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Psychologie

Harcèlement scolaire : "L’empathie ne s’enseigne pas avec un cours théorique d’une heure"

Par Geneviève Andrianaly

À l’occasion de la journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire, la fondatrice de l’association Educ’At, Marie-Pierre Lescure, nous explique comment aider les enfants à développer leur empathie dès leur plus jeune âge en favorisant les actes de solidarité.

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Selon la fondatrice de l’association Educ’AT, Marie-Pierre Lescure, le harcèlement scolaire est un "problème systémique", qui est aujourd’hui favorisé par le fait que la société "va de plus en plus mal." Il représente une externalisation des souffrances.
Elle pense que "des cours d’empathie" enseignés dans les écoles n’auront pas un "réel impact" sur les enfants, s’ils restent sous forme de leçons, comme pouvait l’être les cours d’instruction civique, ou bien qu’ils soient diffusés trop ponctuellement dans les temps.
La méthode Tatou Kompry, mise en place par l’association, vise à inciter les élèves à reprendre confiance en eux, à savoir communiquer avec les autres, mais également à prendre soin les uns des autres.

Face aux drames liés au harcèlement scolaire qui se sont succédés ces derniers mois, notamment le suicide de Lucas (dont les quatre harceleurs poursuivis ont été relaxés en appel), Lindsay ou encore Nicolas, le gouvernement a dévoilé un plan interministériel qui se décline en trois axes : "100 % prévention, 100 % détection et 100 % solutions." Fin septembre, le ministre de l'Éducation nationale, Gabriel Attal, qui a confié s’être fait harceler au collège en raison de son "orientation sexuelle supposée à l'époque", a déclaré vouloir s’inspirer du modèle danois. Il envisage d’intégrer aux programmes scolaires "des cours d’empathie" chaque semaine à partir de la rentrée 2024. Une mesure décriée par certains professionnels de santé.

Harcèlement scolaire : "Je doute que ces cours d'empathie aient un réel impact sur les enfants"

"Au Danemark, le climat social est différent. Les parents optent pour une éducation non-violente, où il n’y pas de place pour la fessée qui a été officiellement abolie en 97, sont ouverts d’esprit et dans l’acceptation des émotions. Les enfants se sentent ainsi écoutés. C’est pour cela que ce processus fonctionne, étant relayé au sein même des familles. En France, le climat est bien différent, je doute ainsi que ces ateliers aient un réel impact sur les enfants. L’empathie ne s’enseigne pas avec un cours théorique d’une heure. Il faut que ce soit vécu avec des exercices précis pour apprendre aux enfants à être en paix avec eux-mêmes et expérimenter la vie de classe pour qu’ils apprennent à vivre avec les autres, intégrer et développer leur empathie qui peut, en général, être facilement remobilisée à cet âge", explique Marie-Pierre Lescure, fondatrice, psychopédagogue et directrice pédagogique de l’association Educ’At.

La méthode Tatou Kompry "permet aux élèves d’avoir conscience qu’ils font du mal aux autres"

En revanche, elle trouve que la grille d’auto-évaluation anonyme, visant à évaluer si les élèves des écoles primaires, des collèges et des lycées sont susceptibles d’être victimes de harcèlement, est une "idée intéressante". "Avant de mettre en place notre méthode Tatou Kompry, qui a pu être testée sur l’année scolaire 2022/2023 dans trois écoles primaires en France grâce à la Fondation Ramsay Santé, on pose aussi des questions aux enfants pour faire un constat et déterminer à quel niveau on doit commencer notre travail", explique la psychopédagogue.

Cette méthode, dont les acteurs sont les enfants mais aussi les parents et les enseignants volontaires, vise à développer un savoir être et un savoir vivre ensemble chez les enfants de 6 à 11 ans. "Le module sur la connaissance de soi incite les élèves à valoriser leurs compétences et leur potentiel pour s’aimer plus individuellement et avoir confiance en eux. Ils apprennent à parler de leurs émotions et à écouter celles des autres, lors d’un exercice, par exemple, appelé 'le cercle de la paix'. Le module sur les relations avec les autres pousse les enfants à communiquer, se soutenir, trouver des solutions pour résoudre des problèmes collectifs. On décrypte également la problématique du harcèlement, ce qui permet aux élèves d’avoir conscience qu’ils font du mal aux autres et éviter que le groupe fasse 'caisse de résonance' aux propos et actes du harceleur.Les enfants témoins ne sont pas de cette manière influencés par le harceleur et vont même être susceptibles d’ intervenir pour qu’il arrête."

