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L'interview du week-end

Burn out : “Le corps fonctionne alors sous cortisol, l’hormone du stress, ce qui va l’épuiser”

Par Alexandra Wargny Drieghe

La psychologue Valérie Dupuy Lafon nous parle du burn out, un épuisement physique et psychique de l’organisme.

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- Pourquoi docteur : de quoi parle-t-on quand on évoque le terme de burn out ?

Valérie Dupuy Lafon : Le burn out est un épuisement de l’organisme, à la fois physique et psychique. Il est reconnu dans le cadre de la classification internationale des maladies comme problème associé à l’emploi. Trois dimensions le caractérisent : le manque d’énergie et/ou l’épuisement, un retrait vis-à-vis du travail avec des sentiments de négativisme ou de cynisme liés au travail, et également, une perte d’efficacité professionnelle avec le réflexe de travailler plus pour compenser mais de façon inefficace, ce qui fait perdre la confiance en soi et en ses compétences professionnelles. Ces éléments sont plus ou moins forts selon l’individu.

Burn out : "les constantes biologiques sont effondrées"

D’un point de vue plus médical, on se réfère aux trois phases du stress : la phase d’alarme (adaptation à un stress ponctuel), la phase de résistance (quand on vit du stress chronique et qu’on tente d’y faire face de façon prolongée) et la phase d'épuisement de l’organisme caractérisée par une fatigue extrême avec l’impossibilité de continuer à travailler. Le burn out correspond à cette phase : les constantes biologiques sont effondrées, “brûlées” comme l’indique le terme anglais.

Comment peut-on se rendre compte que l’on souffre de ce syndrome ?

C’est beaucoup l’entourage qui le remarque car cela intervient dans une certaine continuité. La plupart des patients que je reçois reconnaissent avoir vécu ces symptômes : la fatigue, avec au fur et à mesure l’utilisation de produits soit pour tenir le coup, soit pour se calmer (café, tabac, alcool, médicaments, boissons énergisantes…) ; des migraines (surtout au niveau des tempes et du front) ; des palpitations ; l’impression que le corps chauffe pendant le travail ; des tension dans le dos et la nuque ; des modifications de l’alimentation en allant souvent vers des aliments plus sucrés, avec prise ou perte de poids ; des troubles du sommeil ; de l’anxiété ; des difficulté de concentration ; de l’irritabilité.
Tous ces signes montrent que le corps est en suradaptation et qu’il réagit à la surcharge d’activité. Le corps fonctionne alors sous cortisol, l’hormone du stress, ce qui va l’épuiser. La personne se sent “sur les nerfs”, elle est en activité constante pour maintenir son énergie. Malgré la fatigue très présente, elle n’arrive pas à se relâcher, à se détendre, et des troubles du sommeil apparaissent ou s’aggravent (difficultés d’endormissement, réveils nocturnes, etc).

"Ce syndrome s'installe souvent chez quelqu’un qui est très investi dans son travail, très engagé"

Certains facteurs liés au quotidien ou à la personnalité peuvent-ils favoriser l’apparition d’un burn out ?

Ce syndrome s'installe souvent chez quelqu’un qui est très investi dans son travail, très engagé. D’ailleurs, le terme est à l’origine apparu pour le personnel soignant, dont on connaît l’investissement professionnel.
Dans un premier temps, la personne se plaît dans ses tâches et s’y consacre pleinement. Puis cette suractivité commence à déborder sur la vie familiale et sociale. Au cours des mois ou des années qui suivent, il y a souvent une anxiété qui se manifeste, en lien avec une surcharge de travail ou un manque de moyens alloués pour réaliser les missions, et cela s’aggrave par la crainte de ne plus être aussi efficace et performant, ou de perdre le sens de son travail. La peur de mal faire est compensée par la volonté de travailler davantage, mais sans succès... Jusqu’à l'effondrement, qui survient parfois brutalement, un matin, par l'impossibilité de se lever pour aller travailler mais également par des signes de dépression, la personne ayant perdu toute confiance en ses capacités.

Je vais vous donner l’exemple d'un de mes patients qui est arrivé en burn out en 2021. C’est une personne qui a toujours beaucoup travaillé, avec un poste à responsabilité. Jusque-là, tout allait bien pour lui et il se sentait capable de résister à toutes les difficultés professionnelles. Il faisait beaucoup de sport. Et puis le confinement en 2020 est arrivé, il a arrêté toute activité sportive, n’a plus eu de limites horaires en télétravail, il a pris du poids… Tout son équilibre s’est effondré et il a perdu toute confiance en lui, en ses compétences professionnelles, en ses capacités de résistance. Il a maintenant appris à reconstruire un équilibre qui tient compte de ses besoins, qui écoute son corps quand il ressent des manifestations de stress. Il se pose des limites et consacre du temps à ce qui lui fait du bien, ce qui lui donne du plaisir. Cet individu a pu reprendre un poste à responsabilité mais il veille constamment à son mode de vie : son rythme et son hygiène de vie sont ses priorités.

3 conseils de psy pour éviter le syndrome d'épuisement professionnel

Concrètement, que peut-on mettre en place au quotidien pour éviter cet épuisement ?

