ACCUEIL > QUESTION D'ACTU > Ebola : la science au chevet des malades

Recherche accélérée

Ebola : la science au chevet des malades

Par Anne-Laure Lebrun

AP/SIPA

Depuis 2 ans, l'Afrique de l'Ouest est frappée par une épidémie d'Ebola dont personne n'avait prévu qu'elle ferait autant de ravages. Alors que depuis la découverte du virus en 1976, la recherche était au point mort, en quelques mois des dizaines de laboratoires dans le monde ont dû lancer des essais. Un travail dans l'urgence qui a contraint les scientifiques à bouleverser leurs habitudes de travail.

Depuis décembre 2013, le virus Ebola fait régner la terreur en Afrique de l’Ouest. En à peine 2 ans, plus de 28 600 hommes, femmes et enfants ont été infectés et 11 315 en sont morts. Des milliers de soignants, locaux et expatriés, ont tout fait pour sauver un maximum de vies. Mais, ils ont vite été dépassés, et parfois eux aussi contaminés.

Alors qu’elle est connue depuis 1976, la fièvre hémorragique à virus Ebola n’a toujours aucun traitement ou vaccin. Jusqu’alors, les 25 épidémies qui ont frappé l’Afrique centrale se sont vite essoufflées en faisant peu de victimes. Le développement de traitements et d’outils diagnostics n’était donc pas une priorité en infectiologie. Mais cette fois, les scientifiques ont été mis au pied du mur. Pour enrayer l’épidémie, le monde de la recherche a dû se mobiliser en urgence et sortir de sa zone de confort.

Méconnaissance et inaction

Mais avant de lancer les essais cliniques, il a fallu identifier l’ennemi. « En Afrique de l’Ouest, c’était la première fois que ce virus apparaissait. Alors évidemment, il y avait un manque de connaissances et de préparation pour faire face à cette maladie », raconte le Dr Bertrand Draguez, directeur médical chez Médecins Sans Frontières. Les infrastructures sanitaires fragiles et le système de santé mis a mal par des années de conflits armés ont également été des obstacles supplémentaires. « Si vous prenez un schéma typique d’une épidémie Ebola, comme au Congo, on mettait deux mois pour identifier le virus. Ici, en Afrique de l’Ouest, cela a pris 3 mois, ce qui est beaucoup trop long », ajoute-t-il.

Pendant ces 3 mois, les médecins sur place pensent que les patients souffrent de maladies dont la symptomatologie ressemble à celle d’Ebola : malaria, choléra ou fièvre hémorragique de Lassa endémiques dans la région.

Ecoutez...
Bertrand Draguez, directeur médical chez Médecins Sans Frontières : « Depuis 40 ans, il n’y a pas eu d’effort de la communauté scientifique pour le développement de molécules thérapeutiques, de vaccins ou même de tests diagnostics rapides. Parce que c’est une maladie plutôt considérée comme une arme bactériologique plutôt qu’une maladie qui touche les gens. »

 

Ce n’est que le 21 mars 2014 que le laboratoire P4 Jean Mérieux / Inserm de Lyon isole le virus Ebola, à partir d’échantillons sanguins envoyés par MSF. Deux jours plus tard, le ministère de la santé guinéen informe officiellement l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qu’une flambée épidémique sévit dans le pays. A l’époque l’OMS assure que l’épidémie s’écroulera sur elle-même comme elle le fait depuis toujours car « le virus ne voyage pas ». Pourtant, l’épidémie s’est déjà propagé au Liberia et en Sierra Leone.

Une grave erreur d’appréciation commise par les pays africains mais aussi occidentaux, comme la France. « Nous connaissions très peu Ebola. Donc nous avons eu, comme l’OMS, une phase de banalisation qui a duré un mois et demi à deux mois, confie le Pr Jean-François Delfraissy, coordinateur interministériel de la lutte contre Ebola. Nous avons vraiment commencé à nous inquiéter et à nous dire que c’était grave début juin 2014 ». Pourtant, MSF avait sonné l’alerte depuis déjà plusieurs semaines. Il faudra attendre le 8 août 2014 pour que l’OMS proclame cette épidémie « urgence internationale de santé publique » et présente enfin un plan d’action.

