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Gélules ou coloscopie, au choix

Dépression : la greffe fécale, le futur des antidépresseurs?

Par Raphaëlle de Tappie

Au Canada, deux équipes de chercheurs étudient la transplantation fécale dans le traitement de la dépression. Une Université compte la pratiquer via coloscopie tandis que la seconde utilisera des gélules contenant des matières fécales à administrer oralement aux patients. 

champja/iStock

Plus de 300 millions de personnes souffriraient de dépression dans le monde, soit une augmentation de plus de 18 % de 2005 à 2015. En France, cette maladie progresse également. Entre 2010 et 2017, elle aurait grimpé de deux points, affectant particulièrement les femmes, les moins de 45 ans et les plus précaires, selon un rapport paru il y a un an. De nombreux chercheurs travaillent donc à trouver le remède le plus efficace possible à ce mal qui ronge nos sociétés. Et d’après des chercheurs canadiens, le futur des traitements se trouverait dans la transplantation fécale, une pratique qui consiste à prélever de la flore intestinale chez un donneur sain pour l’implanter chez le patient. Une première équipe de l’Université de Toronto compte la pratiquer par coloscopie tandis que de la seconde, de l’Université de Calgary utilisera des gélules contenant des matières fécales, rapportait la Canadian Broadcasting Corporation (CBC) le 10 octobre.

"Vous avez plus de récepteurs de sérotonine dans votre système gastro-intestinal que dans votre cerveau", explique Valerie Taylor, professeur et directrice au département de psychiatrie de l'Université de Calgary à The Homestretch. Elle a donc voulu examiner la relation entre la façon dont les bonnes bactéries d’une personne, ajoutées au système gastro-intestinal d’une autre, peuvent influencer sur son humeur. "Beaucoup de ces bactéries produisent directement bon nombre des mêmes substances chimiques, appelées neurotransmetteurs, que nous essayons d'influencer avec des médicaments comme la sérotonine, la dopamine et l'acide gamma aminobutyrique (GABA). Celles-ci semblent déficientes chez les personnes souffrant de dépression, de troubles anxieux et d'autres maladies mentales", poursuit-elle, citée par CBC. 

Pour mener leurs expérimentations, les deux équipes de chercheurs ont choisi des souris. En administrant les déjections d’un humain déprimé aux animaux, ils ont remarqué que ces derniers commençaient eux-aussi à développer des symptômes dépressifs. Ils ont pu faire la même constatation avec l’anxiété et l’autisme. "Ça commence à illustrer qu'il y a une certaine causalité. Vous pouvez transférer certaines de ces maladies, alors nous espérons que vous pouvez aussi transférer le mieux-être", explique Valérie Taylor.

Quelques soient les résultats, "ça va être utile"

Il s’agit donc maintenant de vérifier si, à l’inverse, la dépression et l’anxiété pourraient être traitées grâce à la matière fécale d’une personne atteinte. Les deux universités commencent une nouvelle phase de leur étude sur les humains. A Calgary, "les selles sont traitées, emballées, mises sous forme de gélules et ingérées", précise Taylor. "Vous pouvez commander ces pilules sur Internet mais ne le faites pas", met-elle en garde.

Quels que soient les résultats des essais cliniques, l’utilisation des deux techniques de transplantation, par coloscopie ou gélules à ingérer, fera avancer la recherche puisqu’aucune étude n’a encore jamais comparé l’efficacité de ces deux voies d’administration.  "Quoi qu'il en soit, ça va être utile", s’enthousiasme donc Taylor.

"Que l'effet de la transplantation fécale soit probant ou non, les conclusions des travaux seront quoi qu'il en soit intéressants. Si l'on voit que quelque chose se passe, on saura qu'il est peut-être profitable d'aller creuser plus profondément le rôle du microbiote comme traitement potentiel de ces maladies. Si au contraire on ne voit aucun effet, voire une aggravation, ce sera là aussi important dans la mesure où l'on saura que ce n'est peut-être pas la bonne piste", renchérit Harry Sokol, hépato-gastro-entérologue à l'hôpital Saint-Antoine (AP-HP), en marge de l’étude, à LCI.

Le microbiote intestinal sous le microscope de nombreux chercheurs  

Ce n’est pas la première fois qu’un lien est établi entre microbiote intestinal et santé mentale. En février, des chercheurs belges ont analysé les selles de 1 054 personnes et ont ainsi pu identifier des groupes spécifiques de micro-organismes en corrélation positive ou négative avec la santé mentale. "La relation entre le métabolisme microbien intestinal et la santé mentale est un sujet controversé dans la recherche sur les microbiotes. L'idée que les métabolites microbiens puissent interagir avec notre cerveau - et donc avec notre comportement et nos sentiments - est intrigante, mais la communication entre le cerveau et les micro-organismes intestinaux a surtout été explorée dans des modèles animaux, la recherche humaine étant à la traîne", expliquait leur étude.

Depuis quelques années, le microbiote intéresse de plus en plus les scientifiques et de nombreuses recherches ont été faites sur le sujet. Il a notamment été montré qu’un microbiote altéré était impliqué dans le cancer du côlon. Des scientifiques ont par ailleurs mis ont mis en lumière son rôle dans la force musculaire, l’influence sur le vaccin contre la grippe, l’immunothérapie ou encore l’obésité. "Il probablement impliqué dans beaucoup de maladies, mais que son rôle n'a de toute évidence pas toujours le même poids", explique Harry Sokol  "Moins le microbiote pèsera dans une maladie, moins il y a de chances que la transplantation fécale induise des effets spectaculaires", précise l'hépato-gastro-entérologue.

La transplantation fécale de plus en plus pratiquée

Quant à la transplantation fécale, les chercheurs canadiens ne sont pas les seuls à travailler dessus. Récemment, d’autres scientifiques ont montré son efficacité dans le traitement de l’infection à Clostridium difficile, infection intestinale provoquée par un bacille. "Notre étude montre qu’en moyenne, chacun des patients évite 17 jours d’hospitalisation annuels après la transplantation fécale", notent les chercheurs. Au-delà des jours d’hospitalisation évités, la méthode permettrait également de faire des économies importantes : les frais de santé sont passés en moyenne de 56 400 € à 32 800 € pour chacun des malades.

L’efficacité des greffes fécales a également été démontrée dans une étude portant sur 73 adultes atteints de colite ulcéreuse légère à modérée. Alors que certains ont reçu une greffe de microbiote fécal et d’autres leurs propres selles (placebo) via une coloscopie, suivie de deux lavements, les chercheurs ont découvert que la greffe administrée en anaérobiose (dans un milieu exempt d'oxygène) pouvait entraîner un taux de rémission de 32%.

Le microbiote intestinal est composé d’une multitude de micro-organismes situés dans le tube digestif. Il compte environ 40 000 milliards de bactéries dont l’organisation est très équilibrée et contribue au bon fonctionnement du système digestif et du système immunitaire. Trop de médicaments, un stress prolongé ou encore une mauvaise alimentation peuvent fragiliser cet équilibre. Nous devenons alors plus vulnérables face aux mauvaises bactéries.