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Il y aura plus de leucémies avec les 5 ans de prolongation du glyphosate

Par Dr Philippe Montereau

L’Union européenne a tranché, le glyphosate est maintenu encore 5 ans. Même si une longue étude américaine sur le suivi médical d’agriculteurs et d’épandeurs montre un doublement du risque de leucémie aiguë.

XAVIER VILA/SIPA

Même si la France a voté contre, l’Union européenne a décidé de maintenir pour 5 ans de plus l’autorisation du glyphosate, l’herbicide le plus utilisé dans le monde.
Une nouvelle analyse à 20 ans d’une étude réalisée sur plus de 50 000 agriculteurs et épandeurs américains utilisant le glyphosate était opportunément sortie juste avant. En apparence rassurante, elle exonère le glyphosate du risque d’augmentation des cancers ou des lymphomes non hodgkiniens, contrairement aux études précédentes.
Par contre, ce qui n’a pas été beaucoup relevé par les observateurs indépendants, c’est qu’elle objective un doublement du risque de leucémie aiguë chez les agriculteurs et les épandeurs qui ont été le plus exposés au glyphosate.

Un risque de leucémie aiguë

« L’Agricultural Health Study » a été débutée dans les années 90. Si à 10 ans, elle ne montrait aucun sur-risque de cancer ou de lymphome, à 20 ans, elle objective par contre une augmentation du risque de leucémies aiguë myéloïde.
Chez les agriculteurs et les épandeurs qui manipulent ce produit depuis plus de 20 ans, ce risque serait même plus que doublé et largement significatif au plan statistique.
Ces résultats d'une étude épidémiologique de grande qualité sont publiés dans une revue de référence, le Journal of the National Cancer Institute (JNCI).

Une étude contrôlée sur plus de 20 ans

L'Agricultural Health Study, une étude épidémiologique prospective qui consiste à suivre une cohorte de 57 310 agriculteurs et épandeurs manipulant des pesticides et des herbicides, et de 32 347 conjoints, dans 2 Etats américains : en Iowa et en Caroline du Nord.
Elle a été lancée, aux USA, au début des années 1990, en grande partie pour explorer les causes possibles de l'incidence plus élevée de cancers (tumeurs solides et lymphomes non-hodgkiniens) dans cette population quand on la compare par rapport à la population générale.
Il faut comprendre qu’une étude épidémiologique réalisée dans une population de personnes exposées à d’autres influences que le glyphosate est extrêmement difficile et que le résultat peut être perturbé par de nombreux facteurs de l’environnement (biais).

Une très bonne qualité méthodologique

Pour parer à tous les biais possibles, les chercheurs de l’Agricultural Health Study ont multiplié les méthodes de contrôle de leurs données.
Des questionnaires de santé détaillés ont été régulièrement réalisés. La fréquence des cancers a été vérifiée par les registres des cancers dans ces 2 Etats et la mortalité par les registres de mortalité.
L’utilisation de chaque herbicide ou pesticide a été évaluée en nombre de jours de manipulation par an et en nombre d’années d’utilisation pour arriver à un score d’intensité. Ce score prend également en compte le fait que le pesticide est dilué ou non. La durée d’exposition est ainsi pondérée par le score d’intensité.
Enfin, tous les résultats ont été scientifiquement corrigés pour tenir compte de l’influence de l’âge, de la prise de toxiques (tabac, alcool), des antécédents familiaux de cancers, du lieu de résidence et de l’exposition à dd’autres cancérigènes connus

Des données bien étayées

Parmi les 54 251 agriculteurs et épandeurs, 44 932 (82,8 %) ont utilisé du glyphosate et 5779 cas de nouveaux cancers (tumeurs solides et cancers du sang) y ont été observés au cours de ce suivi de 20 ans.
Les analyses pondérées sur l’ensemble de la cohorte ne retrouvent aucune augmentation statistique du risque de cancer, quelle que soit sa localisation, lorsque le glyphosate est utilisé. Par contre, parmi les personnes qui ont été le plus exposés au glyphosate, on observe un risque accru de leucémie aiguë myéloïde (LAM) par rapport aux autres (Risque Relatif de 2,44 ce qui signifie un doublement du risque), bien que cette association ne soit pas statistiquement significative (P = 0,11).
Mais, ce doublement du risque de leucémie aigue myéloïde croit avec la durée d’exposition et devient statistiquement significatif au-delà de 20 ans chez ceux qui utilisent le plus de glyphosate (P = 0,04).

Un produit désormais ubiquitaire

Le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé au monde. On en retrouve dans près de 40 % des aliments consommés couramment, certes à des doses qui sont très en dessous des limites maximales tolérées.
Il est classé « cancérogène probable » par le Centre International de Recherche sur le Cancer, un organe de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), avec un mécanisme « génotoxique » (toxique pour le génome) et des associations significatives avec le lymphome non hodgkinien dans d’autres études épidémiologiques.
Bien que critiquées pour leur proximité avec l’industrie chimique, l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments et l’Agence Européenne des Produits Chimiques avaient toutes 2 conclu avant cette étude que les connaissances scientifiques disponibles n’étaient pas suffisantes pour une telle classification. 

5 ans, c’est beaucoup de leucémies

Une évaluation antérieure de l'Agricultural Health Study, réalisée sur une dizaine d’années de suivi (suivi allant jusqu'en 2001), n'avait trouvé aucune association statistiquement significative entre l'utilisation du glyphosate et le risque de cancer, quel qu’il soit.
Cette étude prolongée sur 20 ans de suivi objective désormais une augmentation du risque de leucémies aiguës myéloïdes lors de l’exposition prolongée au glyphosate mais ne trouve pas d’augmentation du risque de tumeurs solides et de lymphome non hodgkiniens.
Le glyphosate divise au sein de l’Union Européenne et de la communauté scientifique. Cette augmentation du risque de leucémies aiguës peut bien sûr être le résultat de l’influence de multiples facteurs génétiques et d’environnement mais les pesticides sont connus de longue date comme pouvant être associés à une plus grande fréquence de leucémies.

Même si ce risque est objectivé dans cette étude après 20 ans de suivi et chez les personnes qui sont exposées aux doses les plus fortes, 5 ans de prolongation c’est long. Au-delà du coût humain, qui va payer la facture économique de la prise en charge de ces malades et surtout leurs années de vie perdues ?