Des essais cliniques accélérés

Des mois perdus qui ne seront jamais rattrapés. A partir de cette déclaration, de nombreux Etats du monde entier envoient en toute hâte des soignants, du matériel pour construire les centres de traitement et les structures d’isolement. Mais, l’espoir se fonde sur les essais cliniques.

Habituellement, la mise au point d’un médicament peut prendre une dizaine d’années. Un délai inimaginable face à un taux de mortalité qui frôle les 80 % dans certaines régions. Le Comité d’éthique de l’OMS se dit alors favorable à l’utilisation de molécules expérimentales jamais utilisées chez l’homme. Objectif : monter des essais cliniques en quelques mois. Du jamais vu. Les protocoles sont simplifiés et le délai entre les différentes étapes réduit considérablement.

Tous azimuts, les protocoles de recherche sont alors lancés : en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone. Dans une même ville, les patients ont parfois le choix entre 2 ou 3 essais cliniques différents. Une mobilisation rendue possible grâce à la coopération entre les instituts de recherche et les ONG.

Ecoutez...
Jean-François Delfraissy, coordinateur interministériel de la lutte contre Ebola : « Il faut des professionnels de l’organisation de la recherche dans ce type de situation où nous sommes obligés d’être dans l’urgence. Néanmoins, il y a un respect des règles éthiques et des processus d’évaluation. »

 

« L’idée n’était pas de trouver le médicament miracle, explique le Pr Jean-François Delfraissy. Nous voulions trouver un premier signal d’efficacité puis combiner les médicaments car nous pensons qu’une bithérapie, voire une trithérapie serait plus efficace ».

En parallèle des essais chez l’homme, les médicaments expérimentaux et les vaccins candidats sont étudiés chez l’animal, en particulier le primate. Une première. Tout doit être fait en simultané car les chercheurs et les médecins manquent d’informations sur ces traitements et doivent sans cesse les réévaluer.

Pour tous les chercheurs et médecins sur le terrain, conduire des essais cliniques en si peu de temps est une nouvelle expérience. «C’était une aventure extraordinaire et passionnante. Chacun s’est engagé à 100 %. C’était aussi très stressant, il n’y avait pas de week-end, pas de soirées… Mais face à cette situation nous n’avions pas le choix, affirme le Pr France Mentre, professeur de biostatistiques et co-responsable d’un essai thérapeutique mené en Guinée.

Parmi tous les essais lancés, plusieurs se sont arrêtés précocement faute de patients. L’épidémie touchant à sa fin, les malades se font rares. « Ce qui est une bonne nouvelle pour nous médecins », se réjouit le Dr Bertrand Draguez.

Pourtant, l’aventure est loin d’être terminée. Bien que l’épidémie touche à sa fin, l’Afrique de l’Ouest reste sur ses gardes. A maintes reprises, les 3 pays les plus touchés pensaient être débarrassés du virus. Mais à chaque fois de nouvelles résurgences ont été observées.


Les laboratoires P4 débordés

Le virus Ebola fait partie des microorganismes les plus dangereux au monde, dits de classe 4. Il est même considéré comme une arme potentielle du bioterrorisme. Seuls les laboratoires de haute sécurité peuvent l’étudier. Il en existe une vingtaine dans le monde, dont le laboratoire P4 Inserm-Jean Mérieux de Lyon.

Mais aujourd’hui, les demandes d’expérimentations sur Ebola sont telles que les laboratoires sont asphyxiés. « Certaines équipes françaises comme la nôtre passent par Lyon, d’autres envoient leur échantillons en Allemagne. Alors que sans vouloir l’isoler, nous pourrions très bien l’étudier dans un laboratoire P3, assure le Pr Eric Delaporte, directeur de recherche à l’IRD. La législation française est trop contraignante et limite l’avancée de la recherche. »


Lire la suite de notre enquête : 

Ebola : quand les vieilles molécules ressortent du placard

Neuf mois après, les survivants d'Ebola restent porteurs du virus