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Journées de la schizophrénie

Dans la tête d'un schizophrène pour mieux déstigmatiser la maladie

Par Dr Eric Du Perret

Ce sont les journées de la Schizophrénie : 600 000 à 1 million d’habitants de notre pays en souffrent ou un malade sur deux hospitalisé dans un service de psychiatrie en est atteint. C’est certainement pour cela que la schizophrénie est la maladie psychiatrique la plus connue mais c'est aussi la moins comprise. On dit que c’est la maladie de la communication ! En tout cas, ce n'est pas une maladie du dédoublement de la personnalité ni de la violence.

STUDIOGRANDOUEST

Les associations de proches de personnes souffrant de schizophrénie veulent changer le regard du grand public sur cette maladie en organisant une semaine de sensibilisation qui aura lieu du 17 au 24 mars en 2018. Une nouveauté en 2018, une vidéo  semaine de sensibilisation. Cette année, une vidéo invite chacun à se mettre à la place d'un schizophrène.

Car, la médecine hésite souvent à porter ce diagnostic, d’abord parce qu’il n’est pas facile, ensuite parce que le pronostic est souvent plutôt grave, mais surtout parce que la maladie est stigmatisante.

Plus le traitement est précoce, meilleurs seront les résultats.

Pourtant, plus le traitement est précoce, mieux il est suivi et meilleurs en seront les résultats. D’où la nécessité, à défaut d’en comprendre les causes ou le mécanisme, de savoir en reconnaître les premiers signes. Or, on a longtemps simplifié la schizophrénie en parlant de dédoublement de la personnalité. C’est en fait beaucoup plus complexe.

Le plus spectaculaire des symptômes est incontestablement un épisode de délire, que l’on appelle d’ailleurs bouffée délirante, ou épisode psychotique aigu. Lorsque survient une de ces crises, toujours impressionnantes pour l’entourage, il faut savoir que, dans 25 % des cas, ce délire cessera complètement et ne se reproduira plus jamais, mais que ce n’est que chez 20 % des malades, après plusieurs épisodes délirants, qu’on pourra parler de schizophrénie établie.

Diagnostic précoce difficile

Malheureusement, ces crises ne sont ni le vrai début de la maladie, qui commence plus tôt avec des signes déficitaires, ni le mode le plus fréquent de début de cette maladie, car le diagnostic serait alors facile. Dans la majorité des cas, il existe des signes avant-coureurs que le psychiatre saurait facilement reconnaître, mais que la médecine générale, l’entourage et à fortiori le malade, ne détectent pas.

Il s’agit d’hallucinations auditives – on entend des voix – ou visuelles, d’idées délirantes souvent de persécution – on se sent poursuivi – ou mystiques. Il n’est pas rare, en effet, que le schizophrène se sente investi d’un pouvoir divin. Les signes peuvent être encore plus difficiles à détecter car négatifs ou déficitaires, comme un manque d’énergie, un émoussement affectif, un retrait social ou une pauvreté de pensée. Et là, vous comprendrez que cela peut correspondre à bons nombres de reproches que l’on peut entendre tous les jours.

Ce n’est pas simple, mais cela vaudrait la peine, car il se passe en moyenne deux ans entre les premiers symptômes et l’évocation du diagnostic.

Repérer c’est parler de sa survenue chez les adolescents

Le message essentiel c'est de l'évoquer chez un adolescent chez qui se produit une vraie rupture. Tout adolescent qui se met à mal travailler, fume du cannabis de façon régulière et se renferme sur lui-même ne souffre pas toujours de cette crise d'adolescence déplaisante, mais que les parents acceptent au nom de la construction de la personnalité de leur enfant. Ce peut-être aussi, les premières manifestations de la maladie et il faut savoir l'évoquer si cela correspond à un vrai changement et une vraie rupture de personnalité.

