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Interactions méconnues

Alcool et médicaments : des liaisons dangereuses largement sous-estimées

Par Suzanne Tellier

Les interactions entre alcool et médicaments sont assez peu connues des patients, qui associent souvent les deux, selon une étude.

JAUBERT/SIPA

On s’en doute bien : absorber de l’alcool et des médicaments est une mauvaise idée. Et pourtant, nombreux sont ceux qui, régulièrement, associent les deux. De fait, l’information sur les interactions entre molécules thérapeutiques et éthanol semble mal comprise.

L’une des rares études à avoir récemment sondé ce phénomène a eu lieu aux Etats-Unis. Ses résultats seront diffusés dans le numéro de février de la revue Alcoholism : Clinical and Experimental Research. Les auteurs ont épluché les données nationales de 26 500 citoyens américains. Et selon leurs conclusions, près d’un consommateur d’alcool sur deux (42%) prendrait des médicaments incompatibles avec l’éthanol.

Des dangers méconnus
En France, 13% de la population boit quotidiennement de l’alcool ; 70% des 11-75 ans sont des consommateurs occasionnels, selon l’OFDT. « Associer alcool et médicaments est un phénomène très courant, explique Philippe Castera, médecin généraliste à Bordeaux et spécialiste des conduites à risques. D’une part, les alcolo-dépendants ont tendance à consommer plus de médicaments que les autres, notamment les anxiolytiques. D’autre part, il y a une méconnaissance des dangers liés aux interactions médicamenteuses ».

Une méconnaissance que partagent les consommateurs, les prescripteurs et les scientifiques. En première ligne, les médecins n’interrogent pas toujours leurs patients sur leur usage de l’alcool, a fortiori lorsqu’il est modéré. II arrive souvent qu’ils prescrivent des médicaments contre-indiqués sans effectuer de bilan de consommation. « L’alcool est une pratique banalisée, considérée comme normale. Les médecins peuvent craindre d’être intrusifs et de rompre l’alliance thérapeutique en posant ces questions », poursuit Philippe Castera, qui estime que le pharmacien a aussi un rôle à jouer, notamment pour toutes les molécules disponibles sans ordonnance.

Ecoutez Philippe Castera, médecin généraliste à Bordeaux : « Faute de temps, les médecins renouvellent les ordonnances sans vérifier la consommation d’alcool du patient. Le repérage est sous-effectué ».



La recherche défaillante
Il faut dire que la recherche n’aide pas les prescripteurs. Peu d’essais ont véritablement identifié les interactions des médicaments avec l’alcool. Au final, seule une quinzaine de molécules sont contre-indiquées. Pour les autres, les recommandations, que l’on trouve sur le site de prescription Vidal.fr ou sur les notices des boîtes, relèvent d’une science plutôt approximative.

« Il s’agit de bon sens, explique Philippe Beaune, chef du service biochimie. Par précaution, on part du principe que certains médicaments sont moins efficaces si l’on consomme de l’alcool avec. Ces molécules ont pu être testées in vitro, mais rarement in vivo. En fait, on dispose de très peu d’informations sur leur interaction avec l’alcool ».

Ecoutez Philippe Beaune, chef du service biochimie de l'hôpital Georges Pompidou : « La recherche sur l’alcool a peu de moyens et les essais sont difficiles à mener - il faut faire boire 1L de whisky à un sujet après lui avoir donné un médicament ! ».




Paracétamol, somnifères…
L’alcool perturbe le métabolisme de certains médicaments en monopolisant les mêmes enzymes. Une fois ingérées, les deux molécules entrent en compétition dans l’organisme. L’éthanol peut ainsi limiter l’absorption d’un comprimé et accélérer son élimination par l’organisme. Du coup, les effets de ce médicament seront affaiblis.

A l’inverse, l’alcool peut également retarder l’élimination de molécules qui restent donc plus longtemps dans l’organisme. Les effets sont alors amplifiés, y compris les plus indésirables. Les effets d’une molécule peuvent être perturbés même après un long intervalle entre la consommation et la prise.

Certaines molécules, parfois très courantes, ont de très fortes interactions avec l’alcool. C’est le cas du paracétamol, dont la prise régulière associée à une consommation quotidienne d’alcool, peut engendrer des lésions irréversibles au foie. Globalement, l’alcool est à bannir en cas de consommation de somnifères, de calmants, et de médicaments contre les infections mycosiques et l’excès de cholestérol (Méthotrexate, Acitrétine).