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L’interview du week-end

Infertilité : « Je reçois de plus en plus de personnes qui s’interrogent sur le don de sperme ou d’ovocytes »

Par Mathilde Debry

En France, un couple sur quatre a des difficultés à concevoir un enfant, des chiffres qui ne cessent de progresser. Pour les aider à traverser cette épreuve, la thérapeute Déborah Schouhmann-Antonio les écoute et les conseille depuis de nombreuses années. Voici ce qu’elle retire de ces centaines de consultations.  

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Pourquoi docteur - Vous vous êtes spécialisée dans la prise en charge de personnes confrontées à l’infertilité. Pourquoi ce choix ?

Déborah Schouhmann-Antonio - Cela fait effectivement douze ans que je me suis formée à cette problématique, car j’ai moi-même suivi un long parcours de PMA. Cela me donne un vocable commun avec les couples que je rencontre, car je ne conceptualise pas le sujet, je le connais.

Quel est généralement le déclencheur qui pousse les personnes infertiles à vous consulter ?

La plupart du temps, lors du premier entretien, les gens me disent qu’ils ne se reconnaissent plus depuis qu’ils ont été confrontés à l’infertilité, et qu’ils n’aiment pas ce qu’ils sont devenus.

Quelles émotions peuvent générer les difficultés à avoir un enfant ?

Ne pas réussir à avoir un enfant naturellement est une vraie épreuve de vie, qui génère de nombreux sentiments négatifs : colère, agacement, tiraillements, échec, désespoir, envie, honte, culpabilité, jalousie, tristesse, isolement, sentiment d’injustice, rumination, baisse d’estime de soi et de la confiance en soi...

Vous évoquez souvent "le syndrome de la PMA". Pouvez-vous nous expliquer ce que c’est ?

Je parle du "syndrome de la PMA" quand le projet bébé se met à empiéter sur toute la vie : l'évolution professionnelle, les vacances, les sorties entre amis, etc. Ce qui était très agréable au début devient obsessionnel.

L’infertilité peut-elle conduire à développer des problèmes psychiatriques plus graves, comme la dépression ou un trouble anxieux ?

Oui, notamment chez les personnes fragiles, qui ont déjà fait des dépressions par exemple. Il m’arrive d’envoyer des patients chez le psychiatre.

En quoi l’infertilité est-elle dure à vivre pour le couple ?

Souvent, la pression mis par l’entourage amical ou familial autour de la parentalité est difficile à vivre pour un couple qui n’arrive pas à concevoir naturellement. C’est aussi parfois compliqué de voir les gens du même âge avoir des enfants lorsqu’on n’y arrive pas.

Ensuite, les démarches médicales impactent généralement la sexualité, car les couples en PMA ont tendance à délaisser les ébats récréatifs, ce qui éloigne les personnes. L’infertilité peut aussi créer des conflits, car les deux membres du couple n’évolue pas forcément au même rythme ou n’accepte pas les mêmes choses.

Généralement, les couples déjà fragiles ne résistent pas à ce genre de difficultés. En revanche, il y a des couples que l’adversité renforce, in fine.

Et pour les femmes ?

Concernant particulièrement les femmes, beaucoup supportent mal l’impact des traitements hormonaux sur leur corps, car ils laissent des traces et font parfois grossir ou gonfler. Elles souffrent aussi de l’idée ancrée dans notre société "que l’on n’est pas une femme à part entière si l’on n’est pas mère", ce qui est complètement faux bien sûr.

Et pour les hommes ?

Les hommes dont le sperme n’est pas qualitatif ont souvent l’impression que cela remet en cause leur virilité. Par ailleurs, beaucoup se sentent coupables, car ce sont les femmes qui suivent les traitements, généralement lourds à supporter physiquement et psychologiquement.

Avez-vous constaté, au cours de vos 12 ans de pratique, des changements au sein de vos consultations ?

Déjà, il y a de plus en plus de personnes qui me consultent. Ensuite, elles ne viennent plus forcément en bout de course mais parfois avant de se lancer dans un parcours en PMA, pour évaluer s’il elles veulent vraiment y entrer, ce qui est nouveau. Je reçois aussi de plus en plus d’hommes infertiles et des personnes qui s’interrogent sur le don de sperme ou d’ovocytes. Enfin, beaucoup de patients me sont désormais adressés par des médecins, ce qui n’était pas forcément évident lorsque j’ai commencé à travailler dans ce domaine.

Justement, pensez-vous que l’aide psychologique devrait systématiquement être proposée dans les parcours de PMA ?

Oui, ce serait une bonne chose. Après, libre à chacun de consulter ou pas.

Que conseillez-vous aux personnes qui sont confrontées à l’infertilité ?

Je leur conseille d’abord de consulter plusieurs spécialistes, car avoir différents avis aide à prendre la bonne décision. Quand je parle de "bonne décision", je veux dire par là une décision en accord avec soi-même et avec son partenaire. C’est très important, car au-delà des adultes, c’est l’avenir de l’enfant à naître qui est en jeu : regretter par exemple un don d’ovocyte peut avoir des conséquences désastreuses dans le développement d’un tout-petit.

Concernant les personnes en couple, je leur conseille également d’essayer de communiquer au maximum avec l’autre, même si les choses ne sont parfois pas faciles à dire. Beaucoup de couples mentent aussi à leur entourage concernant leurs problèmes, ce qui, je pense, n’est pas supportable sur le long terme.

Enfin, j'invite à être indulgent envers soi-même, c’est-à-dire de s’autoriser à être en difficulté, à être malheureux, à dire sa désespérance, à montrer sa faiblesse. C’est difficile, car nous sommes dans une société où les réseaux sociaux ne véhiculent que des choses positives et des vies parfaites.

Un dernier mot sur ceux qui n’arrivent pas à avoir d’enfant, malgré toutes leurs démarches ?

On a tendance à les oublier et à ne retenir que les belles histoires. Pourtant, il y a des personnes qui, malgré tous leurs efforts, n’y arrivent pas, et mon métier consiste aussi à les préparer à cette option. Ce n’est pas évident, parce que le désir de parentalité diminue avec le temps, mais ne disparait jamais vraiment : ce n’est malheureusement pas un bouton qu’on allume ou qu’on éteint ! Mais c’est possible de vivre heureux sans enfant, surtout si on est allé au bout de tout ce que l’on pouvait faire, sans dépasser ses limites.