D’abord, il faut se rappeler que nous ne sommes pas des surhommes ! Les Superman et Superwoman n’existent pas dans la vraie vie. Nous sommes humains, nous avons des faiblesses et des limites, et notre corps a les siennes, qui évoluent en fonction des périodes de notre vie et nous devons l’écouter, le respecter.
Ensuite, il faut trouver ce qui nous redonne de l’énergie, ce qui recharge nos batteries. Cela sera différent pour chaque personne : voir des amis, écouter de la musique, chanter, se promener en forêt, écrire… à chacun de penser à se donner des rendez-vous avec soi-même pour se faire du bien, sans culpabilité.
Enfin, il faut introduire toute activité qui nous aide à évacuer ou apaiser le stress : des activités physiques ; des techniques de respiration (cohérence cardiaque, méditation ou Yoga, Taï Chi Chuan, Qi Gong qui sont aussi très bénéfiques et permettent un recentrage et une véritable écoute du corps et de ses limites dans une temporalité adaptée) ; faire des petites pauses dans la journée ; veiller à son alimentation ; et pourquoi pas utiliser des huiles essentielles équilibrantes et tonifiantes.

Le quiet quitting serait-il une façon pour certains de se protéger du burn out ?

Le quiet quitting, ou démission silencieuse, est peut-être un fonctionnement mis en place pour éviter le burn out, en tout cas pour éviter que la vie professionnelle n’empiète sur la vie personnelle, tout en maintenant sa stabilité financière et son statut professionnel. Il s’agit de salariés qui se protègent de tout dépassement horaire, de dépassement de tâche… c’est certainement une attitude professionnelle en réaction à la perte de limites dans de nombreux milieux professionnels, notamment du fait des moyens de communication (appels, mails, etc) et du télétravail, avec de plus en plus de salariés qui reçoivent des mails ou sms professionnels le soir, le week-end, ce qui est très envahissant.

Le quiet quitting est "une tentative désespérante" d'éviter le burn out

Il me semble cependant que c’est une tentative désespérante, car même si cela paraît être une stratégie d’adaptation à un environnement professionnel qui impose beaucoup de pressions, je ne pense pas que ce soit une solution à long terme. L’insatisfaction au travail, le manque de reconnaissance et le manque de plaisir empêchent l’épanouissement professionnel.

On parle beaucoup de burn out dans le milieu du travail, mais il existerait aussi un burn out familial…

C’est vrai, on parle aussi de burn out parental. Je reçois fréquemment des parents épuisés et déprimés avec le sentiment de ne pas y arriver. Des mères de familles nombreuses, des “parents solo” (père ou mère), ou encore des jeunes mamans qui assument jusqu’à épuisement les rôles de maman, de compagne et de professionnelle, avec peu ou pas d’aides (conjoint sollicité au minimum ou absent, grands-parents et familles éloignés ou encore en activité, etc). La fatigue, l’isolement, le sentiment de ne pas y arriver, de ne pas être à la hauteur, peuvent alors conduire à une perte de confiance en soi, menant à un repli sur soi dépressif.
Les associations de parents et les éducateurs peuvent être d’un grand soutien. Cela permet aussi de faire des rencontres avec d'autres parents qui vivent des difficultés similaires, s’écoutent et se conseillent. Savoir qu’on n’est pas seul et échanger des savoir-faire ou des astuces peut apporter un grand soulagement, notamment aux parents d’adolescents, eux-mêmes bien bousculés durant cette période.

Détresse psychologique : "ne surtout pas s’isoler et oser demander de l’aide"

Que ce soit dans un trop plein professionnel ou familial, comment une personne peut-elle s’en sortir ?

Il va falloir recharger les batteries et les réserves de l’organisme, construire et veiller à son équilibre en écoutant ses besoins. Il ne faut surtout pas s’isoler et oser demander de l’aide et parler de ses difficultés car bien souvent, on imagine être seul à ne pas y arriver alors que c’est faux, et qu’on peut trouver du soutien, des conseils auprès des autres. Il faut également apprendre à accepter ses limites et ne pas culpabiliser, penser à être indulgent avec soi, accepter de ne pas être parfait et de ne pas tout faire parfaitement.

Il faut également demander de l’aide à des professionnels de santé. Un individu en burn out doit consulter son médecin pour être arrêté au moins quelques semaines, afin de prendre conscience de sa situation, de ce qui l’a mené là, dans le but ensuite de changer son mode de vie par rapport au travail. L’accompagnement psychologique est important pour lever la culpabilité, la perte de confiance en soi, être aidé à écouter son corps et ses besoins, et accepter de réaménager son équilibre de vie autrement.
Concernant les traitements, c’est le médecin qui va évaluer si la personne en a besoin ou pas, notamment pour les troubles du sommeil ou les symptômes dépressifs. Les médecines douces, comme l'aromathérapie, peuvent aider à apaiser l’anxiété et les troubles du sommeil. 

Pour en savoir plus : “Émotions, stress, sommeil : comprendre et agir avec l'aromathérapie et des conseils psy” de Valérie Dupuy Lafon et Catherine Chevallier, aux éditions Grancher