absence totale de libido par exemple, d’aller consulter des médecins traditionnels chinois ou des naturopathes spécialisés qui vont déterminer le problème de santé qui en est à l’origine, et ce dont votre corps a besoin pour aller mieux.

- Certaines plantes dites aphrodisiaques, et même certains aliments comme le chocolat ou les huîtres boostent la production de dopamine ou de sérotonine... N’est-ce pas en réalité cette sensation décuplée de bonheur ou de sérénité qui bénéficie à la libido ?

Dr Bou Jaoudé : On peut en effet conseiller parfois à des patients des plantes qui, en fait, n’augmentent pas la libido : elles ont d’abord un effet d’apaisement mental. L’idée est ainsi d’agir sur l’anxiété ou la nervosité qui peut être à l’origine de la baisse de libido. Certains ont besoin d’un accélérateur, comme les plantes dont je parlais, quand d’autres ont besoin de lâcher le frein. D’où l’intérêt de savoir quel type de plantes on prend, un stimulant ou un apaisant. La liste des plantes apaisantes est longue : il y a la griffonia qui booste la sérotonine, la valériane qui aide le sommeil, le millepertuis (attention, celle-ci interagit avec presque tous les autres médicaments)...

- Certains aphrodisiaques jouent sur l'analogie avec le sexe masculin (corne de rhinocéros, asperge) ou le sexe féminin (huître, mandragore). Est-ce une autre manière de jouer sur le psychisme ?

Dr Bou Jaoudé : Exactement. Cela peut être aussi un aliment fort, épicé, qui chauffe comme le piment ou le gingembre. Mais on n’a aucune preuve scientifique que tous ces aliments fonctionnent, c’est purement placebo. D’une manière générale, 30 à 40 % des effets d’un médicament à visée sexuelle sont dus au placebo, selon les études. C’est loin d’être négligeable.

- Que manger pour booster sa sexualité ?

Dr Bou Jaoudé : Des études sur des rongeurs ont montré que le chocolat noir, l’avocat, les pistaches, la pastèque ou encore le jus d’oignon frais peuvent avoir des effets. Problème : cela ne fonctionne que si on en consomme une quantité astronomique ! Il faudrait manger deux ou trois pastèques par jour, ou boire un litre de jus d’oignon une à deux heures avant le rapport sexuel... Renversons plutôt la question : quels aliments éviter pour ne pas abîmer sa sexualité ? Tout ce qui est riche en sucres et en graisses, tout ce qui donne des difficultés à digérer, tout ce qui fait prendre du poids au niveau du ventre. En fait, il s’agit d’éviter tout ce qu’on évite d’habitude pour rester en bonne santé. Il faut également varier les fruits et légumes pour bénéficier de tous les avantages de phytothérapie naturellement présents dans les végétaux. Le meilleur aphrodisiaque naturel à ingérer, c’est une alimentation saine et variée. D’après la science, le meilleur régime pour une sexualité épanouie est le régime crétois ou méditerranéen, qui contient tout : beaucoup de légumes, de légumineuses et d’oléagineux, un peu de viande et de poisson... Et s’il y avait un aliment "miracle", ce serait la pomme : les femmes qui en mangent régulièrement (4 à 5 par semaine) ont des meilleurs scores de satisfaction sexuelle, selon des études.

Dr Aurore Malet-Karas : Avec le sommeil et l’activité physique, l’alimentation équilibrée est en effet un paramètre essentiel pour améliorer les conditions générales de sa santé, et donc son désir sexuel. Mais n’oublions pas qu’il y a des moyens de booster la libido sans passer par les aliments ou les plantes, notamment en communiquant mieux avec son ou sa partenaire, en stimulant l’imaginaire du couple, en travaillant la question du désir... Ce faisant, peut-être qu’on pourra aussi dépasser cette pression sociétale autour de l’érection, ce mythe universel du phallus qui pèse sur les hommes, parfois trop focalisés sur le coït alors que ce n’est pas forcément ce que les femmes attendent d’un rapport sexuel.