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Faible couverture vaccinale

Polio : pourquoi l'Europe a des raisons de s'inquiéter

Par Afsané Sabouhi

La résurgence de la poliomyélite au Proche-Orient inquiète les experts et pourrait menacer les pays d'Europe à faible couverture vaccinale, ce qui n'est pas le cas de la France.

Campagne de vaccination UNICEF contre la polio, le 29 octobre dernier à Damas en Syrie. Omar Sanadiki/AP/SIPA

L’émergence de la polio en Syrie et en Israël menace l’Europe. C’est le titre de la tribune de deux experts allemands publiée dans la revue médicale The Lancet. En fin de semaine dernière, c’était le journal Nature qui faisait état de l’inquiétude de l’Union Européenne et de l’Organisation mondiale de la santé face aux 22 cas de poliomyélite confirmés dans le Nord-Est de la Syrie. L’exil quotidien de milliers de réfugiés fuyant les combats facilite l’expansion de cette maladie paralysante et incurable et complique l’organisation de campagnes de vaccinations.


Une couverture vaccinale insuffisante dans certains pays

Les autorités sanitaires s’inquiètent donc de voir la polio ressurgir sur le continent européen, d’autant que de nombreux pays ont baissé la garde et ont désormais une couverture vaccinale insuffisante pour assurer la protection de leur population si des cas d’infections survenaient. Martin Eichner et Stefan Brockmann, les deux experts allemands signataires de la tribune du Lancet pointent notamment du doigt la Bosnie-Herzégovine, l’Ukraine et l’Autriche. En France, en revanche, le vaccin contre la poliomyélite fait partie des vaccinations infantiles obligatoires, la couverture vaccinale est donc très bonne dans les jeunes générations. En revanche, les adultes ne sont plus forcément bien protégés s’ils ne sont pas à jour dans leurs rappels.

 

Ecoutez le Pr Jean-Paul Stahl, chef du service des Maladies Infectieuses au CHU de Grenoble : « En France, vu la couverture vaccinale et le système de surveillance, il pourrait y avoir des cas isolés mais je ne crois pas à une épidémie de masse. »



En France, la polio est en effet une maladie à déclaration obligatoire, ce qui signifie qu’un médecin qui la diagnostique en informe immédiatement les autorités de surveillance sanitaire. Mais les auteurs de la tribune du Lancet s’inquiètent également de la propagation silencieuse du virus. Le vaccin inactivé injectable utilisé pour la vaccination de routine en Europe prévient en effet la survenue de la maladie mais pas l’infection par le virus de la polio.


Aucun stock de vaccin oral

Les auteurs ont donc calculé que le virus pourrait circuler pendant un an avant qu’un cas de maladie ne se déclare, permettant aux systèmes de surveillance de repérer le retour de la poliomyélite. « La seule vaccination des réfugiés syriens doit être considéré comme insuffisante, écrivent les deux spécialistes allemands qui regrettent que les Etats de l’Union Européenne n’aient aucun stock du vaccin oral contre la polio, plus pratique et de ce fait utilisé dans les campagnes massives de vaccination.


Ecoutez le Pr Jean-Paul Stahl
: « Pour les vaccinations de routine, on préfère le vaccin injectable au vaccin pour éviter tout risque que la personne vaccinée ne développe la polio. »


 

Pour Jean-Paul Stahl, la menace que représentent pour la France les cas de polio constatés ces derniers mois en Syrie et en Israël n’est pas suffisante pour nécessiter une « vaccination de crise » avec ce vaccin oral. « Ce serait même déraisonnable, on prendrait un risque beaucoup plus grand que celui que l’on veut éviter, souligne l’infectiologue. Mais attention, je ne dirais évidemment pas la même chose pour les populations qui côtoient les réfugiés en Turquie ou au Liban ! »


Si la polio semble bien de retour aux portes de l’Europe, comme la presse médicale s’en fait l’écho, la menace n’est donc pas si imminente. En revanche, les besoins sanitaires de la population syrienne sont immenses et le peu d’acteurs humanitaires présents sur place ne parviennent pas à remplacer le système de santé dévasté du pays, d’autant que le gouvernement de Damas entrave l’acheminement de l’aide humanitaire dans les zones du Nord du pays qu’il ne contrôle plus. Une situation notamment dénoncée par MSF, qui réclame des Nations Unies la même détermination à régler la question de l’accès à l’aide humanitaire que celle des armes chimiques.