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Fermeture des cabinets, grève de la télétransmission...

Tiers payant généralisé : pourquoi les médecins sont contre

Par Bruno Martrette

En pleine grève de la télétransmission, médecins et gouvernement s'opposent sur le tiers payant généralisé. Délais de remboursement trop longs, complexité administrative, les sujets qui fâchent sont nombreux.    

GILE/SIPA
MOTS-CLÉS :

« Le tiers payant généralisé prévu pour 2017 est une avancée pour les patients, et j'y suis attachée. C'est un élément fondamental de la loi sur la Santé, et il sera maintenu dans la loi. » Avec ces mots prononcés ce matin sur BFMTV par Marisol Touraine, difficile de croire que la fin du conflit est pour bientôt. Surtout que le climat actuel est tendu, puisqu’au terme d’une semaine de grève, le conflit entre la ministre de la Santé et les syndicats de médecins libéraux s’enlise.
Et comme ces derniers n’ont obtenu aucune avancée majeure sur la loi de santé, et en particulier sur le tiers payant, ils ont débuté lundi une grève de la télétransmission. Délais de remboursement trop longs, complexité administrative ... pourquoidocteur vous explique les raisons pour lesquelles ce dossier n’avance pas.

Les médecins exigent des garanties
En fait, face à ce sujet, les deux parties campent sur leurs positions. D’un côté il y a la ministre de la Santé, Marisol Touraine, qui parle d’une mesure de « justice sociale ». A ce titre, elle rappelle souvent qu’un Français sur trois a renoncé ou reporté des soins en 2013 pour raisons financières (7ème Baromètre Santé d'Europ Assistance/CSA). De l’autre, il y a les médecins libéraux qui redoutent un impact sur leurs honoraires et une mesure difficile techniquement à appliquer. Eux aussi ne lâchent rien sur le sujet.
En détails, les médecins contestent tout d’abord le caractère obligatoire du tiers payant généralisé. Selon le Dr Claude Leicher, président de MG France, que nous avons interrogé, le praticien devrait donc avoir avoir le choix de l’appliquer ou pas. Mais surtout les médecins veulent des garanties sur le façon dont ils vont être payés.

Ecoutez le Dr Claude Leicher, président de MG France : « Et bien nous voulons que le médecin ne soit pas obligé de vérifier préalablement les droits. Ni qu'il soit contraint de vérifier ligne par ligne qu'il a bien été payé. »


Des garanties qui selon Marisol Touraine seront apportées. La ministre affirme en effet fréquemment dans les médias qu’aucun médecin « ne sera lésé par cette mesure. » Et pour tenter d'apaiser encore la colère des médecins, François Hollande lui aussi a su trouver les mots. Invité de France Inter lundi matin il a déclaré : « Je comprends les médecins qui disent qu’il ne faut pas que ce soit compliqué. C’est toujours la même chose, il ne faut pas qu’on soit remboursé à la Saint-Glinglin. Ils ont parfaitement raison, les médecins, il faut qu’on puisse être capables d’être beaucoup plus simple, beaucoup plus efficace, beaucoup plus rapide. »


Des délais de remboursement trop longs

Pourtant, la tâche risque de ne pas être facile pour le Président de la République si l’on en croit une étude menée récemment à Tourcoing par l’Observatoire du tiers payant. Celle-ci révèle que les délais conventionnels ne sont pas respectés dans plus de 50 % de ces factures. Et c'est pour les patients en Aide Médicale d'Etat (AME) que la situation serait la plus critique. 
En chiffres, pour les seules factures papiers (FSP), l’étude retrouve un délai moyen de 58 jours. Et pour les factures électroniques (FSE), l’étude retrouve un délai moyen de paiement de 6,15 jours. Conclusion, les délais conventionnels ne semblent pas respectés puisque la totalité des FSE devraient être réglées dans les 5 jours ouvrés (art. 48 de la convention), et la totalité des FSP dans les 20 jours suivant l’acte (art. 52 de la convention).
De son côté, la Sécurité sociale affirme que les délais conventionnels sont bel et bien respectés. Pour l’année 2014, la Sécu avance qu’un médecin doit attendre 3,1 jours pour se faire rembourser une feuille électronique. Et 16,4 jours pour une facture papier. Difficile donc de démeler le vrai du faux. Surtout qu’une étude présentée samedi dernier apporte encore de l’eau au moulin des opposants à la mesure. Elle dévoile les records de remboursements tardifs des Caisses primaires d'assurance maladie (CPAM.)

Ecoutez le Dr Bertrand Legrand, fondateur de l’observatoire du tiers payant : « Aujourd’hui on a récolté 160 000 factures. Par exemple, la CPAM des Yvelines sur les feuilles de soins papiers peut mettre 440 jours pour payer un acte. »


Et pour ceux qui pensent qu’il s’agit du cas exceptionnel d’une facture égarée Bertrand Legrand enfonce encore le clou. Car d'après lui, « ces situations sont vraiment fréquentes. »  Ce médecin généraliste à Tourcoing affirme d'ailleurs être en mesure de publier entre 10 et 20 % de feuilles de soins qui ont été remboursées au-delà d'un an.
Pour conclure, il rappelle qu'un délai d’un an pour être remboursé, « peut entraîner des problèmes de trésorerie dans certains cabinets. Je pense notamment à ceux qui font beaucoup de tiers payant. »

Ecoutez le Dr Bertrand Legrand : « Ces factures remboursées tardivement c'est vraiment fréquent, je vous l'assure. Et nous avons des preuves. »


Un système actuel de tiers payant très compliqué
Et pour expliquer ces factures remboursées tardivement, le président de MG France soutient que le système actuel français est trop compliqué pour généraliser le tiers payant. « Il y a en effet 25 régimes obligatoires, et plus de 500 régimes complémentaires », précise-t-il. Mais sur ce point Marisol Touraine répond souvent aux médecins que d’autres professionnels l’ont fait, et que d’autres pays ont mis en place le tiers payant généralisé avec succès. C’est notamment le cas en Allemagne, en Autriche et aux Pays Bas. Mais là encore Claude Leicher n’est pas totalement convaincu. « Les situations ne sont pas comparables », avance-t-il.

Ecoutez le Dr Claude Leicher : « Il faut faire attention parce que dans ces pays ce n'est pas toujours des tiers payant intégral... »


Une marge de manoeuvre possible
Enfin, selon Claude Leicher, tout n'est pas perdu dans ces négociations avec le ministère de la santé. Il affirme que le sujet est toujours sur la table et que tout reste ouvert. De toute façon il avertit, si le système proposé par la ministre n’est pas techniquement parfait, son syndicat demandera aux médecins de ne pas l’appliquer. Pour savoir ce qu’il en sera il faudra peut-être attendre la fin de la prochaine rencontre entre MG France et Marisol Touraine. Celle-ci est prévue ce soir.