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Témoignages

Mois sans tabac, le bilan : pourquoi les femmes fument encore

Par Mathilde Debry

Depuis les années 2000, les femmes meurent en masse à cause du tabac. Pourtant, nombreuses sont celles qui continuent de fumer. Pourquoi Docteur les a rencontrées. 

marlo74 / istock

Le mois sans tabac se termine, et le bilan de cette troisième campagne nationale d’aide au sevrage est positif. Plus de 241 691 personnes s’y sont inscrites, soit une progression de 54% par rapport à 2017. L’application d’e-coaching conçue par la société francophone de tabacologie a par exemple été téléchargée près de 86 000 fois, et plus de 21 000 personnes ont eu recours au 39 89, la ligne téléphonique Tabac Info Service

Seule ombre au tableau, et pas des moindres : les femmes françaises, qui meurent de plus en plus de la cigarette. "Je pense que le mois sans tabac est une très bonne initiative, mais personnellement, je ne suis pas dépendante, donc je n’en ai pas besoin", témoigne Annette. Comme beaucoup de sa génération, cette sexagénaire a commencé à fumer à l’âge de 20 ans, pour le plaisir, et ne s’est jamais arrêtée depuis. Elle en grille une ou deux par jour, sans avoir vraiment conscience du danger. "L’important, c’est de ne pas cumuler les risques. Moi je ne fais que fumer, j’ai une alimentation saine, je ne bois pas et je ne prends pas de médicaments", raconte-t-elle, convaincue. 

Un effet générationnel

Pourtant, une seule cigarette par jour suffit à être dangereuse pour le cœur et les artères. Selon le dernier BEH, l’incidence de l’infarctus du myocarde a augmenté de 50% entre 2002 et 2015 chez les femmes de moins de 65 ans, contre 16% chez les hommes. Sur la même période, la mortalité par cancer du poumon et BPCO (une maladie pulmonaire, NDLR) a augmenté respectivement de 71% et 3% chez les femmes, alors qu’elle a diminué de 15% et 21% chez les hommes.

Des chiffres dramatiques, qui s’expliquent par un effet générationnel. En France, comme dans l’ensemble des pays riches, les femmes ont commencé à fumer bien après les hommes. Le sexe féminin ne subit donc que maintenant le gros des conséquences de cette addiction. "J’ai fumé ma première cigarette à 12 ans sur le balcon de chez moi, en cachette, avec ma meilleure amie. Quand j’étais étudiante à la fac, je consommais un paquet par jour, minimum. Ça a duré au moins sept ans. A l’époque, c’était très facile de fumer, dans les bars, au boulot, etc… J’ai réussi à beaucoup diminuer depuis, sans substitut, car je ne suis pas accro, mais je continue à fumer une clope sociale de temps en temps, pour le geste", raconte Peggy, 45 ans, directrice commerciale. "Comme beaucoup de mes copines, j’ai continué à fumer un tout petit peu pendant ma grossesse. Leurs enfants sont en pleine forme, mais moi, mon fils a fait un retard de croissance intra-utérin (1) et il est né beaucoup trop tôt. C’est un grand prématuré. Même si les médecins m’ont dit que ce n’était pas lié au tabagisme, si j’avais une autre grossesse, je ne recommencerai pas", raconte-t-elle. 

"La première crainte des fumeuses est de grossir"

Grossesse, prise de poids, cancer du sein et de l’utérus, anxiété, dépression, ménopause… Chez les femmes, le sevrage tabagique et la prévention ne soulèvent pas les mêmes enjeux que chez les hommes. A cause du chamboulement hormonal, il est par exemple quasiment impossible d’arrêter la cigarette une fois que l’on est enceinte, 16,9% des Françaises fumant toujours au troisième mois de grossesse.

"La première crainte des fumeuses est de grossir, et elles ont raison. En moyenne, une femme prend un kilo de plus qu’un homme lorsqu’elle arrête le tabac", explique le dr Anne-Laurence Le Faou, chercheuse et responsable du centre d’addictologie de l’HEGP. "Comme les femmes fumeuses ont beaucoup plus de caractéristiques anxio-dépressives, elles ont aussi peur d’avoir une baisse de leur humeur ou d’être très anxieuses sans cigarette, notamment à l’approche de la ménopause. Il faut essayer de trouver et de consacrer des moyens pour répondre à ces besoins spécifiques, comme des ateliers de gestion du stress ou un suivi diététique par exemple (2)", insiste-t-elle. Idem pour les messages de prévention publique, qui devraient être, selon la spécialiste, bien plus genrés. "Par rapport aux hommes, les femmes acceptent davantage de se faire aider pour arrêter", abonde l’addictologue Bertrand Dautzenberg. 

"Pas question de consommer du tabac si je tombe enceinte"

Au fil des générations, les campagnes d’information ont quand même fait du chemin. Chez Adeline, qui fume six cigarettes par jour à 22 ans depuis presque dix ans, "pas question de consommer du tabac si je tombe enceinte. Je sais que ma mère le faisait quand elle m’attendait, mais moi, c’est ma merde, je ne veux pas la transmettre à mon bébé". Même son de cloche chez Alexia, 43 ans : "j’ai bien conscience des dangers du tabac. J’ai arrêté de fumer pendant dix ans, quand je suis tombée enceinte de ma fille. Là j’ai repris à cause de mon divorce. Je suis très surprise d’ailleurs, parce que je pensais que c’était complètement sorti de ma vie. J’imaginais fumer une clope ou deux, le temps de l’épreuve, et je suis retombée à un paquet par jour", raconte cette cadre, le visage tiré, qui paye au prix fort d’avoir commencé dès l’âge de 11 ans, impactant irrémédiablement son cerveau. Confronté très tôt à la nicotine, notre système de récompense cérébral prend la mauvaise habitude de l'associer à un bien-être. 

Alors qu’il a été constaté entre 2016 et 2017 une chute très importante du tabagisme quotidien avec un million de fumeurs en moins, le tabagisme n’a pas diminué chez les femmes de 45-54 ans, à la différence de toutes les autres tranches d’âge. Ce qui n’étonnent ni Annette, ni Peggy, ni Adeline, et encore moins Alexia. Toutes comptent, dans leur entourage proche, au moins une femme qui fume.

1) Fumer augmente statistiquement ce risque.

2) La prise de poids est un facteur de rechute (avec les troubles anxio-dépressifs).