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Zones rurales ou banlieues

Déserts médicaux : faut-il obliger les médecins à s’y installer ?

Par Afsané Sabouhi

Les incitations financières ne suffisent pas à attirer les jeunes médecins dans les zones désertifiées. Pour la commission sénatoriale, il est urgent de passer à la contrainte.

RICLAFE/SIPA

C’est LE casus belli qui empoisonne les relations entre le législateur et le corps médical : on ne touche pas à la liberté d’installation qui permet à chaque nouveau diplômé d’exercer la médecine où il le souhaite sur le territoire français. Pourtant, face à la problématique de plus en plus aiguë des déserts médicaux, contraindre les médecins à s’installer là où la population a besoin d’eux est une solution de plus en plus évoquée. « Les seules incitations ne suffisent plus, il est urgent de réguler l’installation des médecins », réclament les sénateurs de la commission en charge de l’aménagement du territoire. Leur rapport publié en février dernier et intitulé Déserts médicaux : agir vraiment sera débattu ce mardi au Sénat en présence de la ministre de la Santé.

Parmi les 16 propositions de ce rapport, l’une d’elle préconise le conventionnement sélectif. Autrement dit, si un médecin décidait de s’installer dans une zone considérée, par l’Agence régionale de santé, comme déjà suffisamment pourvue en médecins de sa spécialité, il ne pourrait pas être conventionné par l’Assurance maladie. Ses futurs patients ne seraient donc pas du tout remboursés ni pour les consultations ni pour les médicaments prescrits. A l’inverse, un médecin qui accepterait de venir exercer dans une zone sous-dotée bénéficierait d’aides financières et de déductions fiscales. Ce type de mécanisme de régulation des installations a déjà fait ses preuves chez les infirmières libérales par exemple.


Ecoutez Hervé Maurey
, sénateur centriste de l’Eure et auteur du rapport sur les déserts médicaux : « Le nombre d’infirmières a augmenté de 33% dans les zones sous-dotées. Pourquoi ne pas faire de même avec les médecins ? » 



Dans une perspective de plus long terme, les sénateurs préconisent également d’élargir les origines sociales et géographiques des étudiants en médecine. S’il a grandi en zone rurale ou en banlieue, un jeune médecin aura probablement plus envie de retourner s’y installer. Or la sélection drastique à l’issue de la 1e année de médecine favorise aujourd’hui plutôt le profil du jeune urbain issu d’un milieu social favorisé. L’Institut Montaigne, un think tank qui a rendu public en mai un rapport consacré à cette problématique de répartition des professionnels de santé sur le territoire, confirme la recommandation des sénateurs en citant les exemples des déserts médicaux du Canada et de l’Australie.

 

Ecoutez Angèle Malâtre-Lansac, directrice des études à l’Institut Montaigne : « Plus que les incitations financières, c’est la connaissance d’un territoire et le fait d’y avoir ses attaches qui poussent un jeune médecin à s’installer. »


Une prépa banlieue dans le 93
C’est exactement le pari qu’a fait la faculté de médecine de l’Université Paris 13. Plutôt que de tenter vainement d’attirer des médecins dans les cités de Seine-Saint-Denis, la faculté aide depuis la rentrée 2012 les bacheliers du 93 à accéder aux études de médecine grâce à une année préparatoire. Initiation aux disciplines médicales,  tout est fait pour que ces jeunes puissent réussir à la fin de l’année suivante le concours très sélectif de fin de 1e année de médecine. Rendez-vous en juin 2014 pour savoir si cette « prépa banlieue » unique en France à porté ses fruits. A Science Po Paris, où ce type de politique de discrimination positive est à l’œuvre depuis 2001, avec l’admission sur dossier des bacheliers de ZEP, la part d’enfants d’ouvriers et d’employés est passée de 3% en 1998 à 12% en 2011.


« Mais ce type de dispositif ne donnera des médecins prêts à s’installer que dans 10 ans, lorsqu’ils auront terminé leurs études. En attendant, il faut agir », insiste le sénateur Hervé Maurey. Et rapidement, car la vague de départs en retraite des médecins de la génération du baby boom est déjà bien amorcée. « Si rien n’est fait maintenant, dans quelques années, il faudra recourir aux obligations de services et contraindre les jeunes médecins d’aller s’installer 2 ou 3 ans dans les déserts médicaux en début de carrière », prévient Hervé Maurey.


Les propositions des sénateurs, notamment le conventionnement sélectif, sont évoquées depuis de nombreuses années. Mais elles suscitent une opposition farouche des syndicats médicaux, des étudiants en médecine et des nombreux parlementaires médecins quelque soit leur couleur politique. « Il n’y a pas d’école pour leurs enfants ni de travail pour leur conjoint. Pourquoi voulez-vous forcer les médecins à aller s’installer dans des zones que mêmes les services publics ont désertées ? », interrogent ces représentants du corps médical.

Ecoutez Hervé Maurey : « C’est faux, les déserts médicaux ne sont pas du tout des zones totalement désertes de toute infrastructure ! »



Les sénateurs de la commission en charge de l’aménagement du territoire espèrent donc que le débat organisé ce jour au Sénat fasse évoluer la position de Marisol Touraine. Pour le moment, la ministre continue de miser sur l’incitation et rejette la possibilité de contraindre les médecins à l’installation. « La situation des déserts médicaux est arrivée au point où l’intérêt général doit prévaloir sur toute autre considération. Quitte à avoir un gouvernement impopulaire, qu’il en profite pour prendre des mesures utiles et courageuses », tacle le sénateur centriste.
Les étudiants en médecine ont toutefois un atout dans leur manche qui ferait douter même la plus impopulaire des ministres de la Santé : si les internes descendent dans la rue, c’est l’hôpital tout entier qui s’arrête de tourner.