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L’interview du week-end

Addiction à la chicha : "Elle est plus banalisée que la cigarette, pourtant, il s’agit du même produit"

Par Geneviève Andrianaly

"Chicha" ou "narguilé". Cette pipe à eau fait un tabac dans le monde entier. Depuis plusieurs années, sa consommation est devenue de plus en plus courante, en particulier chez les jeunes. Pourtant, elle n’est pas sans risque et peut entraîner une dépendance. Alice Deschenau, cheffe du service addictions à l’hôpital Paul Guiraud, nous éclaire sur les dangers de cette pratique devenue un phénomène de société.

standret/iStock

- Pourquoi docteur : Selon un rapport de l’Observatoire Français des Drogues et des Tendances Addictives (OFDT), l’année 2021 a été marquée par une hausse des volumes de produits contenant du tabac à chicha. Chez les jeunes, la consommation exclusive de narguilé s’est stabilisée et semble jouir d’une image plus positive que la cigarette. Mais pourquoi existe-t-il cette perception erronée selon laquelle la chicha est moins nocive ?

Alice Deschenau : Fumer la chicha est une forme de tabagisme. Cette pipe à eau, qui séduit de plus en plus de personnes par son aspect convivial, est plus banalisée que la cigarette, pourtant, il s’agit du même produit. Le narguilé a moins mauvaise presse, car le tabamel, à savoir un mélange de tabac et de mélasse aromatisée, est sucré et parfumé. En clair, ce dernier passe dans l’eau de la chicha, ce qui rend la fumée humide, sucrée et moins agressive au contact des muqueuses. Quand on l’inhale, c’est moins désagréable en termes de sensation, mais le contenu est le même.

Chicha : "Une session revient à fumer un paquet de cigarettes"

Fumer la chicha est-il plus dangereux qu’avoir recours à des cigarettes ?

La chicha est aussi nocive que la cigarette, car c’est du tabac. Une session de narguilé revient à fumer un paquet de cigarettes. De plus, l’usage de cette pipe à eau augmente les risques d’intoxication au monoxyde de carbone car la chicha est consommée dans des espaces clos. Résultat : la fumée stagne dans l’air. Ce tabagisme passif pèse sur ce que les fumeurs inhalent.

En raison de la perception tabacologique positive du narguilé, certains consommateurs n’ont pas conscience qu’ils peuvent y être accros. Mais comment se caractérise une addiction à la chicha ?

En effet, le tabac à chicha a un véritable effet addictif, car il contient de la nicotine, à savoir une substance très active. Une addiction se caractérise par le fait de consommer davantage de produit pour sentir ses effets et des "cravings", c’est-à-dire l’envie irrépressible de fumer pour être soulagé. Autres éléments marquant la dépendance : la perte de contrôle et le fait de dépenser plus d’argent ou de consacrer plus de temps à fumer la chicha au détriment d’autres activités. Bien que cette consommation ait des conséquences sur la vie sociale et la santé, les personnes accros ne réussissent pas à réduire ou à arrêter de fumer.

"6,2 % des élèves de 3ème confient être des fumeurs de chicha"

Addiction à la chicha : quel est le profil des patients ?

En général, c’est un public jeune, qui a fait ses premières expérimentations pendant l’adolescence. D’après l’OFDT, la moitié des jeunes de 17 ans déclarent avoir déjà fumé la chicha en 2017. En 2021, un autre de ses rapports indique que 6,2 % des élèves de 3ème confient être des fumeurs de chicha. Au cours de la même année, les niveaux de consommation de chicha étaient plus élevés chez les garçons (23 % contre 16,9 % chez les filles).

Quelles sont les causes de cette dépendance ?

Les expérimentations avec les copains et les copines peuvent être à l’origine d’une addiction. L’environnement social et familial peut aussi contribuer au développement de la dépendance, par exemple s’il y a des narguilés à la maison.

Santé mentale : la chicha favorise une humeur dépressive 

Quelles sont les conséquences sur la santé ?

Fumer la chicha entraîne les mêmes risques liés au tabagisme. En clair, une consommation de narguilé augmente les risques cardiovasculaires (infarctus du myocarde, AVC, hypertension…), respiratoires (asthme, allergies…) et cause la survenue de cancers (poumon, vessie, sein, gorge, œsophage…). Il ne faut pas aussi oublier l’impact du tabac sur la santé mentale. Ce produit génère du stress, de l’anxiété et favorise une humeur dépressive.

Comment est diagnostiquée une addiction à la chicha ?

Cette dépendance est détectée par un professionnel de santé. En France, certains dispositifs permettent aux jeunes de faire un point sur leur consommation. C’est le cas des consultations jeunes consommateurs (CJC), dont l’objectif est d’accueillir les jeunes usagers pour éventuellement leur proposer une aide avant que leur consommation ne devienne problématique.

Narguilé : "Bien entretenir son matériel pour éviter l’accumulation de substances"

Chicha : comment lutter contre cette dépendance ?

Dans le cadre d’une addiction à la chicha, le sevrage tabagique varie en fonction des consommateurs et de leur utilisation du narguilé. Pour venir à bout de cette dépendance, ils peuvent se tourner vers des substituts nicotiniques, tels que des patchs, des sprays, des pastilles ou des gommes. Le recours à la cigarette électronique peut aussi être envisagé. Actuellement, deux médicaments peuvent aussi permettre d’arrêter de fumer. En cas d’addiction au narguilé, il convient également de faire un travail comportemental, par exemple se poser des questions sur la place de la chicha durant des moments entre amis.

Comment peut-on limiter les risques liés à la consommation de chicha ?

L’idéal est de fumer la chicha en extérieur. Si le tabac est consommé dans un espace fermé, il convient d’aérer la pièce pendant et après la session. Autre conseil : arrêter de fumer dès que des symptômes, tels que des maux de tête, apparaissent. Il est aussi recommandé de limiter les sessions et de bien entretenir son matériel pour éviter l’accumulation de substances dans les contenants.