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Témoignage

Infirmière en réanimation, elle témoigne : “Nous n'avons pas de répit”

Par Barbara Azaïs

Une infirmière du service de réanimation d'un hôpital seine-et-marnais nous raconte le quotidien des personnels soignants qui tentent tout pour sauver les “patients Covid” et qui sont parfois, faute de moyens, obligés d'improviser.

Akiromaru/iStock

Manque de moyens, de places, de personnels, de matériel… Justine*, 28 ans, est infirmière dans le service de réanimation d'un hôpital seine-et-marnais et nous raconte le combat quotidien des personnels soignants qui tentent de sauver “les patients Covid” dans un état grave. 

Comment se déroulent vos journées de travail en pleine période de crise ?

Elles sont intenses, nous n'avons pas de répit, la charge de travail est multipliée par au moins 3, si ce n'est pas plus. Notre cadre de santé nous a averti que tous nos jours de repos sauteraient et que l'on devrait être disponibles tous les jours. Les roulements jour-nuit étaient déjà désorganisés avant cette crise, mais là nous pouvons les alterner la même semaine. Cela n'a rien à voir avec d'habitude, nous ne recevons plus le même profil de patients : ceux-là, sans le virus, n'auraient pas eu besoin d'être hospitalisés en réanimation. Nous avions 22 lits en réanimation et 12 lits en soins intensifs, nous en avons désormais 46, tous occupés par des patients infectés par le Covid-19. Nous avons eu un pic il y a deux semaines et le service s'est rempli en 2 jours. Nous ne savons même pas où sont nos patients habituels, s'ils ont été transférés ailleurs ou pas. 

Avez-vous reçu des renforts ?

Pour assumer les 46 lits, nous avons eu la chance de voir d'anciens collègues revenir : une infirmière libérale, un infirmier qui s'était reconverti a signé un contrat de nuit d'un mois pour nous aider, certains partis aux urgences pédiatriques sont revenus, de même que deux infirmières de dialyse spécialisées en réanimation, des étudiants en médecine et d'anciens infirmiers de réanimation partis se spécialiser en anesthésie sont revenus chez nous valider leur stage. Le week-end dernier, nous avons également reçu des renforts d'Avignon et de Marseille : des aides-soignants, des infirmiers et un médecin qui s'étaient inscrits sur les réserves sanitaires. Ils sont nourris et logés près de l'hôpital et des navettes assurent leurs déplacements. Ils n'ont pas forcement d'expérience en réanimation, mais ils nous aident. Même en sautant nos repos, nous n'aurions pas pu assumer 46 lits seuls.

Certains personnels soignants ont-ils été contaminés ?

Oui, deux médecins ont été testés positif, mais ils continuent à travailler car il ne s'agit pas d'une forme sévère et qu'on manque de médecins. Plusieurs d'entre nous ont eu des symptômes, mais nous n'avons pas été testés. Au début, lorsque nous avions pour consigne d'envoyer les patients Covid à Paris, j'ai eu quelques symptômes pendant 3 jours de repos. J'ai prévenu ma cadre, mais mon état s'est amélioré donc je suis retournée travailler. Quatre soignantes enceintes se sont mises en arrêt au début de la crise afin d'éviter tout risque de contamination. 

Votre service manque-t-il de matériel ?

Nous avons emprunté 12 lits à la pédiatrie pour réaménager le service, que nous avons transformés en lit de réanimation grâce à des respirateurs que nous avons reçus. Nous avons fait comme nous avons pu. Chaque matin, on nous donne deux masques chirurgicaux et deux masques FFP2 pour la journée. Tous les masques sont rangés sous clé, le stock est contrôlé. On nous demande de ne pas faire de gaspillage. En revanche, nous manquons de surblouses, alors on nous demande d'économiser les stocks et de garder la même durant toute la journée, alors qu'avant nous en changions entre chaque patient. Le contexte était déjà difficile avant cette crise sanitaire, mais nous ne manquions pas de matériels. Aujourd'hui, nous lançons des appels aux dons. La situation est telle que nous adaptons nos prescriptions. Les médecins nous demandent de mélanger certains médicaments pour économiser les seringues lorsqu'ils savent que cela ne représente aucun danger pour le patient. Les chefs de service font de leur mieux afin que l'on ne manque pas de médicaments.

Quelle est l'approche thérapeutique pour traiter des “patients Covid” en réanimation ?

La quasi-totalité des patients qui occupent les 46 lits sont des cas graves. Ils ont à peu près tous le même tableau clinique lorsqu'ils arrivent chez nous : une pneumopathie, c'est-à-dire une inflammation pulmonaire d'origine virale très hypoxémiante, ce qui signifie que la saturation d'oxygène dans le sang est très basse. C'est typique des patients Covid. On ne traite pas le virus, mais les symptômes. Pour cela, nous sommes obligés de les plonger dans un coma artificiel et de les ventiler. Les brancher à un respirateur permet de faire remonter l'oxygène dans le sang jusqu'au niveau dont on a besoin. Parfois, on les positionne sur le ventre, ce qui permet d'ouvrir les alvéoles dans les poumons et de favoriser leur oxygénation. 

Le problème est que lorsque le syndrome est aussi aigu, le coma peut durer au minimum 2 semaines, au maximum un mois. La prise en charge est assez longue, les patients restent donc au minimum 2 semaines en réanimation, il y a peu de roulement, ce qui nous empêche de traiter beaucoup de patients. L'analyse des gaz de sang et les paramètres sur le ventilateur nous permettent de connaître l'état respiratoire du patient et d'observer une éventuelle amélioration. Lorsque c'est le cas, le patient sort généralement vite. Samedi, on a sorti un patient du coma, son état était stable, donc il a été transféré en pneumologie dans la journée. 

Comment faites-vous pour maintenir la communication avec les familles et les informer de l'état de santé de leur proche hospitalisé ?

Les familles ne peuvent pas venir, l'hôpital est fermé à toutes les visites. Nous avons essayé de mettre en place 2 appels par jour (matinée et soirée) à un seul référent de la famille. Néanmoins, la charge de travail est telle que l'on n'a pas toujours le temps. Parfois, les médecins appellent, les internes, les familles nous contactent aussi de leur côté, on fait comme on peut, mais c'est compliqué. Dans l'ensemble, les familles sont compréhensives et savent que nous sommes débordées. 

Quel âge avait le patient décédé le plus jeune ?

Il avait 42 ans et était asthmatique. Une autre avait 58 ans et pas de pathologie grave. Des enfants Covid ont été hospitalisés mais uniquement par précaution. Il n'y avait pas de cas graves. Le plus jeune que j'ai vu en réanimation avait 37 ans. Les asthmatiques, les fumeurs, les personnes souffrant déjà d'une pathologie en lien avec les poumons ou d'une insuffisance cardiaque sont les plus à risque. 

Que pensez-vous des gens qui continuent à sortir malgré le confinement ?

Je pense que les gens ne se rendent pas compte de la gravité de la situation et qu'ils ne réalisent pas ce qu'il se passe. Ils se pensent à l'abri, mais vu les profils que nous recevons, même nous nous avons peur : nous ne recevons pas de patients âgés, malheureusement on ne les vois même plus. La campagne de sensibilisation doit s'intensifier. Les gens doivent comprendre que c'est important. Beaucoup sont sceptiques sur ce qu'ils entendent à la télé, c'est pour ça que mon chef de service accepte les journalistes dans le service, pour sensibiliser et appeler aux dons. C'est sérieux.

* Justine est un prénom d'emprunt