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Migraine ou mal de tête : les réponses du Pr Marie-Germaine Bousser

Par Denis Boucheny avec le Dr Jean-François Lemoine

Près de 8 millions de personnes souffrent de migraines en France, avec une caractéristique étonnante : plus de la moitié de ceux qui en sont atteints ne prennent pas le bon traitement.   

MOTS-CLÉS :

Les migraines empoisonnent la vie de millions de personnes. Comment les traiter, comment faire la différence avec des maux de tête,  sur quels signes doit-on s'inquiéter, une  spécailsite nous donnee les clés pour comprendre

Les réponses avec le Pr Marie-Germaine Bousser, neurologue à l’hôpital Lariboisière à Paris.

pourquoidocteur : Quelle est la différence entre le mal à la tête classique et la migraine ?
Pr Marie-Germaine Bousser : La migraine se caractérise par des crises, qui vont durer de quelques heures à 3 jours, le plus souvent. Entre les crises, le migraineux standard ne souffre pas. C’est la première caractéristique essentielle. Un mal de tête que vous avez depuis 10 ans du matin au soir, et du soir au matin, n’est pas de la migraine.

 « Dans le cas des crises sévères, les migraineux nous disent :  Je suis une vraie loque, je suis obligé de me mettre au fond de mon lit et j’espère m’endormir ».


Y a-t-il des signes avant-coureurs ?
Pr Marie-Germaine Bousser : Il faut vraiment rester sur cette notion de crise. Parfois les gens vont avoir de petits troubles visuels, un certain nombre de signes avant-coureurs, mais ce n’est pas le plus important. Le plus important est que le mal de tête, au cours de la crise de migraine, va monter sur une heure ou deux, va s’accroître. Ce n’est pas comme si on recevait un coup de marteau sur la tête. Cela vient petit à petit, sur une heure ou deux. Cela peut toucher la moitié du crâne, mais aussi l’intégralité, cela bat comme un cœur, c’est pulsatile, le plus souvent. Cela devient vraiment sévère, vous ne pouvez pas bien marcher, monter les escaliers, courir… Et puis il y a des nausées, parfois des vomissements, on ne supporte plus rien, ni le bruit, ni la lumière, ni les odeurs, ni les enfants. Dans le cas des crises sévères, les migraineux nous disent : « Je suis une vraie loque, je suis obligé de me mettre au fond de mon lit et j’espère m’endormir, et souvent, quand je m’endors, la crise est finie ».

Peut-on avoir des crises de migraine plusieurs fois par semaine ?

Pr Marie-Germaine Bousser : Oui, il est très important de préciser la fréquence des crises parce que les traitements ne vont pas être les mêmes. Si on fait une moyenne, c’est quelques crises par an, mais les personnes qui viennent nous consulter peuvent avoir jusqu’à deux crises par semaine.

Quand ce n’est pas de la migraine, à quoi est dû le mal de tête ?

Pr Marie-Germaine Bousser : Il y a une bonne centaine de causes. Si vous avez de la fièvre, vous avez mal à la tête ; si vous avez un peu trop bu, le lendemain matin, vous avez la gueule de bois, vous pouvez avoir mal à la tête. La deuxième variété la plus fréquente de mal de tête est ce que l’on appelle la céphalée de tension. Je précise tout de suite que ce n’est pas la tension artérielle, c’est la tension nerveuse, le stress, l’anxiété. Donc, cela peut être certains jours : on va avoir mal à tête pendant une semaine parce qu’on traverse une période vraiment difficile. Et puis cela peut être la céphalée de tension chronique. Ce sont des personnes qui ont mal à la tête depuis toujours, du matin au soir, du soir au matin, qui ne sont pas migraineuses, mais qui peuvent avoir des crises de migraine. On peut avoir les deux.

Doit-on plus orienter les patients vers des psychothérapies plutôt que de leur donner des médicaments ?

Pr Marie-Germaine Bousser : Oui, mais s’ils ont très mal à la tête, ils peuvent aussi prendre des antalgiques. Mais je pense qu’il faut effectivement essayer de comprendre si, derrière ce mal de tête qui est là en permanence et avec lequel les patients nous disent qu’il faut bien vivre, il n’y a pas de l’anxiété, de la dépression.


Avoir une douleur au cerveau, cela peut faire peur. A quoi voit-on qu’un mal de tête est grave ?

Pr Marie-Germaine Bousser : A plusieurs choses. Je pense qu’un mal de tête qui démarre et progresse au fil des jours, s’aggrave, ne s’améliore pas avec les antalgiques comme le paracétamol et l’aspirine, doit faire consulter un médecin. L’autre type de douleur où il faut absolument consulter en urgence, c’est ce que l’on appelle, le mal de tête en coup de tonnerre, comme si vous aviez reçu un coup sur la tête : vous n’avez pas mal, et tout à coup c’est le pire mal de tête que vous ayez jamais eu. Là, il peut y avoir plusieurs causes : cela peut être un vaisseau qui a saigné, ce que l’on appelle l’hémorragie méningée, mais il y a d’autres causes moins graves. Dans tous les cas, il faut absolument explorer cette douleur. S’il y a un mal de tête associé à de la fièvre, cela peut être une méningite. Mais il faut bien savoir que toutes ces causes sont tout de même rares.


Certaines personnes ont des crises pendant le week-end parce qu’ils se reposent. Sait-on pourquoi ?