Anxiété, dépression, précarité, réseaux sociaux : "les enfants sont très perméables à ces problèmes"

Marie-Pierre Lescure tient à rappeler que le harcèlement, qui s’inscrit dans le temps et se manifeste par des violences physiques et/ou psychologiques, est un "problème systémique". D’après elle, il ne faut pas le considérer de manière isolée, soit "le harceleur contre le harcelé". "Les deux rencontrent les mêmes problèmes, notamment un manque de confiance et d’estime de soi, qui se traduisent de façon différente. Dans tous les cas, le harceleur ne se sent pas bien et a besoin de rejeter son mal-être sur une personne plus fragile pour ne pas se préoccuper de sa problématique et chercher à se valoriser. C’est un phénomène naturel chez les êtres humains, qui nous soulage, nous donne l'illusion d'être plus fort mais ne nous aide pas à aller mieux. À l’école, les enfants, qui se rencontrent, ont sont parfois porteurs de traumatismes et ont des problèmes familiaux, qui les perturbent et les font souffrir. Cela va forcément avoir des conséquences sur leurs relations avec leurs camarades", précise-t-elle.

La fondatrice de l’association signale que le climat actuel favorise le harcèlement. "La société va de plus en plus mal, il y a de plus en plus de cas d’anxiété et de dépression, une précarité plus prononcée dans les familles, une utilisation excessive des réseaux sociaux… Ça n’aide pas les enfants, qui sont très perméables à ces problèmes, à aller bien !"

"Il faut que les parents l’aident à apprendre à accepter et gérer ses émotions afin de renforcer son estime de soi"

Selon la directrice pédagogique, le harcèlement scolaire a de lourdes conséquences à long terme. "Durant l’enfance ou l’adolescence, cela peut entraîner un décrochage de l’école et des activités sociales, des performances scolaires, et un isolement, qui partent du manque de confiance en soi qui s’accentue au fil des années. Les enfants harcelés deviennent parfois les harceleurs, ce qui ne représente pas un signe de mieux être, puisque la problématique n’a pas changé, seule son expression est différente". Au niveau des symptômes, les élèves harcelés peuvent aussi présenter des maux de tête et de ventre, une faiblesse du système immunitaire, des évanouissements, des troubles du sommeil et du comportement alimentaire, une anxiété, une dépression ainsi que des comportements suicidaires. Si les parents remarquent un changement de comportement, ils doivent s’inquiéter, car cela peut être un signe de harcèlement scolaire.

S’ils constatent que le cas de harcèlement est avéré, la psychopédagogue recommande de consulter un thérapeute. "Cela peut aider l'enfant à retrouver un peu de force mais ce n’est pas suffisant. Il faut que les parents l’écoutent, l’aident à apprendre à accepter et gérer ses émotions afin de renforcer son estime de soi et lui donner des outils pour pouvoir se relever face aux difficultés rencontrées. Cela va l’aider à s’affirmer et à ne pas se laisser marcher sur les pieds." Autre conseil : accompagner son enfant à recréer un lien avec les autres pour se sentir entouré et soutenu. "Un élève entouré d’amis n’est jamais victime de harcèlement !"

Harcèlement scolaire : "la victime est dans une posture où elle ne fixe pas de limites et se laisse envahir"

Pour faire face au harcèlement scolaire, le gouvernement a adopté une mesure qui exige que le harceleur soit transféré dans une autre école. "Cette idée n’a pas trop de sens. Elle permet de soulager la victime et décharger l’école sur le moment, mais elle ne va pas aider la personne harcelée, qui n’a pas changé de posture et peut être de nouveau harcelée plus tard, par exemple au travail. En général, la victime est dans une posture où elle ne fixe pas de limites et se laisse envahir. En clair, un manque d’estime et d’amour de soi les amène à accepter cette intrusion. Dans le harcèlement, la posture a beaucoup d’importance. Dans la cour de récréation, ce ne sont pas souvent les enfants de petite taille ou qui ont les cheveux oranges qui se font harcelés, mais ceux qui n’ont pas la capacité de prendre soin d’eux", détaille Marie-Pierre Lescure.

Elle estime aussi que transférer les élèves harceleurs dans un autre établissement ne va pas changer leur comportement. "Ces derniers vont harceler d’autres enfants dans leur nouvelle école, car ils auront toujours besoin de rejeter leur mal-être. Il ne faut pas essayer d’éteindre le feu, mais faire en sorte d’éviter qu’il s’allume, comme nous le faisons dans le cadre de la méthode Tatou Kompry."