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Justice

Maladie de Lyme « chronique » : 59 patients dénoncent des conflits d'intérêt …qui sont généraux

Par Anaïs Col avec le Dr Axel de Saint-Cricq

Une soixantaine de personnes atteintes de la maladie de Lyme ont déposé plainte au tribunal correctionnel de Paris jeudi, pour dénoncer d'éventuels "conflits d'intérêt" pouvant être à l'origine de l'inefficacité des tests de de dépistage. Une plainte qui doit être replacée dans son contexte.

Bork/Epictura
MOTS-CLÉS :

Cinquante-neuf personnes, qui se déclarent atteintes de la « maladie de Lyme chronique », ont déposé plainte contre X jeudi, auprès du pôle santé publique du tribunal correctionnel de Paris, une plainte collective inédite en France.

Dénonçant la fiabilité des tests de dépistage, qui sous-estimeraient selon eux les diagnostics et exposeraient les malades à être diagnostiqués trop tard, au stade des séquelles douloureuses et invalidantes, ils ciblent tous les organismes de santé publique parties prenantes dans la validation de ces tests : les laboratoires pharmaceutiques, l'Agence Nationale de Médicaments et produits de Santé (ANMS), ainsi que le Centre National de Références de Strasbourg, qui selon eux seraient englués dans les conflits d’intérêt.

Des conflits d’intérêt généraux

Les avocats des plaignants, Julien Fouray et Catherine Faivre, évoquent de possibles « conflits d'intérêts » entre les laboratoires et les autorités sanitaires, une « violation des règles d'indépendance en matière d'expertise », un « trafic d'influence », des « abus de biens sociaux et recel », de la « corruption » et une « mise en danger de la vie d'autrui ».

Pour le moment, des procédures en responsabilité civile ont été entamé contre les laboratoires Siemens, DiaSorin, Euroimmun, BioMérieux et Bio-Rad dans le but de réclamer des dommages et intérêts. A terme, les avocats espèrent réunir au moins 300 plaignants. Le procès devrait s’ouvrir en décembre prochain.

Pourtant, il n’est pas sûr que les médecins « spécialistes auto-proclamés du Lyme », les laboratoires qui proposent des tests non-validés, les experts qui valident des traitements miracles, qu’ils soient médicamenteux, phytothérapeutiques ou physiques, ne soient pas les moins englués dans les « conflits d’intérêt ».

Origines de la plainte

Le conflit est basé sur la non-reconnaissance de la maladie de « Lyme chronique » en tant que telle par la médecine officielle au motif que les tests ELISA et Western-Blot ne diagnostiqueraient pas la maladie dont les malades se déclarent atteints. Pour ces personnes, les tests officiels de dépistage de cette maladie bactérienne, causée par une piqûre de tique, ne sont pas fiables. 

En France, il n’existe qu’un seul et unique test validé, le test ELISA, qui mesure le taux d’anticorps fabriqué lors du passage de la bactérie borrelia dans le corps. En cas de positivité, il est confirmé par un autre test, le « Western-Blot ». En cas de négativité, il n’est pas contrôlé car sa sensibilité est suffisante à la phase d’état de la maladie, à tel point que, par exemple, sa négativité en cas d’arthrite doit faire remettre en cause le diagnostic d’arthrite de Lyme.

Le test ELISA est celui qui est validé par le protocole de toutes les sociétés savantes d’infectiologie aussi européennes et américaine et pas seulement par la France. On est dans le schéma des « malades non-reconnus par la science officielle internationale ».

Un test ELISA remis en cause

Pour ces malades, le problème serait que le test ELISA ne détecte « que trois à cinq des bactéries qui peuvent causer la maladie alors qu’en réalité, il y en a plus d’une dizaine ». Une assertion qui est basée sur une diversité réelle des espèces de borrelia en Europe, mais dont seul un petit nombre d’entre elles peut causer la maladie.

« Le test ne détecterait pas tous les cas selon les malades », alors que sa sensibilité est considérée par la majorité des experts dans le monde comme excellente. S’il y a eu dans le passé des variations de la performance des différents test ELISA, selon les laboratoires et selon les régions en France, le Centre National de Référence a été missionné en 2013 par le Ministère de la Santé pour harmoniser ces tests et ne valider que les tests ayant une sensibilité et une spécificité suffisante. 

Un diagnostic à géométrie variable

Souffrant de certains symptômes persistants et non spécifiques (douleurs diffuses, fatigue, difficultés à penser…), certains malades se considèrent atteints d’une « maladie de Lyme chronique », une entité qui n’est pas reconnue par la médecine française, ni à l'international. Les différentes sociétés savantes préfèrent parler de « syndrome post-Lyme », quand il y a eu une infection aiguë avérée, ou de « syndrome fonctionnel non spécifique » quand il n’y a aucun argument en faveur d’une maladie.

Désespérées par des douleurs chroniques sans cause évidente, quelques fois après une piqûre de tique, et encouragées par un mouvement très actif sur les réseaux sociaux, certaines personnes vont jusqu’à courir les laboratoires de biologie, multiplier à leur frais les tests et faire des tests vétérinaires, réputés « plus précis », pour donner une explication cohérente à leurs souffrances.

Si en cas de maladie de Lyme avérée, on a pu décrire la persistance après infection des arthrites inflammatoires chronique, déclenchées par une réaction immunitaire vis-à-vis de certains composants de la bactérie, les causes de douleurs chroniques diffuses sont multiples et ne concernent pas vraiment la maladie de Lyme dans sa version officielle.

