ACCUEIL > QUESTION D'ACTU > Obligation vaccinale : pas de rupture de stock à redouter

11 vaccins obligatoires

Obligation vaccinale : pas de rupture de stock à redouter

Par Audrey Vaugrente

Elargir l'obligation vaccinale d'ici le 1er janvier 2018, l'objectif semble réaliste. Laboratoires et pharmaciens sont prêts. Les médecins devront, eux, faire plus de pédagogie.

luiscarceller/epictura

C’était le 4 juillet. L’Assemblée nationale s’est rassemblée autour du Premier ministre. Edouard Philippe prononce son discours de politique générale. A cette occasion, il confirme l’évolution de la stratégie vaccinale en France. Plus précisément, l’élargissement de l’obligation à onze souches contre trois aujourd’hui (1).

C’est ensuite au tour de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, de préciser le calendrier. A compter du 1er janvier 2018, l’obligation sera effective. Ce qui laisse moins de six mois à toute une filière – allant de la production à l’injection – pour s’organiser. L’objectif est-il tenable ? C’est la question que Pourquoidocteur a posée aux parties concernées.

Les labos sereins

En amont de la distribution, les fabricants se montrent plutôt sereins. Plusieurs laboratoires se répartissent la production des vaccins inscrits au calendrier vaccinal. Parmi eux, Sanofi Pasteur se veut rassurant. « Depuis plusieurs années, ces vaccins sont déjà utilisés par une très grande majorité des parents », souligne le laboratoire français.

De fait, au moins 70 % des enfants ont déjà reçu les 11 vaccins qui deviendront obligatoires. Pour certaines formulations, la couverture est même supérieure à 90 %. La hausse de la demande sera donc limitée. « Il est certain qu’il y aura une augmentation du besoin, reconnaît Sanofi Pasteur. Mais nous envisageons de pouvoir approvisionner sans problème particulier. »

Pas besoin, selon le fabricant, d’adapter les moyens de production : celle-ci est déjà assurée à l’échelle mondiale par plusieurs usines. La présentation peut différer, mais les souches restent les mêmes. De quoi faire face à une demande croissante. Sans compter que tout ne repose pas sur les épaules d’un seul laboratoire. Ils sont plusieurs à se partager le marché : Sanofi, Pfizer, GSK et MSD. Et aucun des vaccins qui deviendront obligatoires ne souffre de tensions d’approvisionnement.

Pas de stratégie particulière

A l’Ordre national des pharmaciens aussi, la sérénité règne. Le calendrier a beau être serré, l’institution ne s’affole pas. La section des titulaires d’officines n’a pas réfléchi à l’organisation à adopter. « Il est trop tôt pour savoir comment cela va se passer », répond-on à Pourquoidocteur.

Il faut dire que, sur le plan logistique, la décision n’a rien d’une révolution. « Ce n’est pas une nouveauté, ces vaccins sont déjà inclus dans le calendrier vaccinal, et ils ne sont pas en rupture de stock », rappelle le Pr Daniel Floret, vice-président de la Commission technique des vaccinations (CTV) à la Haute Autorité de santé.

Le tiers payant continuera aussi de s’appliquer pour les patients. Contacté par Pourquoidocteur, le ministère de la Santé ne laisse aucun doute sur le sujet : « il n’y aura aucun reste à charge pour les patients ». Les vaccins obligatoires continueront d’être remboursés à hauteur de 65 % aux frais de l’Assurance maladie et 35 % de la poche des complémentaires. Une exception notable, le ROR (Rougeole-Oreillons-Rubéole), pris en charge à 100 % avant 17 ans.

Les médecins au front

Finalement, c’est sans doute du côté des médecins prescripteurs que la pression pèse le plus. Agnès Buzyn a, en effet, choisi de ne pas assortir la nouvelle politique vaccinale d’une campagne de communication. Appelant au passage médias et médecins à prendre leur part dans le débat.

