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L'interview du week-end

Éducation des enfants : “Je vois beaucoup de parents qui ne se font plus confiance”

Par Alexandra Wargny Drieghe

Comment aider son enfant à devenir un adulte stable psychologiquement ? Le Dr Michaël Larrar, psychiatre et psychanalyste, nous éclaire à ce propos.

fizkes/Istock

Pourquoi docteur : Dans votre livre Les Secrets de nos inconscients aux éditions Librinova, vous parlez du “deuil de la toute puissance” que chaque enfant doit faire. Pouvez-vous nous expliquer à quoi cela correspond, et comment les parents peuvent l’aider dans ce processus ?

Michaël Larrar : La toute puissance infantile est quelque chose d’absolument naturel dans les premières années de vie. L’enfant est le centre de tout le monde, il a l’impression que beaucoup de choses dépendent de lui, qu’il peut contrôler les gens autour de lui… Mais il y a un revers de la médaille à ce sentiment, c’est que cela peut lui donner beaucoup de culpabilité. Par exemple, si les parents se séparent, il peut penser que c’est parce qu’il a fait une bêtise. Il faut donc lui expliquer qu’il n'est pas tout puissant, que c’est normal d’avoir parfois des pensées pas jolies et que ça ne va pas amener de punition. Il faut qu’il comprenne que la seule punition possible, c’est celle donnée par papa ou maman, mais pas par une quelconque divinité en réponse à leurs “mauvaises actions”.

Cette toute puissance infantile va ensuite se prolonger à l’adolescence : c’est une période où l'enfant se dit que tout est possible, il croit en ses rêves et pense qu’il va tout réussir. C’est important de le laisser dans cette idée car cela va l'aider à évoluer, mais il faut aussi lui expliquer qu’on peut rater des choses et que ça ne fera pas de lui un nul pour autant.

Le deuil de cette toute puissance est souvent un passage difficile car petit à petit, l’adolescent se rend compte qu’il n’est pas aussi intelligent ou parfait qu’il se l’imaginait, il se rend compte que sa vie ne sera certainement pas aussi sensationnelle qu’il l’avait pensé. Cela peut le rendre déprimé. 

“Il n’y pas de relation parent-enfant sans contrainte et sans conflit”

Pourquoi l’enfant tout-petit peut avoir tendance à choisir le conflit plutôt que le calme ? Comment réagir face à cela ?

L’enfant jeune veut de l’interaction, il veut de l’excitation, et c’est d’ailleurs ce qui le rend extrêmement dynamique pendant les six premières années de la vie. Spontanément, l’enfant va donc chercher le conflit, qui est une excitation, plutôt que le calme. Une des fonctions parentales est de le ramener au calme et de lui montrer qu’on fait plus de choses dans le calme. Ces provocations infantiles sont plus fréquentes chez les enfants qui cherchent beaucoup d’attention et d'excitation, mais cela ne veut pas dire que les parents n’en donnent pas assez pour autant ! C’est parfois douloureux pour les parents, mais ils doivent apprendre à l’enfant à se passer un peu d’eux et l’amener à s’occuper seul. Aider son enfant à s’autonomiser l’aide à avoir confiance en lui. Il faut l’amener à grandir et à prendre fierté de cette autonomisation.

De plus, il n’y pas de relation parent-enfant sans contrainte et sans conflit. Ça serait beaucoup trop facile d'être parent s’il fallait juste être gentil. Donc il faut aussi accepter qu'il n'y ait pas que de la gentillesse. L’éducatif implique un peu de contrainte, voire un peu d’agressivité parentale.

“Les encouragements et la valorisation sont un délice pour l’enfant qui veut réussir et nous rendre fier”

Que pensez-vous de l’éducation positive ?

Globalement beaucoup de bien ! C’est très positif d’amener les choses avec bienveillance et encouragement aux enfants. Quand on les dévalorise ou les dispute, ils ont tendance à abandonner plutôt que lutter, alors que les encouragements et la valorisation sont un délice pour l’enfant qui veut réussir et nous rendre fier. Mais comme toujours, ce sont les excès d’un dogme qui sont problématiques, et la psychanalyse a eu tendance à être trop dogmatique, passant d’une éducation trop rigide à une éducation trop positive qui annule le conflit naturel et la nécessité relative à la contrainte. Il faut donc garder de la nuance, car on a besoin d’un peu tout ça.

Faut-il se déconstruire de l’éducation genrée ?

Pour une évolution sereine d’un enfant, il faut garder certains classiques éducatifs sans pour autant le forcer ou l’emprisonner. Il y a des mouvements de société qui veulent écarter le genre préformé chez l’enfant, mais ce n’est pas la réalité de la psychologie. Donc je dirais qu’il faut être assez classique mais si on sent qu’on a un enfant qui ne se retrouve pas dans les moules classiques, il faut le déculpabiliser et l’aider à prendre plaisir à se développer de façon joyeuse sans avoir l’impression qu’il déçoit ou qu’il est anormal.

