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Moustique transgénique « Aedes aegypti »

Dengue : le Brésil parie sur le moustique génétiquement modifié

Par Julian Prial

Conçu par une entreprise britannique, le moustique OGM "OX513A" doit servir à lutter contre la propagation de la dengue. Malgré la polémique, le Brésil devrait le commercialiser.

Luis Soto/AP/SIPA

Le « génétiquement modifié » est au coeur de l'actualité. Alors que l'Assemblée nationale française a adopté mardi une proposition de loi interdisant la culture du maïs transgénique en France, le Brésil, lui, donne sa chance à un produit génétiquement modifié. L'heureux élu est un moustique dont le but est d'éradiquer à long terme la menace sanitaire de la dengue, très présente sur le continent américain. 

Plus de 200 000 cas de dengue au Brésil en 2013
A plus de deux ans des Jeux Olympiques d'été de 2016 qui auront lieu à Rio de Janeiro, la Commission brésilienne en charge des OGM (CNTBio) a approuvé par 16 voix contre une, la dissémination dans l’environnement du moustique transgénique « Aedes aegypti » (OX513A).
Pour les autorités locales, l'objectif annoncé est de lutter contre la dengue, une infection virale potentiellement mortelle transmise à l’être humain par la piqûre de moustiques femelles.
Rien qu’au premier trimestre de 2013, plus de 200 000 cas ont été rapportés aux autorités brésiliennes. C'est à cette période de l'année qu'a lieu le pic de la maladie. Ainsi, lors de la Coupe du Monde de football qui débute dans 55 jours, le risque sera bien réel au Brésil. Et c'est sur danger de grande ampleur qu'alertait récemment le Pr Simon Hay, épidémiologiste au Département de Zoologie de l’université d’Oxford dans un éditorial de la revue Nature.
Dans ce contexte, la société britannique Oxitech a créé "OX513A", une souche d'Aedes ægypti. Pour ne plus que cette espèce transmette la maladie aux humains, on a modifié son patrimoine génétique. Un de ces gènes perturbateurs rend ainsi ces moustiques dépendants d'un antibiotique :  sans tétracycline, les moustiques génétiquement modifiés ne peuvent pas survivre. L’usine où sont produits les moustiques détruit ensuite les œufs femelles et ne relâche que les mâles. Ces derniers qui en plus ne piquent pas sont ensuite censés s’accoupler dans la nature avec des femelles dites "sauvages", qui n'ont pas été modifiées. Comme leur progéniture est privée de l’antibiotique, elle n’a que très peu de chance de survie (3 %). Résultat : l’espèce s’éteint progressivement. Ne reste plus qu’à convaincre l'Agence nationale de surveillance sanitaire (Anvisa) pour valider cette décision et qu'elle entre en vigueur. 

Une efficacité à lutter contre la dengue contestée
Lors d'une première étude sur le terrain, menée aux Îles Caïman, les moustiques transformés se sont bien accouplés avec les femelles, ont observé les scientifiques. Mais le protocole de cet essai, s’appuyant sur un trop faible nombre d’individus libérés, n’a pas permis de démontrer la réduction de la population native. Des extrapolations statistiques ont toutefois permis aux chercheurs d’Oxitech d’estimer le volume efficace des libérations d’OX513A mâles à 5 000 individus par hectare et par semaine. L'entreprise conclut donc que l’efficacité de cette stratégie a été démontrée, notamment grâce à un essai en cours au Brésil, mais les résultats n’ont pas encore été publiés.
Face à ce flou, l'association écologiste brésilienne n'a pas tardé à réagir. Elle pointe notamment l’absence de données et le risque de survie des progénitures porteuses des mutations en cas de pollution de l’environnement. Enfin, l’extinction d’une espèce de moustique pourrait favoriser un moustique concurrent, le moustique tigre (aedes albopictus), lui aussi vecteur des virus de la dengue et du chikungunya.

Dans l'attente comment se protéger ?
Dans son éditorial, Simon Hay détaillait des solutions agressives à mettre en place afin de protéger les spectateurs de la dengue, lors d'événements d'ampleur mondiale. Pour cela, deux moyens radicaux étaient préconisés : attaquer les moustiques adultes avec des nuages d’aérosol et assécher les lieux de reproduction pour éviter une nouvelle génération de moustiques. Il faudra aussi réduire le potentiel de transmission de la maladie.
Au Brésil, ce sont les personnes elles-mêmes qui devront prendre des mesures de prévention, insiste le Pr Hay. Il leur est par exemple conseillé de choisir des logements équipés de moustiquaires aux fenêtres et aux bouches d’aération. L’utilisation d’insecticides à l’intérieur est aussi recommandée.
En outre, le corps doit être couvert au maximum pour ne pas attirer les moustiques. Vêtements et peau doivent ainsi être couverts de répulsifs. Il faut enfin redoubler de vigilance tôt le matin et en fin d’après-midi, périodes où le risque d’être piqué est le plus élevé.