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Rhumatologie

Ostéoporose : le traitement préventif des fractures débute trop tard

Par le Dr Jean-Paul Marre

Contrairement à ce que disent les recommandations actuelles, le traitement préventif des fractures ostéoporotiques devrait commencer plus tôt, y compris à un stade où la perte d'os après la ménopause est encore modérée (ostéopénie). Changement de paradigme en vue.

yodiyim/istock

Béni soit le temps des génériques : on peut enfin faire des études indépendantes qui répondent à de vraies problématiques de santé et pas des études soumises aux diktats financiers des industriels ou des pouvoirs publiques.

Une étude indépendante de prévention des fractures ostéoporotiques chez les femmes après la ménopause va à l’encontre des recommandations officielles. Elle démontre que l’administration plus précoce d’un traitement anti-ostéoporotique chez des femmes à faible risque de fracture, réduit néanmoins celui-ci d’un tiers. Il suffit de traiter 15 femmes pour éviter une fracture, un ratio très faible et largement compatible avec les contraintes économiques de santé, surtout quand il s'agit d'un traitement déjà génériqué.

Enfin une étude logique dans l’ostéoporose

La plupart des fractures de fragilité après la ménopause survient chez des femmes qui n’ont encore qu’une faible perte d'os (ostéopénie densitométrique), mesurée par la densitométrie osseuse. Or les traitements anti-ostéoporotiques sont actuellement indiqués en cas d’ostéoporose densitométrique (c'est-à-dire celles qui ont un T score inférieur à -2,5 ds en densitométrie) et si possible après survenue d’une première fracture de fragilité.

La logique voudrait que si l’on veut réellement prévenir les fractures ostéoporotiques liées à la ménopause et au vieillissement, il faut instaurer le traitement avant le stade de la fracture, et donc chez des femmes qui ont une simple ostéopénie osseuse.

Cette réalité s’impose d’autant plus parce que nous ne disposons actuellement que de traitements anti-ostéoporotiques qui ne fabriquent pas beaucoup d’os (type anti-résorbeurs). Ceux-ci marchent d’autant mieux que la perte osseuse est limitée et qu’il reste encore une architecture osseuse à réparer, c'est-à-dire le plus souvent au stade de l'ostéopénie densitométrique.

Une étude indépendante sur l’ostéopénie

Une étude réalisée par l’état Néo-Zélandais a voulu vérifier l’efficacité d’un traitement anti-ostéoporotique chez ce type de femmes. Elle a testé l’efficacité d’un bisphosphonate génériqué, le zolédronate, administré par voie intraveineuse, une fois tous les 18 mois (ce qui a en plus l’avantage d’éliminer un biais lié à la non-observance du traitement).

Deux mille femmes de plus de 65 ans avec une ostéopénie densitométrique au fémur, c’est-à-dire un score compris entre -1,0 et -2,5 ds, ont été tirées au sort entre 2 stratégies de prise en charge : soit un ajustement a minima des apports vitamino-calciques avec des perfusion de soluté physiologique, soit les mêmes mesures hygiéno-diététiques, mais associées à une perfusion tous les 18 mois de 5 mg de zolédronate par voie intra-veineuse.

Une réduction d’au moins un tiers des fractures

A l’inclusion, ces femmes avaient en moyenne 71 ans, le Tscore était de -1,6 ds au fémur et le risque à 10 ans de fractures majeures était de 2,3%.

En dépit de ce faible risque théorique, 190 fractures ont été observées dans le groupe standard contre 122 dans le groupe traité, soit une réduction de 34% du risque relatif de fractures majeures au bout de 6 ans. L’efficacité reste préservée même si on exclue les femmes qui ont les densités osseuses les plus basses (en fait celles qui ont une ostéoporose densitométrique avec un T score < -2,5).

Cette réduction se décompose en une réduction de 34% du risque de fractures de fragilité autres que vertébrales (et en particulier la hanche), de 27% du risque de fractures symptomatiques (douloureuses et invalidantes) et de 55% du risque de fractures vertébrales (avec une moindre perte de taille). Tous ces résultats sont significatifs.

Validation de l’efficacité dans la meilleure indication

Cette étude est particulièrement intéressante car elle valide l’efficacité d’un traitement anti-ostéoporotique chez des femmes qui actuellement ne sont pas concernées par les traitements dans les recommandations, comme dans les autorisations de mise sur le marché de ces médicaments.

De plus, le traitement par le zoledronate IV est efficace même en étant administré tous les 18 mois dans cette étude, alors que dans son autorisation actuelle, dans l’ostéoporose, le délai d’administration est de 12 mois. Il semble donc nécessaire de rediscuter la fréquence d’administration de cette molécule pour passer à 18 mois d'intervalle entre les perfusions.

Cette étude valide donc les observations cliniques de nombreux médecins cliniciens qui reconnaissaient cette efficacité plus prolongée que celle de l’AMM, d’autant que d’autres études démontrent que l’effet sur le remodelage osseux peut se prolonger jusqu’à 5 ans.

Une belle étude sur 6 ans

Un grand coup de chapeau aux chercheurs qui ont réalisé cette étude et montrent qu’il est possible de faire des études de très bonne qualité pendant 6 ans (96% et 97% des malades encore suivis dans l'étude à son terme !).

Ils ont, en plus, apporté d’autres renseignements intéressants en analysant tous les effets secondaires. Ceux-ci sont consistants avec ce que l’on peut voir dans d’autres études avec les bisphosphonates et le zolédronate, avec cependant une moindre fréquence des cancers (significative) et une tendance à une moindre fréquence des accidents vasculaires. Ils observent 3 morts subites dans le groupe zolédronate au lieu d’une sous placebo : étant donné la rareté de l’événement, ce dernier chiffre peut être lié à une anomalie statistique.

Par contre, pour les autres différences, les études précédentes, sans être toujours significatives étaient déjà en faveur d’un effet bénéfique de certains bisphosphonates sur la survenue de cancers et des événements cardiovasculaires et la réduction de la mortalité. Ces 2 morts subites en plus peuvent être liés au hasard mais doivent nous rappeler de bien vérifier que le métabolisme vitamino-calcique est équilibré avant de réaliser la première perfusion (par un bilan phosphocalcique systématique).

Au final, quitte à vouloir prévenir les fractures, autant utiliser ces traitements anti-ostéoporotiques disponibles actuellement (anti-résorbeurs) avant la survenue de la première fracture de fragilité et ne pas se contenter de prévenir la récidive de fracture. Quand on dispose d’un traitement efficace, la survenue d’une seule fracture de fragilité est, du point de vue médical, un échec.