Vers 6 ans, l'enfant se rend compte qu'il ne plaît pas à tout le monde

Vous parlez également du “deuil de la séduction” dans votre ouvrage, un deuil qu’il est important de faire en grandissant. Comment les parents peuvent aider l’enfant ? Ont-ils vraiment un rôle à jouer là-dedans ou est-ce-que ce sont plutôt les expériences vécues à l’extérieur du cercle familial qui comptent ?

Les deux comptent : les parents qui accompagnent l’enfant à faire ce deuil et évidemment les expériences de réalité souvent douloureuses mais nécessaires qui vont amener le psychisme de l’enfant à se remobiliser sur autre chose.

De 0 à 3 ans, l’enfant veut plaire à ses parents : il capte quand il fait quelque chose de bien et veut le refaire. Le développement psychomoteur et affectif de l'enfant est aussi lié au plaisir de l’interaction avec les parents et de leur séduction. C’est un processus nécessaire, il faut accepter d'être séduit par son enfant car ça va beaucoup le porter. En grandissant, il va faire des dessins, des spectacles… et il faudra l’encourager pour qu’il puisse grandir positivement.

Vers 6 ans, l’enfant va commencer à voir des expériences à l’extérieur qui ne lui renvoient pas le même plaisir qu'à la maison. Il va être en échec sur cette séduction, il va voir qu’il n’est pas le préféré de la maîtresse, que les copains ne veulent pas forcément faire ce qu’il veut, etc. L’enfant se rend compte qu'il n'est pas aussi séduisant qu’à la maison, mais il va naturellement essayer de l'être en faisant l'intéressant, et parfois, s’il est limité, il peut devenir agressif. Donc très vite, il faut aider son enfant en lui expliquant qu'on ne peut pas plaire à tout le monde, qu’il plaira toujours aux parents mais c’est tout. Si certains enfants ne veulent pas jouer avec lui, il faut lui expliquer que ce n’est pas grave et qu’il doit faire ce que lui a envie de faire, qu’il doit mettre son énergie avec les autres enfants avec qui c’est super.

À l'adolescence, l’acceptation dans le groupe, notamment le groupe des populaires, rassurent beaucoup les jeunes sur ce qu'ils valent alors que c’est totalement superficiel. A contrario, un jeune rejeté a très vite l’impression qu’il est mauvais et il confond sa capacité à séduire un groupe avec ses valeurs profondes. Il faut alors être présent pour l’aider à délier tout cela.

Fixer des limites même si l'enfant n'est pas encore capable de les comprendre

A quel moment l’enfant est assez mature pour comprendre les limites fixées ?

Évidemment ça dépend beaucoup des enfants. Il y a une part d'inné chez les enfants, que les parents voient d’ailleurs très tôt. C’est ce qui fait aussi la richesse des différences. Évidemment, il y a aussi la maturité avec l'âge et la compétence intellectuelle : plus l’enfant est grand, plus il sera sensible pour accepter les nuances et les limites. Cependant, il ne faut pas attendre cette maturité pour poser des limites. Certaines d’entre elles, qu'il va avoir par contrainte et par habitude, lui sont nécessaires, comme accepter qu'il dorme seul ou qu’on le laisse parfois un peu pleurer. Ces limites, il va ensuite les intégrer avec plus de maturité en grandissant. Elles seront comprises et intellectualisées. Ensuite, il y a des limites qu’on amène avec la parole. Par exemple, à 2 ans, quand on dit de ne pas frapper, l’enfant ne comprend pas encore pourquoi. En grandissant on peut lui expliquer que s’il frappe, les autres enfants ne joueront pas avec lui. Au fur et à mesure de ses compétences intellectuelles, on favorise toujours l’explication.

“Il faut donner beaucoup d’amour immédiat envers les enfants, et accepter de ne pas être un parent parfait”

Dans votre cabinet, quels sont les motifs de consultation les plus courants pour les jeunes enfants ? Est-ce-que ça a évolué ces dernières années ?

On va dire que de 0 à 3 ans ça va être des angoisses de séparation de l’enfant avec les parents ou des phobies. De 3 à 6 ans, c’est le début de la scolarisation et la socialisation, on peut alors voir apparaître certains troubles du comportement comme de la violence, de l’exhibition avec les autres, etc.
À partir de 6 ans, le champ est plus large car on a en plus des angoisses, des tocs, etc.

Quels conseils donneriez-vous aux parents qui veulent bien faire ?

Je vois beaucoup de parents qui ne se font plus confiance. Ils veulent tellement être de bons parents, qu’ils perdent leur spontanéité. Or, on dit en psychanalyse que si on n’est pas trop malade, il faut faire confiance à son intuition. Quand tout roule, il faut simplement profiter. Par contre, quand on sent que ça ne va pas alors qu'on pense avoir fonctionné normalement, c’est bien de se poser des questions, d'aller lire, de demander conseil, etc.

Je pense aussi qu’il ne faut pas gâcher la relation avec les enfants avec trop de dogmes et d'obligations. Il faut donner beaucoup d’amour immédiat envers les enfants, et accepter de ne pas être un parent parfait. C’est obligatoire de faire une erreur avec son enfant, tout le monde en fait ! Cela devient problématique uniquement quand on répète pendant des mois les mêmes erreurs.