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Santé mentale

L’épigénétique au service du traitement de la dépression

Par Charlotte Arce

En utilisant des modulateurs épigénétiques, des chercheurs de l’université de São Paulo (Brésil) sont parvenus à diminuer plus rapidement le niveau de dépression induite par le stress qu'avec des médicaments classiques du type antidépresseurs.

tadamichi/iStock
En inhibant méthylation de l'ADN, dont l'action est à l'origine du comportement dépressif, le traitement épigénétique agit plus efficacement que le traitement standard que sont les antidépresseurs.

Touchant plus de 300 millions de personnes dans le monde selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la dépression est une maladie mentale qu’il est encore aujourd’hui difficile à traiter. Les antidépresseurs existants ont un effet faible, voire nul, chez près d’un patient sur deux. Il faut par ailleurs un certain temps – trois à cinq semaines environ – pour que le traitement commence à produire des effets sur l’humeur et sur l’anxiété.

Depuis quelques années, les scientifiques sont donc à la recherche d’une autre voie, plus efficace et plus rapide, pour traiter la dépression. Des chercheurs affiliés à l'Université de São Paulo (USP) au Brésil ont peut-être trouvé la solution. Dans la revue Molecular Neurobiology, ils expliquent avoir utilisé des modulateurs épigénétiques pour "effacer" les conséquences du stress, l’un des principaux déclencheurs de la dépression, afin de mieux traiter la maladie.

Inhiber la méthylation de l'ADN

L'exposition au stress modifie certains marqueurs épigénétiques dans le cerveau. Beaucoup de ces altérations se produisent dans les gènes associés à la neuroplasticité, la capacité du cerveau à se modifier en réponse à l'expérience. Le stress augmente la méthylation de l'ADN dans ces gènes, un processus qui régule l’expression des gènes. La plupart des antidépresseurs existants sont conçus pour réduire ce processus.

Dans le cadre des travaux, les chercheurs se sont intéressés à l’action du BDNF (brain-derived neurotrophic factor, en anglais), une protéine du système nerveux dont les effets sur la régulation de la plasticité neuronale sont bien connus.

"Le stress réduit l'expression du BDNF et, comme le montre la littérature, les antidépresseurs n'ont aucun effet si la signalisation du BDNF est bloquée. C'est pourquoi nous nous sommes concentrés sur le BDNF", explique Sâmia Joca, professeure à l'USP et à l'Université d'Aarhus (Danemark).

Les chercheurs ont testé l'hypothèse selon laquelle le stress augmente la méthylation du gène BDNF, réduisant son expression et que cette réduction entraîne comportement dépressif. Ils ont donc voulu administrer un modulateur génétique qui inhibe la méthylation de l'ADN, afin de vérifier si alors les niveaux de BFNF restent intacts et s’ils constatent alors un effet antidépresseur. "Si l'effet antidépresseur est effectivement lié à la normalisation du profil de méthylation, de sorte que les médicaments classiques mettent du temps à agir parce qu'il faut du temps pour éliminer les altérations induites par le stress, nous avons imaginé que la modulation directe de ces mécanismes épigénétiques produirait rapidement l'effet. Nous avons constaté que c'était effectivement le cas", poursuit la chercheuse.

Des tests concluants sur des rongeurs

Deux médicaments ont ainsi été testés sur des rats : l’un totalement expérimental, l’autre habituellement prescrit pour traiter les gliomes. Pour mieux distinguer les effets entre le traitement chronique (les antidépresseurs) et le traitement épigénétique, les chercheurs ont exposé les rats à un stress inéluctable, suivi sept jours plus tard d'une situation dans laquelle il était possible d'éviter le stress en passant de l'autre côté de la chambre dans laquelle ils se trouvaient.

Les résultats ont montré que les animaux stressés avaient eu plus de mal à apprendre ce comportement d’évitement que ceux qui n’avaient pas été soumis à un stress intense. Cette tendance a cependant été atténuée par un traitement chronique avec des antidépresseurs classiques et un traitement aigu avec des modulateurs épigénétiques.

Ce modèle, appelé de l’impuissance acquise, est "similaire à la dépression chez l'homme, au sentiment que la personne ne peut rien faire pour améliorer la situation", détaille Sâmia Joca. "Le modèle a été validé et a montré que lorsqu'ils étaient traités en continu avec des antidépresseurs, les animaux revenaient à la normale et ressemblaient à des animaux non stressés sur le plan comportemental. Cependant, cela ne s'est produit que s'ils étaient traités de manière répétée. Il en va de même pour les personnes dépressives, qui doivent prendre le médicament en continu. Une seule dose n'a pas d'effet aigu."

Un autre test, dit de la nage forcée, a été utilisé pour stresser les rats. Là encore, les antidépresseurs classiques ont réduit le niveau de dépression induite par le stress, mais les modulateurs épigénétiques se sont avérés avoir un effet antidépresseur plus rapide.

"En 2010, nous avons publié un article montrant que ces médicaments avaient un effet antidépresseur. Peu de temps après, nous avons publié un autre article montrant que le traitement antidépresseur modulait la méthylation de l'ADN. Le point intéressant de cette dernière étude était la production de l'effet antidépresseur au moyen d'une intervention aiguë. C'est la première fois que des modulateurs épigénétiques se sont avérés avoir un effet antidépresseur rapide", souligne la chercheuse, qui espère désormais mener d’autres travaux pour, à terme, mettre au point un traitement épigénétique qui qui inhibe la méthylation de l'ADN.