Pr Marie-Germaine Bousser : On commence à avoir des explications scientifiques. Le migraineux est hypersensible à tout : au stress, à l’alimentation, à certains médicaments, au temps qu’il fait, et, surtout pour les femmes, aux facteurs hormonaux. Les femmes migraineuses savent parfaitement que pendant la grossesse les crises disparaissent. Quant à la fameuse migraine du week-end, on a longtemps dit que c’était parce que les gens n’étaient pas bien en famille, que c’était psychologique, jusqu’au moment où on s’est aperçu que s’ils se levaient à la même heure le matin et ne faisaient pas la grasse matinée, souvent ils n’avaient pas de crise.


Peut-on  devenir migraineux après un certain âge 
?

Pr Marie-Germaine Bousser: C’est incroyablement capricieux. J’ai reçu un jour un courrier d’un Monsieur qui avait eu des crises de migraine dans son enfance, n’en avait plus eu de la puberté à l’âge de 80 ans, et en avait à nouveau. Retombait-il en enfance ? Non, mais cela illustre la difficulté d’évaluer les médicaments au long cours.


Mais qu’est-ce qui provoque la souffrance ?

Pr Marie-Germaine Bousse: Ce qui fait souffrir passe par le nerf de la sensibilité du crâne et du visage, qui s’appelle le nerf trijumeau. Il y a des connections entre les vaisseaux et ce nerf qui font que cela déclenche la douleur.

Pour une migraine qui dure, quel spécialiste peut-on consulter ?

Pr Marie-Germaine Bousser : Les neurologues, en général, connaissent bien la migraine. Mais je pense qu’effectivement, c’est une maladie souvent familiale, une maladie de toute la vie. Donc c’est bien d’être soigné par un généraliste qui va vous suivre pendant des années. Les femmes migraineuses vont souvent prendre le même médicament qu’utilisait leur mère. Parfois, cela fonctionne, et donc elles ne pensent pas forcément à en parler à leur médecin. Mais les migraineuses, par exemple, en parlent souvent à leur gynécologue, puisqu’il y a des rapports importants avec les hormones. Il faut inciter les migraineux à en parler à leur médecin, parce qu’on ne guérit pas de la migraine, puisque c’est une propriété des neurones, donc du cerveau. Mais on peut considérablement améliorer la qualité de vie des migraineux.


L’aspirine et le paracétamol sont-ils efficaces en cas de crise ?

Pr Marie-Germaine Bousser : On a longtemps dit qu’une crise de mal de tête qui disparaissait avec de l’aspirine ou du paracétamol n’était pas une crise de migraine : c’est faux. Oui, bien sûr, cela peut marcher et beaucoup de gens se soignent avec ces médicaments. Ils ne consultent pas leur médecin parce que cela marche, justement. Les anti-inflammatoires sont relativement peu utilisés en France. Mais ce sont de bons médicaments contre la crise de migraine, incontestablement.


En traitement de la crise, les triptans ont-ils vraiment changé la vie des migraineux ?

Pr Marie-Germaine Bousser : Oui, beaucoup de migraineux disent que les triptans,­ il y en a maintenant presque une dizaine, ­ ont vraiment changé leur vie. Cela ne fonctionne pas à chaque fois, loin de là, mais c’est souvent plus efficace que l’aspirine ou les anti-inflammatoires, et surtout, cela ne marche pas forcément chez les mêmes personnes. C’est pour cela qu’il est parfois difficile de traiter les migraineux. Il faut beaucoup tâtonner, il faut essayer. Et parfois, même parmi les triptans, il y en a un qui va être plus efficace que les autres. Il faut donc en essayer plusieurs.

 «60 % des migraineux sont améliorés par un traitement de crise, comme les triptans ».

Certains migraineux deviennent intoxiqués aux médicaments contre la douleur. Quels sont les risques ?

Pr Marie-Germaine Bousser : Ce sont des gens qui ont des crises très fréquentes et finissent par prendre tous les jours des antimigraineux qui devraient être seulement réservés au traitement de la crise. C’est une catastrophe parce que cela accroît et entretient le mal de tête. C’est un cercle vicieux. On l’appelle « le mal de tête avec abus médicamenteux ». Ce n’est pas très fréquent, mais les spécialistes en voient. Je crois qu’il faut dire aux gens que s’ils ont une à deux crises par semaine qui ne cèdent pas en deux heures au traitement de la crise, il faut voir un médecin, et probablement prendre un traitement de fond. Il en existe plusieurs sortes qui doivent être pris tous les jours sur le long terme.

Sur 100 crises de migraine, combien peut-on vraiment résoudre ?

Pr Marie-Germaine Bousser : 60 % des migraineux sont améliorés par un traitement de crise, comme les triptans. Mais ensuite, il faut de la patience de part et d’autre, car il faut tâtonner. Il faut essayer, ne pas « empiler » les médicaments. Donc on va essayer d’abord un premier triptan. Si cela ne marche pas, on va en essayer un autre, si cela ne marche pas, on va essayer un anti-inflammatoire, etc. Cela prend du temps, il faut de la patience, voir la fréquence des crises. Je demande aux migraineux de faire un calendrier de leurs crises, et de ce qu’ils ont pris. C’est fondamental, parce que c’est quelque chose qui va durer des années. Il faut que les gens sachent ce qu’ils ont essayé comme traitement. Et quand on arrive à faire cela – cela veut dire que le migraineux et le médecin ont la patience de le faire parfois pendant des mois, voire un an ou deux avant de trouver la bonne recette –, je pense que c’est plus de 90 % des migraineux chez qui on améliore la qualité de vie.