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Comment le port du masque modifie nos interactions humaines

Par Raphaëlle de Tappie

Pour le sociologue David Le Breton, le port du masque et les distances physiques imposés par l'épidémie de Covid-19 gomment notre individualité et mettent à mal les relations humaines.

kzenon/iStock

La crise sanitaire actuelle bouleverse notre rapport aux autres, non seulement à cause de la distance physique imposée entre les personnes, mais aussi à cause du port du masque. Pour David Le Breton, professeur de sociologie et d'anthropologie à l'université de Strasbourg et auteur des ouvrages, Des Visages. Un essai d'anthropologie (éditions Métailié, 1992) et de Marcher la vie. Un art tranquille du bonheur (à paraître le 28 mai aux éditions Métailié), cet outil, désormais nécessaire pour limiter la propagation de la Covid-19, gomme notre individualité et met à mal les relations humaines. Associé à la distance imposée entre les êtres, il renforce l’idée que l’autre est un danger potentiel. 

Le visage, c'est le lieu de la reconnaissance mutuelle, c'est le lieu aussi de notre extrême singularité, ce qui nous distingue les uns les autres. Ce sont nos traits, nos spécificités. Et là, avec le masque, on se retrouve tous uniformisés. Bien entendu, certains vont esthétiser leur masque mais on devient quelque peu anonyme. Cela abîme pas mal les relations sociales et le plaisir qu'on a à échanger avec les autres”, explique-t-il ainsi à Franceinfo dans une interview parue le 14 mai.

Pas évident en effet de soutenir une discussion normale entre gens masqués. Les expressions faciales deviennent invisibles et l’interaction plus difficile, surtout lors d’échanges avec des personnes que l’on peu connaît peu tels que des collègues ou des commerçants. 

Le masque, apanage du bandit

C’est pourquoi, David Le Breton s’imagine mal reprendre les cours à la rentrée “avec un masque devant une assemblée de masques”.  “Il y a une relation de connivence avec les élèves (…) Et là, le masque fait que non. On devient des personnages qui ne sont pas complètement anonymes mais on peut moins s'identifier à l'autre quand il nous parle dissimulé derrière un masque”, argumente-t-il, rappelant au passage que dans la société occidentale, au contraire de la culture asiatique où le port du masque est monnaie courante, l’individu prime sur le groupe. “Plus une société accorde de l’importance à l’individualité, plus grandit la valeur du visage”, explique-t-il dans une tribune parue dans Le Monde le 11 mai.

Sans visage pour l’identifier, n’importe qui a la possibilité de faire n’importe quoi, la confiance en sera sans doute ébranlée. Un individu masqué devient invisible. Nul ne saurait le reconnaître. Le front et les yeux ne suffisent pas pour l’identifier dans une foule où chacun porte le même masque”, poursuit-il.

Rappelons par ailleurs que dans l’imaginaire collectif, le masque est l’apanage du bandit. En porter un pourrait-il donner cours à tout et n’importe quoi, faciliter les rapports de forces et les incivilités ? “L’effacement du visage grâce à ce stratagème entraîne un sentiment propice à la transgression, au transfert de personnalité. Il libère des contraintes de l’identité et laisse s’épanouir les tentations que l’individu a coutume de refouler ou qu’il découvre à la faveur de cette expérience où il n’a plus de comptes à rendre à son visage. Il n’a plus à craindre de ne pouvoir se regarder en face et répondre de ses actes puisqu’il dérobe son visage à son attention et à celle des autres”, écrit André Le Breton.

Une fois la menace du virus écartée, “la poignée de main reprendra ses droits”

Aussi, l’universitaire en est certain : dès que cela sera possible, le masque sera “l’une des premières choses que l’on liquidera”. Ça et les distances physiques bien sûr.

Les gestes barrière mettent à distance le corps de l’autre en rendant suspecte une présence trop rapprochée, et davantage encore la poignée de main ou la bise, qui imposent un contact”, rappelle-t-il. Si les Français doivent encore rester prudents, “une fois la menace disparue, la poignée de main reprendra ses droits”, assure l’expert.  La culture de la bise pourrait bien en revanche être définitivement compromise, dans la mesure où celle-ci “impose une proximité des visages et une difficulté plus grande à effacer les traces du contact en cas de crainte d’une éventuelle contagion”.