« C’est à nous, pédiatres, infectiologues ou généralistes, de faire ce travail explicatif. Et nous allons le prendre en charge », souligne le Pr Robert Cohen, pédiatre infectiologue. Autrement dit, faire comprendre aux parents que l’élargissement de l’obligation était nécessaire.

Ecoutez...
Robert Cohen, pédiatre à Créteil (Val-de-Marne) : « On sait qu'il va falloir qu'on explique, qu'on communique de manière très importante. Le pivot de la décision, c'est le médecin traitant. »


Mais ce pédiatre infectiologue à l’hôpital intercommunal de Créteil (Val-de-Marne) le reconnaît : « La réponse de l’Etat ne peut en aucun cas se passer d’explication. Si on pense que l’obligation suffit, cela ne marchera pas, prédit-il. Il faudra faire un effort de persuasion. »

De fait, cette annonce gouvernementale a quelque peu crispé les hésitants qui ont fait entendre leur voix. Mais hormis quelques interventions sur les plateaux télévisés et au micro des grandes radios, la ministre de la Santé n’a pas répondu par une campagne d’information.

L’exemption à la clé ?

Agnès Buzyn a pourtant tenté un pas dans la direction des familles, en réfléchissant à la possibilité d’une clause d’exemption. En l’état actuel, la loi impose une lourde amende et de la prison aux récalcitrants. L’idée de la ministre est d’offrir une porte de sortie moins sévère aux parents qui refusent catégoriquement de vacciner leur enfant. Tout en leur empêchant l’accès au système scolaire.

Mettre en application cette main tendue s’avère plus compliqué que prévu. Contacté par Pourquoidocteur, le cabinet d’Agnès Buzyn explique que le travail est toujours en cours et devrait aboutir « au cours des prochaines semaines ». La clause d’exemption pour des motifs non médicaux soulève deux problèmes.


Sur le plan juridique, explique le cabinet de la ministre, faire coexister l’obligation vaccinale et un régime d’exception semble difficilement compatible. Sur le plan politique, une telle décision peut aussi paraître contre-intuitive.

« Dans la mesure où l’extension des obligations vaccinales est fondée sur un impératif de santé publique, il peut paraître paradoxal (voire incohérent) d’autoriser des personnes à invoquer une telle clause », confirmait récemment Clémentine Lequillerier, maître de conférences à Paris Descartes et spécialiste du droit de la santé.

Pas de surveillance renforcée

Passée cette zone de remous, le calme retombe. Malgré les craintes sur les effets secondaires des vaccins, les autorités sanitaires n’ont pas prévu de dispositif spécifique. Les manifestations les plus fréquentes sont bénignes, et les symptômes sévères très rares. Le système de pharmacovigilance fonctionnant bien, il semble inutile de le renforcer.

Le cabinet d’Agnès Buzyn est d’autant moins inquiet que, selon ses mots, « les quatre cinquièmes des enfants ont déjà reçu les 11 vaccins qui seront obligatoires ». Les laboratoires doivent eux aussi montrer patte blanche. Avant la mise sur le marché de leurs produits, ils s’engagent à réaliser des études d’association.

L’objectif : déterminer si l’injection simultanée ou proche dans le temps de plusieurs souches a un effet ou non. Ce qui n’est pas le cas avec les formules actuellement disponibles.

Autre élément rassurant : les vaccins sont loin de « surcharger » le système immunitaire, comme cela a pu être suggéré. « Selon les modélisations, un nourrisson pourrait répondre à quelque 10 000 antigènes administrés en même temps, rappelle Santé publique France. En d’autres termes, si l’on administrait onze vaccins à la fois, on ne mobiliserait que 0,1 % de son système immunitaire. »

 

>> Consultez notre fiche thématique : Vaccins, d’autant plus efficaces si l’ensemble de la population est vacciné

 

(1) Aux trois vaccins déjà obligatoires (diphtérie, tétanos, poliomyélite) s’ajouteront 8 souches déjà recommandées : coqueluche, rougeole, oreilllons, rubéole, hépatite B, haemophilus influenza de type B, pneumocoque, méningocoque de groupe C.