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Débat au sein de l'Ordre

Clause de conscience : les syndicats de pharmaciens demandent son retrait

Par Bruno Martrette

La clause de conscience proposée par l'Ordre des pharmaciens à ces professionnels fait polémique. Les syndicats d'officinaux, la FSPF et l'USPO, appellent à son retrait, ou sa réécriture. 

macinlondon/epictura

En septembre 2015, le Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens (CNOP) a lancé des travaux pour refondre le code de déontologie. La version actuelle date en effet de 1995. Durant presqu’un an, les consultations des pharmaciens, des partenaires et d’experts se sont succédées pour aboutir au projet d’un nouveau texte. A ce sujet, l’Ordre a sollicité particulièrement l'avis de ces professionnels sur l'article R. 4235-18. Début de la polémique. Explications. 

L'article en question, R. 4235-19 en réalité, dispose que « sans préjudice du droit des patients à l’accès ou à la continuité des soins, le pharmacien peut refuser d’effectuer un acte pharmaceutique susceptible d’attenter à la vie humaine. Il doit alors informer le patient et tout mettre en œuvre pour s’assurer que celui-ci sera pris en charge sans délai par un autre pharmacien. Si tel n’est pas le cas, le pharmacien est tenu d’accomplir l’acte pharmaceutique ».

La ministre des Droits des femmes monte au créneau 

Pour toutes les personnes attachées aux droits des femmes, cette formule constitue une menace pour l'accès à la contraception. Les plus hauts sommets de l'Etat ont même réagi. Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, a ainsi demandé une clarification à l'Ordre : « Le simple fait d’interroger les pharmaciens sur ce sujet nous rappelle que l’accès à la contraception et à l’IVG, en tant que droits à part entière, n’est jamais définitivement acquis. Il serait raisonnable de la part de la Présidente du CNOP de clarifier l’objet de cette consultation et de réaffirmer l’attachement de l’Ordre à assurer aux femmes leur autonomie et la liberté de choisir leur contraception », écrivait-elle ce mardi dans un communiqué. Une prise de position soutenue par plus de 11 100 citoyens dans une pétition mise en ligne sur change.org.

La défense contestable d'Isabelle Adenot

Dans un communiqué pour le moins agressif, Isabelle Adenot, présidente du CNOP, a tenté de se défendre. En vain. Sa ligne de défense était la suivante : « Les débats qui se sont déroulés à l'Ordre sur ce article n'ont jamais porté sur la contraception mais sur la fin de vie, situation souvent très délicate à gérer par les pharmaciens de ville à l'hôpital ».

De plus, pour tenter de convaincre les sceptiques, elle affirmait dans nos colonnes que « ces dispositions sont en plus rangées au milieu d'autres articles sur la fin de vie ». Faux, car dans ce projet de code de déontologie, l'article en question figure dans la Sous-section 2 intitulée « Devoirs envers les patients » dont les autres dispositions n'ont aucun rapport avec la de fin de vie. Elles en sont même très éloignées. Une explique par exemple au pharmacien comment il doit présenter les compléments alimentaires à ses patients... 

Enfin, si elle a réaffirmé au micro de Pourquoidocteur son attachement à la contraception, il faut quand même souligner qu'Isabelle Adenot n'a pas toujours tenu ce discours. Le site Slate rappelle qu'en 2004, la présidente de section Isabelle Adenot défendait une clause de conscience pour sa profession s'agissant de l'IVG médicamenteuse. Elle soutenait qu'au même titre que les médecins, « on aurait pu prévoir exactement le même système pour le pharmacien. À charge pour lui d’indiquer quel autre pharmacien pourrait dispenser le produit », ajoutait-elle dans le Moniteur des pharmacies.

Des pharmaciens pour le retrait...

Pour cette raison, on comprend l'inquiétude suscitée, y compris au sein de la profession. Sur la toile, un collectif composé d'une quarantaine de pharmaciens ne cesse de manifester sa colère contre cette proposition de l'Ordre. Et ce jeudi, il reçoit un soutien de premier plan. Les syndicalistes de la profession ont décidé de monter eux aussi au créneau.

C'est le cas du pharmacien Philippe Besset de la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF). Le vice-président du premier syndicat de la profession est sans ambiguïté sur le sujet. « Nous sommes opposés à ce type de dispositif. Le pharmacien ne peut pas s'opposer à la volonté exprimée des patients. La clause de conscience pour la pharmacien ne se justifie en aucune manière ». 

Ce dernier confie d'ailleurs ne pas avoir compris ce débat, qu'il s'agisse de fin de vie ou de contraception. Mais sur cette dernière, l'homme est encore plus catégorique : « Cet article est dangereux pour la contraception des femmes, c'est une évidence. Un pharmacien pourrait par exemple s'en servir pour refuser de délivrer une pilule du lendemain à des mineures. Personnellement, je pense que dans cette situation, les pharmaciens doivent plutôt se consacrer à leur rôle d'accompagnement. La position de l'Ordre n'est donc pas la bonne manière d'adopter le sujet, bien au contraire », estime-t-il.

... d'autres pour une réécriture

Gilles Bonnefond, président d'un autre syndicat de pharmaciens, l'Union des Syndicats des Pharmaciens d'Officine (USPO), pense pour sa part qu'il s'agit d'« une polémique stérile ». Pour lui, « le débat de la contraception dans l'officine est largement dépassé, nous la délivrons depuis longtemps », rappelle-t-il.
Ainsi, il demande à ce que cet article soit « réécrit ou tout simplement retiré du projet de code déontologie. Cette clause de conscience n'est absolument pas essentielle pour la profession. Quand un texte est mal enclenché, il faut savoir revoir sa copie », pense-t-il.

Dans l'hypothèse où cette disposition serait réécrite, le président de l'USPO est ferme : « Elle ne doit pas exister pour la contraception. L'Ordre devra préciser qu'elle ne concerne que la gestion de la fin de vie et l'accompagnement de ces patients », conclut-il.

Le vœu des syndicats semble avoir été exaucé puisqu'à l'instant, l'Ordre a décidé de suspendre sa consultation sur une éventuelle clause de conscience dans son code de déontologie. Cela, « devant l'émoi et l'incompréhension suscités par cette initiative », écrit-il...