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Couchers de soleil rouges et orangés

Les toiles de Turner en disent long sur la pollution au 19 ème siècle

Par Julian Prial

Selon une étude, les ciels peints par l'anglais William Turner sont révélateurs des éruptions volcaniques  et donc de la pollution de son temps. 

Capture d'écran vidéo YouTube (Didon construisant Carthage, William Turner)

Quand la peinture nous en dit plus sur la pollution. C'est le mérite des tableaux du peintre anglais William Turner. Selon une étude publiée ce mardi dans la revue spécialisée Atmospheric Chemistry and Physics le « peintre de la lumière », précurseur de l'impressionnisme, a tout au long du 19ème siècle donné de multiples renseignements sur la qualité de l'air, sans même le savoir. 
Dans cette étude menée par Christos Zerefos, spécialiste des sciences atmosphériques à l'Académie d'Athènes, l'équipe de chercheurs a passé au crible, tous les tableaux de grands maîtres au cours des cinq derniers siècles. L'objectif, détecter la présence de cendres, de gaz volcaniques ou d'autres polluants en suspension dans l'air grâce à l'analyse des teintes des paysages de centaines de tableaux.

Des couchers de soleil rouges et orangés
Après inspection des toiles, les scientifiques soulignent que les couchers de soleil aux tons rougeoyants de William Turner (1775-1851), célèbre pour sa maîtrise des couleurs, sont particulièrement révélateurs de la cendre et des gaz émis par des éruptions volcaniques majeures. A titre d'exemple, ils prennent l'éruption volcanique du Tambora (Indonésie) en 1815, dont Turner a été probablement le témoin éloigné, depuis le continent européen, sans même le savoir.
Cette éruption, la plus meurtrière de l'histoire (92 000 victimes environ), fut si importante que les cendres propulsées atteignirent plus de 40 kilomètres d'altitude, et firent aussi plusieurs fois le tour de la Terre. Une précision importante puisque la recherche actuelle estime que des dizaines de milliers d'autres individus ont péri des répercussions sur le climat de cette catastrophe.

L'oeuvre qui symbolise le mieux cette pollution atmosphérique est sans doute « Didon construisant Carthage », une toile de Turner actuellement exposée au National Gallery de Londres. Le spectateur peut y percevoir un immense « voile », qui contribua à une « année sans été » avec une chute des températures généralisée (0,5°C à 1,0°C en moyenne dans l'hémisphère nord) et des récoltes en nette baisse. Cela est visible dans le coucher de soleil rouge et orangé que représente cette peinture.

Le vert et le rouge révélateuers des aérolsols volcaniques
Ce constat est le même pour l'éruption du Krakatoa indonésien en 1883, où la pollution de l'air est là aussi parfaitement lisible dans les paysages du peintre français Edgar Degas lors des deux années qui ont suivi cet accident climatique. « Dans la coloration des couchers de soleil, c'est la façon dont le cerveau perçoit les verts et les rouges qui renferme des informations importantes sur l'environnement », explique ainsi le Pr Christos Zerefos de l'Union européenne des géosciences. 

Comme cela est mentionné dans l'étude grecque, les particules en suspension dans l'air ont la faculté de dévier une partie des rayons du soleil, modifiant les nuances du spectre lumineux visible par l'oeil humain et du même coup celui retranscrit sur la toile par les peintres.
« Nous avons découvert que le rapport entre la proportion de rouges et la proportion de verts dans les crépuscules peints par les grands maîtres correspond bien avec la quantité d'aérosols volcaniques dans l'atmosphère à un moment donné, quel que soit le peintre ou son style », affirme ainsi le chercheur.


Une méthode d'analyse validée scientifiquement

Enfin, pour confirmer leur théorie, l'équipe note que ces observations sont cohérentes avec celles effectuées directement sur le lieu des éruptions ou l'analyse des couches de glace contemporaines de ces événements.
Pour confirmer la validité de leur modèle, les chercheurs ont en effet demandé à un coloriste réputé de peindre des couchers de soleil pendant et après le passage d'un nuage de poussières venu du Sahara au-dessus de l'île grecque d'Hydra, en juin 2010.
Ce peintre, Panayiotis Tetsis, n'avait pas été averti du passage de ce nuage de poussières. Pourtant, là encore, « l'estimation de la teneur en aérosols découlant de l'analyse colorimétrique de ses paysages correspond bien aux prélèvements atmosphériques effectués durant le phénomène » ont observé ces scientifiques.
« C'est une autre façon d'exploiter les informations environnementales sur l'atmosphère dans des endroits et des siècles où les instruments de mesure n'étaient pas disponibles », conclut le Pr Zerefos.