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Paul François, le combat d'un agriculteur contre les pesticides

Par Arnaud Aubry

PORTRAIT. Alors que débute ce weekend le salon de l’agriculture, Pourquoi Docteur est parti à la rencontre de Paul François, un agriculteur intoxiqué au pesticide en 2004.

Arnaud Aubry

La maladie de Paul François n’a pas de nom. D’ailleurs quand on le rencontre dans sa ferme à quelques kilomètres d'Angoulême, sa belle carrure et son dynamisme font croire que, comme il le dit, « ça va bien ».  Sauf que rien n’est moins vrai : il y a les problèmes d'ordre neurologique, « des tâches au cerveau qui évoluent », avec pour conséquence des douleurs dans les jambes, les mains et des maux de tête parfois tellement violents qu’ils l'obligent à l'hospitalisation. Sans compter la fatigue et le reste, dont il ne veut pas parler car « il ne veut pas faire pleurer dans les chaumières ». L’agriculteur est un intoxiqué des pesticides.

1 « C'est psychosomatique ! »
2 David contre Goliath
3 Agriculteurs en première ligne, riverains également touchés

 « C’est psychosomatique ! »

C’est en avril 2004 que la vie de Paul François bascule, quand il est très gravement intoxiqué par le Lasso, un pesticide de Monsanto, une des plus grandes firmes de phytosanitaires à l’origine du Roundup.

Après avoir ressenti « comme une brûlure sur tout le corps » en ouvrant une cuve qu’il pensait vide, il décide d’aller s’allonger : « Je pensais que j’étais bon pour une grosse migraine, au plus... » La suite, on la lui a racontée : « J’ai eu une amnésie de 5 jours ». Sa femme, infirmière de formation, se rend compte que son état s’aggrave de minutes en minutes. Quand il perd connaissance, elle l’emmène aux urgences où il est placé sous assistance respiratoire. Il rentre chez lui deux jours plus tard. « J’avais des problèmes d’élocutions, mais les médecins me disaient que c’était le choc. J’ai été arrêté trois semaines. De toute façon, je n’avais pas le temps de me plaindre ».

« Je pensais que j’étais bon pour une grosse migraine [...] j’ai fait 12 comas en 3 mois »

Les mois passent, mais pas les problèmes d’élocutions, ni les maux de tête de plus en plus fréquents, sans compter les vertiges, la perte de poids. « En septembre, j'ai eu une première perte de connaissance en travaillant, un moment d'absence. » Puis une seconde, alors qu’il conduisait. On lui dit que c’est le surmenage. Mais les maux de tête deviennent incontrôlables, il est hospitalisé d’urgence : « A partir de là, je vais aller d'hôpitaux en hôpitaux, de Ruffec (Charente) à la Salpêtrière à Paris. Et faire une douzaine de comas profonds en 3 mois ».

Dans le bureau de son association Phyto-Victimes, située au sein de son exploitation de 400 ha qu’il gère avec un associé, Paul François raconte son histoire sans s’apitoyer sur son sort. L’important c’est de délivrer des messages à ses collègues qui pourraient se retrouver dans la même situation. Et ça commence par une première surprise. Alors qu'il fait des comas à répétition, les médecins sont alors unanimes : Paul François est victime de dépression. Il est même interné une journée en milieu psychiatrique, avant d’être « mis dehors par le service ! » C’est finalement le toxico-chimiste André Picot qui va le mettre sur la piste des produits phytosanitaires. « Lorsque je le rencontre, il est très fatigué mais combattif », confie aujourd’hui le directeur de recherche honoraire du CNRS. « Je ne suis pas un spécialiste des pesticides, mais je sais que le Lasso n’est pas sensé avoir de toxicité aigu. » Problème : Paul François a tous les symptômes d’une atteinte par neurotoxique. Des analyses approfondies du produit phytosanitaire vont démontrer qu’il contient non seulement de l’alachlore (un herbicide), mais aussi du chlorobenzène, un neurotoxique dangereux qui n’est pas indiqué sur l’étiquette.

« Un an après mon accident, on trouvait encore des traces de chlorobenzène dans mes urines. Tout le monde pensait que c’était impossible », raconte Paul François. « Certains médecins ont même dit que je me "shootais" au désherbant ». Le neurotoxique est en fait probablement caché dans les graisses de l’agriculteur, et il repasse dans son sang dès qu’il maigrit, ce qui entraine un coma. André Picot avait été appelé au chevet de Victor Iouchtchenko, le président ukrainien empoisonné à la dioxine. Il conseille le même traitement à base d’algues à l'agriculteur : « Ca m’a sauvé la vie ».

David contre Goliath

Il lui faudra 5 ans de bataille juridique pour que son statut de maladie professionnelle soit reconnu en appel en 2010 par la Tribunal des affaires de Sécurité sociale. « Je suis un des premiers à avoir fait reconnaître mon accident comme une maladie professionnelle due aux pesticides ». Entre temps, le Lasso a été interdit en France en 2007. Il était interdit au Canada depuis 1985, en Belgique et au Royaume-Uni depuis 1992.

