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Entretiens

Réouverture éventuelle des écoles : les enseignants et les parents inquiets

Par Anaïs Col

Les enseignants et les parents d'élèves réagissent massivement sur les réseaux sociaux depuis l'annonce d'une éventuelle réouverture progressive des établissements scolaires le 11 mai. Nous leur avons donné la parole : qu'en pensent les principaux intéressés ?

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Lors de sa dernière allocution, Emmanuel Macron a annoncé la réouverture progressive des crèches et des établissements scolaires à compter du 11 mai. “Trop d'enfants, notamment dans les quartiers populaires, dans nos campagnes, sont privés d'école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents, c'est pourquoi nos enfants doivent pouvoir retrouver le chemin des classes”, a justifié le chef de l'Etat. 

Peu d'informations ont cependant été communiquées sur les modalités de cette reprise scolaire. “Tout le monde ne rentrera pas au même moment, c’est déjà certain, a précisé sur France 2 le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Jean-Michel Blanquer. Quand on parle de retour progressif, cela implique forcément que l’on n’aura pas les mêmes âges qui rentreront au même moment à l’école.”

“Nous sommes impréparés à la situation”

Je trouve qu'une nouvelle fois nous sommes impréparés à la situation, nous explique madame Benoît, professeure de français dans un collège seine-et-marnais. Nous avons 870 élèves et sommes 100 enseignants et autres personnels, même en reprenant de façon échelonnée, matériellement c'est impossible de maintenir les gestes barrières et les mesures de distanciation. J'ai moi-même 4 enfants, comment faire si la reprise est progressive et que tous les âges ne reprennent pas au même moment ? Nous sommes dans un flou absolu.”

Les déclarations du ministre de l’Éducation nationale ont suscité la curiosité des enseignants : “Quels élèves fait-on fait revenir, une moitié ? Un tiers ? Procède-t-on par ordre alphabétique ? Fait-on revenir ceux qui ont décroché, mais dans ce cas, on les exposerait plus que les autres. Ou les volontaires, mais là on creuserait des inégalités…"

La professeure s'interroge sur la logistique à mettre en place dans l'enceinte de l'établissement : “Comment fera-t-on dans les couloirs? On échelonne les déplacements? Et à la cantine?” Bien entendu, le confinement a rendu l'apprentissage des enfants difficiles: “Seulement 10% des élèves me rendent leurs devoirs”. Toutefois, pour Madame Benoît, “des logiques prévalent et ont entraîné des annonces sans modalités concrètes.” 

“Les raisons sont économiques, pas sanitaires”

Un point de vue partagé par Sylvie, enseignante dans plusieurs écoles Rep + (Réseau d’éducation prioritaire renforcé) à Orly : “Ils veulent remettre les enfants à l'école pour permettre aux parents de retourner travailler. Les raisons sont économiques, pas sanitaires”. Pour elle aussi, à l'heure actuelle, la logistique de cette reprise scolaire s'avère périlleuse : “Ils parlent de faire des petits groupes, mais dans des classes de 35 ce n'est tout simplement pas possible de faire des groupes de 10. Et où trouvera-t-on les enseignants ?

Sylvie enseigne à des enfants de 2 ans et demi à 11 ans, maintenir les gestes barrière à cet âge lui parait impossible : “J'ai des élèves de toute petite section, ils mettent tout à la bouche, me touchent tout le temps. Nous avons aussi des élèves autistes qui sont très tactiles. Comment leur expliquer ? Les enfants jouent à chat, se touchent les uns les autres, même s'il y a urgence pour les enfants défavorisés et que mes élèves me manquent, ouvrir les petites classes serait risqué.” 

“On envoie les enfants au front”

“Je suis partagée, nous confie Nabilla, surveillante dans un collège de près de 1000 élèves. Mon fils est en troisième section de maternelle, il commence à tenir le stylo, à écrire, mais souffre de problèmes de motricité. Je n'ai pas les techniques des personnels pédagogiques pour lui apprendre à le maintenir de façon adéquate sans occasionner de futurs problèmes de poignet, bras ou dos… Il a besoin de reprendre, mais je suis inquiète quand même”. Consciente des conséquences du confinement sur les élèves, Nabilla se sent néanmoins prête à reprendre le travail : “Nous avons des élèves issus de familles défavorisées, qui vivent en foyer, ou à l'hôtel, qui ont souvent beaucoup de retard, je veux reprendre par conscience professionnelle, pour eux.”

Les enfants seront-ils nombreux à reprendre le chemin de l'école ? Rose est maman de trois enfants de 3, 6 et 9 ans. Pour elle, pas question de les remettre à l'école cette année. "C'est trop tôt, on dirait que c'est expérimental et qu'on envoie les enfants au front, nous explique-t-elle. On nous dit qu'ils sont porteurs sains, est-ce donc une bonne idée d'envoyer des porteurs sains se côtoyer ? Même s'il y a du matériel de protection, ils ne respecteront pas le protocole. C'est surréaliste”. Selon elle, le contexte de travail ne sera pas non plus optimal si les enseignants doivent être à l'affût de chaque geste des enfants. “Je me rends bien compte que mon dernier a régressé, mais je sais qu'il rattrapera son retard l'année prochaine en moyenne section.”

“Il faut bien que la vie reprenne”

Selon Ricardo, papa divorcé de trois enfants de 4, 5 et 7 ans, les parents et les enseignants manquent tout simplement d'informations. “Ils veulent qu'on les remette à l'école mais ne nous parle pas des mesures et des modalités qui seront mises en place. Je suis inquiet pour leur sécurité, le gouvernement devrait d'abord nous dire comment il compte procéder. Si toutes les mesures sont prises, ça ne me dérange pas. Il faut bien que la vie reprenne”, estime-t-il, jugeant tout de même nécessaire que les personnels pédagogiques portent des masques au quotidien. 

Encore dépourvue de mesures concrètes, l'annonce d'Emmanuel Macron a engendré un vent de critiques parmi les Français, mais également au sein de l'opposition. Le premier ministre Edouard Philippe a répondu aux questions des députés et affirmé devant l'Assemblée nationale qu'il présenterait “un plan complet de sortie” du confinement “quand il sera prêt”, mais “largement avant la date du 11 mai”. “Il appartient au gouvernement de mettre en place les instruments, les méthodes, la doctrine d'emploi, la coordination nécessaire pour faire en sorte que ces objectifs rappelés par le président de la République soient atteints, c'est ce à quoi nous nous employons”, a-t-il déclaré. Ce plan devrait être présenté par l'exécutif fin avril voire début mai.