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Recherche malades biens portants

Avoir des médicaments pour prévenir la maladie d’Alzheimer, exige de « futurs » malades qui l’ignorent. Et c’est compliqué.

Par le Dr Axel de Saint-Cricq

Les médicaments donnés à titre préventif ont toujours fasciné les médecins… Pas les futurs malades. C’est un conflit que l’on pourrait mettre sur le compte de l’éthique, si la société moderne n’exigeait pas toujours plus de la recherche. Mais la solution est peut-être dans une information précise des enjeux.

Dmitroza/epictura

L’exemple le plus connu est celui de l’aspirine. Ce médicament plus que centenaire a exercé une fascination  auprès les médecins, avant  qu’on ne se rende compte du danger réel de sa prise inconsidérée. Mais dans les années cinquante, à la suite de la découverte de son effet préventif des infarctus du myocarde, en utilisant sa capacité à diluer le sang et l’hypothèse qu’il pourrait aussi prévenir les polypes, donc le cancer de l’intestin, s’est posé la question de l’utiliser largement chez les gens bien portants, pour une vaste opération de prévention. Devant les levées de bouclier – déjà au nom de l’éthique – les médecins Américains ont eu une réaction courageuse en se prêtant à une gigantesque étude pour savoir. Les résultats ont été publiés au bout de 20 ans. Malheureusement négatifs.

Mais l’envie de ceux qui soignent, de ceux qui prévoient, reste intact. Et la maladie qui effraie le plus les Français, revient au premier rang. Devant la véritable « épidémie » de maladie d’Alzheimer, due en au recul de l’espérance de vie et  surtout l’absence de traitement réellement efficace, se pose la question de traiter ceux qui « pourraient » être à risque d’Alzheimer.

Qui est à risque d’Alzheimer ?

C’est là que le problème devient épineux.
La recherche a beau être vive pour comprendre mieux ce fléau, il y a peu de certitudes. La piste génétique est sérieuse. On sait, par exemple, qu’il existe une forme héréditaire très rare - 2% des cas -  mais il n’y a pas de test simple permettant de savoir si la menace est réel voire même sérieuse.
Pourtant ceux qui tentent de mettre en place des traitements déplorent que les essais ne concernent que des malades à un stade où aucune amélioration ne peut être mise en évidence. En clair, la mise au point d’un médicament passe par une première étape chez des gens bien-portants, uniquement pour mettre en évidence d’éventuels effets secondaires indépendants de la maladie, puis après chez des malades diagnostiqués, ceux chez qui on sait qu’il est probablement déjà trop tard.
C’est pourquoi des chercheurs de La Pitié Salpétrière à Paris, un des meilleurs centre au monde de la recherche contre cette maladie, lancent un appel pour un essai qui devrait commencer début 2018. L’originalité de cette annonce est que ces médecins recherchent des gens en bonnes santé pour prouver  l’efficacité précoce  de ces nouveaux traitements.

En bonne santé mais à risque de maladie

Il faut imaginer le doigté de ces  médecins, dirigés par le professeur Bruno Dubois, un des neurologues Français qui connaît le mieux cette maladie, pour recruter des gens à qui on doit annoncer que la probabilité de souffrir de cette maladie est importante. C’est pourtant aujourd’hui techniquement possible. La médecine moderne sait préciser le menace et on peut être surpris par la réticence des institutions mais aussi de l’opinion face à un phénomène inéluctable. Car l’enjeu peut paraître simple. Soit la personne ne développera pas un Alzheimer et les risques ne sont que ceux du médicament – parfaitement contrôlés – soit elle développe la maladie mais plus tard, voire jamais, si ce nouveau traitement est efficace. Sur le simple raisonnement logique on pourrait estimer que l’essai se fera et vite… Dans la pratique ce n’est pas si simple de trouver des gens qui risquent de développer la maladie dans 10 à 15 ans, car c’est ce délai qui est le plus intéressant pour prouver l’efficacité des traitements.
Selon le professeur Philippe Amouyel de Lille, autre grand spécialiste de cette maladie, des chercheurs Américains ont entrepris des études sur 5000 membres d’une famille qui présente la forme héréditaire pour retrouver ceux qui sont à risque maximum. Mais il s’agit de cas très isolé. L’enjeu ce sont les 98% d’autres formes, et les techniques de sélection ne sont pas simples :une ponction lombaire qui n’est pas un examen particulièrement agréable ou un scan particulier (et coûteux) qui permet de mettre en évidence des plaques dans le cerveau. Le professeur Dubois précise sa recherche « Des volontaires avec trois critères : avoir au moins 60 ans, habiter l’Île-de-France et, sans être malade, avoir une plainte pour des problèmes de mémoire »
Reste après le réel problème de vivre en pleine forme avec une telle épée de Damoclès au dessus de son cerveau.

L’exemple de la Chorée de Huntington

La médecine connaît bien ce dilemme avec la chorée de Huntington.
Même s’il n’existe pas de maladie sympathique, avec la chorée de Huntington, on touche le fond de l’horreur d’un diagnostic médical. Mouvements anormaux et détérioration mentale ?
Souffrir de chorée de Huntington, c’est  souffrir d’une maladie rare, héréditaire, que  l’on l’appelait autrefois la « danse de saint-guy » en raison des mouvements incontrôlés que provoque cette dégénérescence du cerveau. Mouvements bizarres, mais également détérioration intellectuelle progressive. D’abord de l’irritabilité ou de la dépression, puis petit à petit, une disparition totale des relations avec l’extérieur. Même si les spécialistes n’aiment pas la comparaison, il est difficile de ne pas penser à la maladie d’Alzheimer. Certes les causes sont différentes, mais le résultat est souvent le même. Sauf que dans le cas de la chorée de Huntington, ce sont souvent des adultes jeunes – 30, 40 ans - qui sont touchés. Avec, c’est là où la maladie est particulièrement horrible, une transmission familiale importante, qui fait de cette maladie incurable une loterie insupportable. Car on a trouvé où était l’anomalie sur les chromosomes. Ce qui, à défaut de proposer un traitement, rend le dépistage possible. Imaginez donc le choix terrible dans une famille où existe un cas de cette maladie. Soit ignorer ce que sera demain, soit savoir que l’on sera inexorablement atteint… soit être rassuré.

La solution dans ce débat, plus personnel qu’éthique, est de donner clairement les éléments du choix. On peut compter sur l’intelligence de l’homme pour prendre la bonne décision, à condition, répétons-le de bénéficier d’une information complète.