- Les radioligands ciblent les cellules cancéreuses avec une précision inédite, en délivrant une charge radioactive directement à l’intérieur.
- Ils sont déjà une réalité dans le cancer de la prostate avancé et les tumeurs neuroendocrines, avec des bénéfices cliniques démontrés.
- Ils ouvrent une nouvelle ère de la médecine nucléaire, mais leur accès reste limité et leur diffusion dépendra des infrastructures, du coût et des résultats des essais en cours.
Depuis plus de 50 ans, la médecine lutte contre le cancer avec deux armes principales : la chimiothérapie, qui agit dans tout l’organisme, et la radiothérapie, qui irradie une zone précise. Ces approches ont sauvé des millions de vies, mais elles ont aussi leurs limites : toxicité lourde, effets secondaires parfois insupportables, efficacité incomplète dans les cancers avancés. Aujourd’hui, une nouvelle voie s’ouvre : celle des radioligands, des médicaments qui associent la puissance de la radioactivité à la précision d’une thérapie ciblée. Une forme de "missile intelligent", capable d’aller chercher les cellules cancéreuses une par une et de les détruire, tout en épargnant au maximum les tissus sains.
Une micro bombe qui n'explose que dans les cellules cancéreuses
Pour comprendre, imaginons une clé et une serrure. La clé, c’est un ligand ou un anticorps, fabriqué pour reconnaître une molécule présente uniquement sur les cellules tumorales. La charge transportée par cette clé, c’est un isotope radioactif. Quand la clé trouve la serrure – c’est-à-dire quand le ligand se fixe à la cellule cancéreuse –, la charge radioactive est délivrée directement à l’intérieur. Comme une micro-bombe qui n’explose qu’au bon endroit.
Contrairement à la radiothérapie classique qui irradie toute une région, le radioligand agit au niveau microscopique, cellule par cellule. Et contrairement à la chimiothérapie qui circule partout dans le corps, il se concentre sur la tumeur.
La RIV, déjà une réalité pour certains cancers
Les radioligands ne sont pas de la science-fiction. Deux médicaments sont déjà utilisés en routine dans plusieurs pays, y compris en France. Dans le cancer de la prostate métastatique, une protéine particulière – appelée PSMA – est très présente à la surface des cellules tumorales. Les chercheurs ont créé un radioligand, PSMA-617, auquel on accroche un isotope radioactif, le lutécium-177. Des études ont montré que, chez des patients dont la maladie résistait aux traitements classiques, ce radioligand pouvait prolonger la survie et réduire les symptômes. Le médicament est désormais intégré dans certaines recommandations internationales.
Dans les tumeurs neuroendocrines qui sont des cancers rares, souvent difficiles à traiter, un radioligand qui combine un analogue de la somatostatine et du lutécium-177, a démontré sa capacité à ralentir la progression de la maladie et à améliorer la qualité de vie. Depuis 2017, il est approuvé en Europe et aux États-Unis.
Quels bénéfices pour les patients ?
Les radioligands offrent plusieurs bénéfices tangibles pour les patients. Leur efficacité est désormais prouvée : ils améliorent la survie dans des cancers où les options thérapeutiques étaient jusque-là limitées. Les études cliniques ont montré que ces traitements prolongent le temps sans progression de la maladie et augmentent les chances de réponse, y compris chez des malades en impasse thérapeutique.
Autre avantage majeur, la tolérance est souvent jugée meilleure que celle des chimiothérapies lourdes. Les effets secondaires existent, en particulier la fatigue, les nausées ou l’atteinte de la moelle osseuse, mais ils sont en général plus supportables que les toxicités classiques des protocoles cytotoxiques. À cela s’ajoute un bénéfice direct sur la qualité de vie : de nombreux patients décrivent une diminution des douleurs, une autonomie accrue et la possibilité de maintenir leurs activités quotidiennes plus longtemps.
Enfin, les radioligands s’inscrivent dans une logique de médecine personnalisée grâce au principe du théranostic. Avant de proposer le traitement, une imagerie TEP permet de vérifier que la tumeur exprime bien la cible du radioligand. Le patient n’est traité que si la cible est présente, garantissant une stratégie adaptée et réellement individualisée.
Quelles sont les limites actuelles de la RIV ?
Tout n’est pas réglé et la RIV pose encore plusieurs défis. Sa disponibilité reste limitée, car seuls les centres spécialisés de médecine nucléaire, disposant d’infrastructures adaptées, peuvent les administrer. La logistique est également complexe : les isotopes radioactifs ont une durée de vie courte et doivent être produits puis livrés rapidement, ce qui impose une organisation lourde et fragile.
Le coût est un autre obstacle. Chaque traitement se chiffre en dizaines de milliers d’euros, ce qui soulève la question de son financement et du remboursement à grande échelle, avec un risque d’inégalités d’accès selon les territoires. Enfin, même si leur tolérance est globalement meilleure que celle de la chimiothérapie, les radioligands ne sont pas dépourvus de toxicité. Ils exposent à un risque d’atteinte de la moelle osseuse, avec baisse des globules et des plaquettes, et peuvent entraîner une toxicité rénale ou digestive.
Des essais dans le cancer du sein, du rein et du cerveau
La recherche continue à un rythme soutenu. De nombreux essais cliniques explorent l’efficacité des radioligands dans d’autres types de cancers. Dans le cancer du sein, certains radioligands ciblent spécifiquement les récepteurs HER2. Dans le cancer du rein, les chercheurs explorent la cible CAIX. En hématologie, plusieurs projets portent sur les lymphomes ou le myélome multiple. Enfin, même les tumeurs cérébrales comme le glioblastome commencent à être abordées avec cette stratégie. Ces perspectives laissent entrevoir un élargissement considérable du champ d’application des radioligands. Ce qui est aujourd’hui une innovation réservée à quelques indications pourrait, demain, devenir un pilier de la cancérologie moderne.