Cela ressemble au portrait de bon nombre d’adolescents, ce qui pourrait affoler pas mal de gens. Mais, pas si on insiste sur la notion de rupture et sur la brutalité de l’apparition de cette crise. La crise traditionnelle de l’adolescence, celle qui ne pose pas de problèmes, est habituellement assez progressive.Le recours à la consultation spécialisée doit donc être la règle au moindre doute, même si c’est hélas un réflexe trop rare.

Avec l’objection fréquente d’évoquer la maladie mentale chez un enfant qui n’en souffre pas. En disant cela, on stigmatise l'enfant et on diabolise le psychiatre? Ce dernier est pourtant celui qui peut rassurer tout le monde, parents et enfants, ou commencer un traitement qui plus il est précoce, plus à de chance à rendre cette maladie curable. Ici, les derniers chiffres évoquent 50% de vie acceptable, certes avec une diminution de rang social, une vie acceptable… et dénuée de violence

Le schizophrène n'est pas violent

On parle beaucoup, depuis quelques années, de schizophrénie et de violence, en raison de meurtres particulièrement sanglants et spectaculaires, ainsi que de la non-responsabilité pénale que peut conférer ce diagnostic devant les juges…

Les psychiatres veulent dédramatiser ce sujet. Il ne faut pas croire que le contact quotidien avec des malades mentaux, comme les schizophrènes, banalise la perception des psychiatres sur la dangerosité de ces malades. Mais l'immense majorité des malades n'est pas violente. C'est plutôt la société qui est violente avec les malades en les stigmatisant et en les excluant.

Quelques chiffres : Il y a en France, 1% de la population qui souffre de schizophrénie. 600 000 malades ! Si la violence était réellement la règle, on serait  devant un immense problème de société. Or, 4% des crimes de sang sont commis par des schizophrènes, ce qui signifie toutefois que ces malades sont 4 fois plus dangereux que la population normale. Mais il faut ajouter que 90% d’entre eux ne commettent jamais aucune violence.

Intérêt du traitement bien suivi

S’ils ne sont naturellement pas violents, qu’est-ce qui fait passer certains malades à l’acte de façon aussi spectaculaire ? Ce sont certaines hallucinations et certains délires qui les conduisent à devoir réaliser des actes qui répondent à la logique de ce délire. Les psychiatres sont donc souvent à même de percevoir la dangerosité du délire et à le contrôler avec une panoplie de médicaments... à condition que le malade prenne son traitement.

Dans la schizophrénie, une équipe de chercheur a montré très récemment, sur un suivi de 10 ans, que poursuivre un traitement antipsychotique d'entretien au moins durant les 3 années suivant un premier épisode psychotique diminue presque de moitié le risque de rechute, ainsi que la dégradation fonctionnelle à long terme (les symptômes négatifs).

Et on comprend bien ce bénéfice quand on sait qu'un épisode psychotique aigu correspond à une "tempête cytokinique dans le cerveau, c'est-à-dire à une décharge de neuromédiateurs et de protéines de l'inflammation. Comme une gigantesque surtension dans un circuit électrique, chaque crise laisse des séquelles. Le problème essentiel est donc bien, après le diagnostic et le traitement précoces, le suivi du traitement ("l'observance"), mais il existe des traitement injectable et retard pour les malades non-observants.

Un décalage du malade par rapport à la société

La schizophrénie est une maladie de la communication, ce qui dans un monde qui est régie par celle-ci, fait que le schizophrène souffre probablement plus qu’autrefois et de façon différente. 

Les schizophrènes ont les mêmes rêves que les autres, voire des rêves encore plus beau, mais ils ne peuvent tout simplement pas les réaliser. Les psychiatres  dénoncent la surmédiatisation de la violence qui est différente de la violence spectacle que l’on voudrait bien décrire. Elle n’est en fait que la projection à l’extérieur de leur violence interne.

Fréquente mais mystérieuse, médiatique mais méconnue, la schizophrénie doit être découverte le plus tôt possible. C’est le travail du psychiatre, encore faut-il consulter.