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QUESTION D'ACTU

Dr Cécile Gogué-Meunier

Lucenay-l'Évêque : le quotidien d'un médecin de campagne

Lucenay-l'Évêque : le quotidien d'un médecin de campagne Visite au domicile d'Alice et Béber, un couple de patients du Dr Gogué - Martrette/Pourquoidocteur/TDR




REPORTAGE - En Saône-et-Loire, le Dr Cécile Gogué-Meunier est la seule généraliste d'un canton de 5 000 habitants. Des consultations éreintantes, des visites éloignées, le médecin tire son énergie de ses patients et de sa famille. Sans sacerdoce.


« Venez faire votre reportage sur la désertification médicale quand vous voulez, de toute façon, je suis toujours débordée ! » Si bousculer l'emploi du temps des médecins est parfois délicat, avec le Dr Cécile Gogué-Meunier, pas de problème. Même si se rendre dans sa consultation sera un long voyage dans une belle campagne de Saône-et-Loire.  

Les premiers mots échangés avec cette généraliste dans le canton d’Autun (71) ont en tout cas très vite planté le décor. Celui du quotidien éreintant d’une femme de 44 ans exerçant dans un désert médical. A l’occasion de la sortie du film le 23 mars, « Médecin de campagne » de Thomas Lilti, Pourquoidocteur s’est rendu dans ce département où la pénurie de médecins devient de plus en plus inquiétante.

Une généraliste pour 5 000 habitants

Après une heure de TGV, une heure de bus, et 30 minutes de taxi, me voilà enfin arrivé à Lucenay-l’Évêque. Malgré un paysage bucolique avec des forêts ceinturées par des rivières, le village d’environ 300 habitants n’a pas fière allure. L'épicerie, la quincaillerie, et le bar de la commune appartiennent au passé. Les Lucenois ne semblent disposer que d’une pharmacie et d’une maison médicale flambant neuve. Une sage-femme, deux infirmières, un kinésithérapeute et une généraliste la composent.

Le bâtiment compte aussi un dernier cabinet de médecin désespérément vide alors que le loyer est pourtant offert par la mairie. Résultat, le Dr Gogué-Meunier est bien seule au quotidien. Elle est même l’unique généraliste d'un canton de 5 000 habitants, contre trois il y a 14 ans quand elle s’est installée. Au quotidien, son rythme de travail impressionne. 30 malades par jour. Ses archives recensent plus de 1 300 patients dont elle est le médecin traitant. « Des chiffres qui ne comptent pas les enfants », précise-t-elle.

L'interne Nicolas Guyotat et le Dr Cécile Gogué-Meunier, généraliste à Lucenay-l'Évêque (71) - Martrette/Pourquoidocteur/TDR


"Mon bonheur, c'est eux"

Pour le Dr Cécile Gogué-Meunier, les visites à domicile restent « le sel » de son métier. C'est pour ces patients isolés que cette femme au caractère bien trempé a fait le choix d'exercer en milieu rural. « Mon bonheur, c'est eux. J’ai toujours voulu pratiquer à la campagne. Les gens y sont plus sympas qu’en ville, je pense. On est dans la proximité, dans des histoires personnelles. Enfin, on se sent très utile dans un lieu où plus personne ne veut aller », estime-t-elle.

Pour cette enfant de la campagne, Lucenay-l’Evêque a donc été sa première installation et l’histoire d’amour avec les patients dure depuis plus d'une décennie. Et il faut bien reconnaître que le quotidien du Dr Gogué est varié. Ses journées de travail sont ponctuées de moments très drôles. Meilleur exemple, sa première visite à domicile, « chez Alice et Bébert ». Agés respectivement de 76 et 85 ans ce couple nous accueille chaleureusement dans son salon-cuisine juste après la popote du midi. « On vous attendait Docteur avec votre journaliste, asseyez-vous, et faites comme chez vous. Nous sommes ravis de vous accueillir ». L’accent et le ton direct de ces gens du cru rendent le moment inoubliable.

Le mobilier daté et une nappe d'antan rappellent les souvenirs nostalgiques d'une France paysanne, à laquelle chaque Français reste attaché. Et à voir l'oeil amusé de notre praticienne pendant la consultation, on sent bien que c'est aussi l'authenticité de ces gens qui l'attire dans ce métier. Au travers des histoires sur les enfants et les petits-enfants, la proximité qu'elle voulait avec ses patients est bel et bien au rendez-vous. Avec en plus la reconnaissance des malades. Tous ponctuent en effet la visite de plusieurs "MERCI" sincères à leur Docteur. Elle est, à leur sens, « indispensable » et « rassurante ». Sur le chemin du retour, le sentiment du devoir accompli est ainsi largement perceptible chez notre héros du jour... Bref, tout le monde à l'air heureux à la campagne.

Le sacerdoce c’est fini !

Cette relation débordante fait que les habitants, souvent âgés du canton, ont des demandes incessantes. Pour tenir, le médecin a dû apprendre à se faire respecter. En fixant notamment des horaires de consultation sur lesquels elle ne transige jamais. Son cabinet est ouvert les lundi, mardi, jeudi et vendredi, uniquement sur rendez-vous de 8H30 à 12h15 et de 16H à 18H15, heure du dernier rendez-vous. Ses patients trouvent donc porte close le mercredi, le médecin se consacre à ses trois enfants. « Si on ajoute le samedi matin et les visites à domicile les mêmes jours entre 14 et 16H, cela fait quand même des semaines bien remplies », concède-t-elle. Et comme chez la plupart de ses confrères, les journées se finissent toujours par de la paperasse administrative. Elle indique fermer boutique au plus tard vers 19H.