Mais toute cette souffrance et cette recherche légitime d’explication ont généré une exploitation commerciale de la part de certains médecins et de certains laboratoires de biologie. Certains malades vont jusqu’à payer des sommes faramineuses en Allemagne ou ailleurs pour obtenir un test positif, quel qu’il soit, le plus souvent sans validation scientifique. Et cela, sans parler des traitements qui leurs sont vendus à prix d’or.

Un conflit avec le gouvernement

Selon Maitre Julien Fouray, l’un des avocats des plaignants, il y aurait donc, actuellement en France, des personnes malades qui ne seraient toujours pas diagnostiquées, et elles seraient des dizaines de milliers. Le conflit est actuellement aigu entre les associations de malades et les pouvoirs publiques pour la validation officielle de tests non-validés, car souvent faussement positifs. Avec à la clé, la reconnaissance d’une maladie chronique, une prise en charge à 100%, voire des condamnations et des indemnités.

Ce problème n’est absolument pas spécifique à la France, les réseaux sociaux ne connaissant pas de frontières, et tous les pays sont peu ou prou concernés, avec des situations cependant contrastées. Si en Allemagne, les autorités de santé sont assez laxistes et ne condamnent pas les pratiques de prescriptions de tests non-validés et d’antibiotiques au long cours, en France, elles débouchent sur des condamnations de médecins car contraires aux recommandations scientifiques de bonnes pratiques.

En Australie, cette situation a débouché sur une commission d’enquête parlementaire qui a abouti à la conclusion que « les patients concernés par l’Australian Lyme Disease exprimaient une symptomatologie similaire à celle des syndromes médicalement inexpliqués » et que les « interactions médicalement négatives et les média pouvaient avoir contribué à la recherche par les patients de diagnostics et de traitements non validés sur les preuves scientifiques ».

Derrière les hypothétiques « Lyme chroniques », de vraies maladies

À l’origine de la maladie de Lyme, une piqûre de tique en forêt, au printemps ou en automne. Quelques semaines plus tard, le malade voit apparaître le plus souvent une lésion de la peau sur le site de la morsure, « l’érythème chronique », puis peuvent apparaître plus tard des troubles articulaires, cardiaques, neurologiques si la maladie n’est pas traitée. Cependant, les symptômes de la maladie de Lyme sont certes divers, mais très caractéristiques, voire spécifiques comme l’érythème chronique.

Quel qu’il soit, un test sans tableau clinique évocateur n’a donc pas de valeur : il doit être interprété au regard des signes caractéristiques de la maladie pour poser un diagnostic de Lyme. En effet, même dans les régions où les piqûres de tiques sont contaminantes, moins de 15% des personnes déclarent une infection aiguë, qui est localisée (peau) dans 84% des cas, alors que le test peut être positif (puisque la bactérie est passée dans le corps avant d’être éliminée). Ce n’est pas le cas du « Lyme chronique » où l’histoire et les signes cliniques sont souvent non évocateurs d’une infection à borrelia et où le test Elisa est très souvent négatif.

Si le Lyme est traité correctement, selon les protocoles (dès la lésion de la peau), la bactérie est éradiquée sans séquelle et ne réapparaît pas, sauf en cas de 2e morsure par une autre tique (avoir été infecté une fois ne protège pas d’une 2e infection). Il n’y a pas de démonstration scientifique validée de la persistance de la bactérie dans le corps après un traitement antibiotique bien conduit. Par contre, il y a de multiples exemple de maladies graves qui ont été prises à tort pour une maladie de Lyme et qui ont été traitées trop tard (tuberculose, lymphome…), comme il y a des nombreux autres syndromes douloureux chroniques.

Un procès qui va permettre de poser le débat

Même si la médecine française ne fait pas exception dans le monde vis-à-vis du « Lyme chronique », la France est un pays où les conflits ne se règlent pas autrement que par des procès.

La vision pessimiste est de voir le mauvais côté et de craindre l’aléas judiciaire : le risque existe qu’une décision de justice ne corresponde pas à la vérité scientifique. Il en a été ainsi par exemple avec les scléroses en plaques qui ont été attribuées à la vaccination contre l’hépatite B dans le passé. Les nombreuses condamnations initiales se sont ensuite taries au fur et à mesure que les preuves scientifiques s’accumulaient contre la causalité de la vaccination dans ces maladies.

On peut aussi avoir une vision plus positive des choses et penser que ce procès puisse déboucher sur un débat contributif et que ces malades qui souffrent et qui, pour certains, sont dans des situations très difficiles, puissent être pris en charge dans des structures médicales et scientifiques dédiées. Le bénéfice serait de les soustraire aux charlatans de tout poil qui tirent parti de leur désespoir contre monnaie sonnante et trébuchante. Un autre bénéfice serait de lancer des programmes de recherche scientifiques afin de mieux les trier (il n’est pas sûr qu’ils constituent un groupe pathologique homogène) et de leur proposer des essais thérapeutique validés au fur et à mesure des progrès de la Science.,Nous restons optimistes.

Pour le moment, des procédures en responsabilité civile ont été entamé contre les laboratoires Siemens, DiaSorin, Euroimmun, BioMérieux et Bio-Rad dans le but de réclamer des dommages et intérêts. A terme, les avocats espèrent réunir au moins 300 plaignants. Le procès devrait s’ouvrir en décembre prochain.