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L'interview de la semaine

Bigorexie : "Accro au sport, je dois en faire 5 heures par jour sinon je me sens mal"

Par Mathilde Debry

A l’heure où les salles ré-ouvrent et les événements sportifs reprennent, attention à ne pas tomber dans l’excès. Servane Heudiard, célibataire endurcie de 48 ans, témoigne sur son addiction au sport, récemment qualifiée par l’OMS de "bigorexie".

mel-nik / istock.
Reconnue comme une maladie en 2011 par l'OMS, la bigorexie toucherait 15% des personnes pratiquant le sport au quotidien.
Dans les cas les plus graves, cette addiction peut mener à la dépression, voire au suicide.

- Pourquoi docteur - A partir de quand votre rapport au sport est-il devenu problématique ?

Servane Heudiard - J’ai commencé à ne plus pouvoir m’en passer au début de ma vie professionnelle. J’avais 24 ans. J’ai d’ailleurs cherché un travail indépendant à ce moment-là, dans l’édition, qui me permettait de faire du sport tous les jours. J’ai volontairement exclu tout travail salarié.

- Qu’est-ce qui a déclenché votre addiction au sport ?

Il n’y a pas eu d’élément déclencheur, mon addiction au sport s’est installée petit à petit.

- Comment se manifeste cette addiction ?

Quand je fais du sport, cela me détend et me ressource. Mais dès que je passe une journée sans activité physique, je ne suis pas bien. Je me sens fébrile, tendue, nerveuse, stressée…

Même si je ne le fais plus aujourd’hui, je me suis aussi beaucoup mise en danger : j’ai eu trois accidents de vélo, avec une fracture du bassin, une double fracture du coude et une double fracture du fémur. Je ne peux plus courir à cause de tous ces traumatismes.

- Quels sports pratiquez-vous ?

Du vélo et de l’aviron. Plus jeune, je faisais aussi de la course à pied.

- Combien de temps faites-vous du sport chaque jour ?

Au début de mon addiction, je faisais deux heures de sport par jour. Au plus fort de ma dépendance, j’ai eu des pics à plus de six heures d’activité physique quotidiennes. Aujourd’hui, je fais 5 heures de sport par jour ; la perspective des différents confinements m’ont poussée à augmenter la durée de mes sorties.

- Comment faites-vous pour faire autant de sport tous les jours, en plus de votre travail ?

Je dors très peu (environ 4 heures par nuit), donc cela me laisse du temps. Et comme je travaille de chez moi, je peux commencer mes séances de sport très tôt, vers 5 heures du matin.  

- Vous faites-vous aider par un psychologue ?

Non, je gère cela toute seule. Je me sens bien dans ma vie comme ça, surtout depuis que j’ai abandonné mes comportements dangereux.

- Votre bigorexie est-elle liée à votre poids ou votre apparence physique ?

Oui, surement. Quand j’étais adolescente, j’avais peur de grossir, et plus globalement, de ne pas être aimée.

- Faire beaucoup de sport améliore-t-il l’image que vous avez de vous-même ?

Oui. C’est le seul moment où j’ai l’impression d’avoir un minimum de valeur.

- Votre addiction au sport a-t-elle un impact sur votre vie quotidienne ?

La bigorexie ne m’empêche pas de bien travailler. En revanche, je n’ai pas beaucoup de vie sociale, hormis les connaissances des milieux sportifs dans lesquels j’évolue. Je ne sors pas au restaurant ou au cinéma par exemple, car je préfère utiliser ce temps pour faire du sport. Cela impacte aussi ma famille, car je la vois moins.

- Connaissez-vous d’autres sportifs autour de vous qui souffrent de bigorexie ?

Je connais un paquet de personnes qui souffrent de bigorexie dans mon entourage, même s’ils me soutiennent qu’ils ne sont pas comme moi. Il y aurait environ 15% de sportifs amateurs qui seraient accro à l’exercice physique.

- A partir de quand selon vous faut-il tirer la sonnette d’alarme ?

Quand faire du sport devient dangereux et nuisible, ou que cela impacte trop l’entourage. Certains divorcent à cause de la bigorexie.

- Est-ce qu’il faudrait améliorer la prise en charge de la bigorexie en France ?

Il faudrait que les gens en parlent plus. Les médecins sont régulièrement consultés pour des addictions à l’alcool ou aux jeux par exemple, mais jamais par des sportifs qui veulent se sevrer. Le sport à une image très positive en France, qui rend difficile la mise en garde de l’entourage et la prise de conscience de la personne dépendante.

Pour en savoir plus, lisez le livre de Servane Heudiard, publiée aux Éditions Amphora : "Bigorexie, le sport ma prison sans barreaux".