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Pr Michel Bénézech

Médecin-empoisonneur : des narcissiques qui se prennent pour Dieu

Par Anne-Laure Lebrun

ENTRETIEN. Un anesthésiste a été mis en examen pour empoisonnement. Un cas loin d'être rare à en croire le psychiatre et criminologue Michel Bénézech. 

sudok1/epictura

Un anesthésiste de Besançon est soupçonné d’avoir empoisonné 7 patients, dont deux mortellement, entre 2008 et 2017. Ses victimes âgées de 37 à 53 ans étaient venues se faire opérer à la Clinique Saint-Vincent, où exerçait jusqu'à présent le praticien, et à la Polyclinique de Franche-Comté. Ces empoisonnements présumés ont touché des patients « qui n'avaient pas de prédispositions particulières », a indiqué Christine De Curraize, la vice-procureure de Besançon.

Alors que le médecin crie son innocence, la justice affirme avoir en sa possession des « indices graves et concordants ». Pour la vice-procureur, le chef d’homicide involontaire ne pouvait pas être retenu. « Vu les doses administrées, ça ne pouvait pas être accidentel », a-t-elle précisé.

Le cas de ce praticien est loin d’être unique. Récemment au Japon, une enquête a été ouverte pour la mort de 46 personnes par empoisonnement dans un même hôpital. En Angleterre, un infirmier a été condamné pour avoir assassiner des patients. Pour le Pr Michel Bénézech, psychiatre et criminologue, ces tueurs agissent très souvent par compassion et sont persuadés d’avoir le droit de vie ou de mort sur leurs victimes.

 

Y-a-t-il plus d’empoisonneurs chez les soignants ?
Michel Bénézech : Nous n’avons pas de statistiques mais disons qu’il y a plus d’opportunités. Les médecins qui empoisonnent leurs patients, leur famille ou les deux, c’est classique. Le plus célèbre est le Dr Palmer dans l’histoire anglaise. Il y a une victimologie particulière. Pour la plupart, ce sont des meurtres euthanasiques. Ce sont souvent des gens hospitalisés qui font l’objet de soins et qui ont eu des relations antérieures avec leur agresseur. Le propre de ces crimes est que la victime ne peut pas se défendre. 

Les instruments du crime utilisés sont le plus souvent l’injection de substances toxiques qui à dose normale sont thérapeutiques mais qui à dose excessive sont mortelles comme toutes drogues efficaces. Les investigations sont souvent déclenchées parce que dans la patientèle du médecin ou professionnel de santé, il y a un accroissement anormal de décès et la pratique montre souvent que ce type de personnalités empoisonneurs ont des antécédents dans d’autres établissements.

 

 Ecoutez l'intégralité de l'entretien : 

 

 

Existe-t-il un profil de soignants tueurs ?
Michel Bénézech : Non il n’y a pas de profil particulier. Ce sont des meurtres par domination. Cela fait partie d’une catégorie particulière dans la classification américaine des troubles mentaux, le Crime classification manual, que l’on appelle les "mercy/hero homicide". Ce sont des gens qui tuent apparemment pour des raisons compassionnelles, par pitié croyant aider des patients en phase terminale. Les soignants pensent aider des patients à mourir parce qu'ils estiment qu'il n'y a plus rien à faire pour eux, et que la mort est préférable à leurs souffrances. Ce sont des médecins qui provoquent des détresses graves chez leurs patients pour avoir, si je puis dire, le mérite de les ressusciter. 

Mais en réalité ce sont des crimes par domination. Ces médecins pensent être les plus forts, se prennent pour Dieu, et comme Dieu ils peuvent donner la vie et la mort. Et à côté de ces meurtres pseudo-compassionnelles, il y en a  qui le font par perversité, c'est-à-dire pour le plaisir sadique de faire le mal. Reste cette idée de domination. Donc le profil psychologique fait état d’un narcissisme. En revanche, ils ne souffrent pas particulièrement de troubles mentaux pas plus que l’ensemble des criminels.

 

Quelles sont leurs motivations ?
Michel Bénézech : Lorsque les malades sont en fin de vie, ou gravement atteints, c’est de la compassion. Il pense leur rendre service, leur éviter des souffrances. C’est la pitié pour la victime mais la véritable motivation est la domination. Evidemment, il y a aussi les mobiles bêtement financiers. Beaucoup de médecins tueurs dans l’histoire tuaient leur famille, ou leurs patients, uniquement parce qu’ils y gagnaient des avantages, ils recevaient de l’argent etc. Ou bien ils avaient commis des actes graves dont avait eu connaissance leur victime et les tuaient pour éviter un témoin gênant.