« Je suis un des premiers à avoir fait reconnaître mon accident comme une maladie professionnelle »

Une lutte s’ouvre également contre le déni des médecins qui ne pouvaient concevoir que les pesticides puissent être responsables de ses symptômes. « Les grandes firmes qui font des produits phytosanitaires sont les mêmes que celles qui font des médicaments », indique Paul François qui dénonce l’existence de conflits d’intérêts entre certains médecins et les grandes firmes, « un scandale sanitaire ».

Paul François engage enfin un combat contre Monsanto, la firme phyto-sanitaire, qui a exploité le Lasso. Dans un remake de David contre Goliath, l’agriculteur remporte finalement son procès contre la multinationale en 2012, une première en France. Mais la firme ne se laisse pas abattre et interjette appel qui sera jugé le 28 mai prochain.

Agriculteurs en première ligne, riverains également touchés

Son combat très médiatisé amène de nombreuses victimes à le contacter, ce qui le pousse à créer son association Phyto-Victimes en 2011. Environ 250 victimes l’ont contacté depuis. Un combat qu’il mène de front avec son exploitation agricole, même si sa maladie le freine souvent. Il reste néanmoins hyperactif : s’il n’est pas en train de prévoir la journée d’un de ses ouvriers agricoles, il est au téléphone avec son notaire. Mais il n’oublie jamais son combat : « Un agriculteur sur deux me dit que pendant les épandages, ils ont des maux de tête, des diarrhées, la langue qui gonfle, des picotements aux yeux, des boutons. Ils ne se rendent pas forcément compte que cela peut avoir des conséquences sur le long terme et que cela s'appelle de l'intoxication chronique. »

Il n’hésite pas à comparer les pesticides au scandale sanitaire de l’amiante. Si les agriculteurs sont en première ligne, ils ne sont pas les seuls à être touchés par les pesticides. Les riverains, dont la maison jouxte un champ, sont exposés, mais aussi tous les enfants dont la cour de récréation dispose de thuyas, traités juste avant l'été…

La responsabilité des firmes est énorme. Dans les cours de ferme, leurs représentants expliquent aux agriculteurs qu'ils ne pourront jamais faire sans les produits phytos. Ils présentent de nouvelles techniques, autour d’un repas… On n’est pas très loin du commercial des années 1980 qui venait vendre du Roundup et, pour montrer que le produit était sans danger, en buvait un fond de verre… Les mêmes commerciaux qui commencent à contacter l‘association Phyto Victimes aujourd'hui.

« J’ai peut-être empoisonné d’autres personnes »

Paul François reste pourtant optimiste : « Ca bouge dans les campagnes. Il y a dix ans, on me disait "Paul, arrête de l’ouvrir, tu nous fais de la mauvaise publicité et puis tu n’avais qu’à faire attention". » Aujourd’hui, beaucoup de ses collègues sont en train de se rendre compte qu’ils ont peut-être été touchés, même s’il n’est encore pas rare qu’ils envoient leur femme chez le médecin, car ils n’ont « pas le temps ».

Ophélie Robineau, chargée de mission à Phyto-Victimes, confie que « lorsqu’un agriculteur se casse une jambe ou met la main dans la presse, il y a une vraie solidarité entre paysans. S’il s’intoxique aux pesticides, il est tout seul ». Comme pour le suicide, les empoisonnements aux pesticides restent tabou en milieu agricole. D’ailleurs, les chiffres se font rare. Un rapport faisant le bilan des années 1997-2007 indique que 52,8% des applicateurs déclaraient porter des gants.

« Découvrir que votre passion vous a intoxiqué et a intoxiqué les autres, c’est très violent. J’ai vu un collègue agriculteur s’éteindre à l’hôpital à 45 ans et sa dernière pensée c’était : "J’ai peut-être empoisonné d’autres personnes" », se remémore Paul François. Ce problème de santé publique a été pris à bras le corps par des médecins généralistes du Limousin, qui ont lancé une pétition dans laquelle ils pointent du doigt « les preuves de la responsabilité de substances chimiques très largement répandues dans notre environnement qui s'accumulent. » Ils ajoutent : « Médecins de terrain, nous avons constaté l’augmentation des maladies chroniques chez nos patients (cancers, troubles de la fertilité, mais aussi maladies neurologiques, diabète, allergies…). » Paul François, dont l'exploitation était jusqu'à présent toujours traitée aux pesticides, a finalement pris la décision d'en convertir au moins 100 ha à l’agriculture biologique, une superficie qui correspond à la bande de champs jouxtant les riverains.

DATES CLES :

•    7 janvier 1964 : naissance en Charente
•    27 avril 2004 : intoxication au Lasso
•    28 janvier 2010 : reconnaissance de sa maladie professionnelle par le Tribunal des affaires de Sécurité sociale (en appel)
•    13 février 2012 : Monsanto est jugé responsable du préjudice de Paul François
•    30 novembre 2014 : Reçoit la légion d’honneur
•    28 mai 2015 : jugement de l'appel de Monsanto