Contrairement au personnage principal du film notre praticienne a donc choisi de ne pas voir son métier comme un sacerdoce. Les coups de téléphone des patients à pas d’heure, très peu pour elle. D’ailleurs, aucun patient n’a son téléphone portable. Même en Saône-et-Loire, le médecin de campagne corvéable à merci à ses patients semble devenir une espèce en voie de disparition… « Remplacé par la médecine de garde organisée par le centre 15 », explique-t-elle.

Ecoutez...
Dr Cécile Gogué-Meunier, généraliste à Lucenay-l'Évêque : « Pour tenir à la campagne il suffit d'être ferme et d'avoir une bonne secrétaire. Beaucoup d'anciens médecins qui avaient fait de leur métier un sacerdoce regrettent aujourd'hui...»

 

Une version confirmée par Nicolas Guyotat, un interne en 8ème année de médecine générale. A 26 ans, il a choisi le cabinet du Dr Gogué-Meunier pour faire son stage, le deuxième dans la région. Et il est à nouveau sous le charme des conditions d’exercice que la campagne offre. Du coup, celui qui sera médecin dans un an se verrait bien y exercer. Mais avec une autre fracture avec les médecins d’antan, celle du rejet de l’exercice isolé. Lui envisage plutôt pratiquer en groupe, « pourquoi pas dans un cabinet en association », suggère-t-il.

Martrette/Pourquoidocteur/TDR

 

Le jeune homme, qui s’est vite attaché aux gens du coin, dit toutefois comprendre les réticences de ses confrères. « Moi j’aime le cadre, mais beaucoup à mon âge préfèrent la ville ». Alors, pour attirer d’autres médecins dans le canton, le stagiaire martèle qu’à Autun, la sous-préfecture de Saône-et-Loire, « il y a beaucoup d’activités proposées », c'est-à-dire « tout ce qu’il faut pour mener une vie de jeune ou en famille », ajoute-t-il.

Ecoutez...
Nicolas Guyotat, interne en médecine générale : « Les visites à domicile sont très intéressantes. On a le patient, on le voit dans sa globalité, avec son environnement...»

 

Sauf que la vie dans le chef lieu n’est pas non plus toute rose. Cette commune de près de 14 000 habitants fait face aux mêmes problèmes que Lucenay-l'Évêque. Là-bas aussi des médecins s’en vont sans être remplacés. Le Dr Gogué ne prend d’ailleurs plus aucun patient d'Autun dans sa salle d'attente. A sa décharge, la praticienne couvre déjà les besoins médicaux de plusieurs villages du canton, notamment lors des visites à domicile. Les communes les plus éloignées où elle se rend se trouvent tout de même à 21 km de sa maison médicale. Des kilomètres qu’elle avale tous les jours malgré la fatigue, et sans répit en hiver alors que le climat est très rude dans ce coin du Morvan.

Le sentiment d'abandon des patients 

Mais la vie à la campagne n'est pas dure que pour les médecins. Ses habitants sont en effet les premières victimes des déserts médicaux. Tous répètent qu’ils aimeraient avoir plus de praticiens à disposition. Car à cause de la pénurie en médecins, nombre d'entre eux reconnaissent renoncer régulièrement à des soins. C’est le cas de cet homme de 32 ans croisé dans la salle d’attente. « Quand j’appelle le jeudi et qu’on me dit que je n’aurais qu'un rdv le samedi, personnellement j’abandonne. J’opte pour l’automédication ».
 

Ecoutez...
Benoît, 32 ans et père de 2 enfants : « Quand on est arrivé sur Autun tous les médecins n'avaient plus aucune place. Ils sont tous bondés... »

 

Et pour les autres, les places sont chères. Une maman venue avec sa fille confie que lorsqu’elle a appelé le secrétariat du Dr Gogué à 7H du matin il ne restait plus qu’une seule place, et à midi ! « Pas facile quand on travaille, vous l’imaginez », déplore-t-elle. D’autres comme Michel, 67 ans, se tournent vers l’hôpital lorsque le Dr Gogué n’est pas disponible. A son grand désespoir visiblement. « On y attend des heures dans des couloirs, avec des médecins débordés qui ne font pas trop attention à nous. Heureusement que le Dr est là », lâche-t-il. Pour lui, elle est, il faut dire, la seule généraliste à 40km à la ronde. Au fil de la discussion, on s’aperçoit que tous les autres ont, au fil des ans, jeté l’éponge...

Les solutions envisagées

Pour tenter de résoudre les problèmes d’accès à son cabinet, le Dr Gogué-Meunier a cru avoir trouvé la solution miracle dans le passé. Il s’appelait « Serghei », un médecin roumain, recruté par un chasseur de têtes pour s’installer dans la commune.

Espoir vite déçu puisque ce praticien est parti du jour au lendemain. Il a bien évidemment prévenu le Dr Gogué-Meunier, mais la veille de son départ ! Autant vous dire qu’aujourd’hui encore la pilule a du mal à passer. A présent, la praticienne semble un peu résignée face à la crise des vocations du métier de médecin de campagne. Dans un dernier baroud d’honneur, elle livre sa dernière arme.

En ouvrant les grandes fenêtres de son cabinet, on s’aperçoit que coule une rivière à un mètre de son plancher. « Elle n’est pas assez profonde pour que j'y plonge mais je pourrais presque prendre ma canne à pêche et aller chercher le poisson entre midi et deux ». Le cadre, toujours le cadre, « bien loin de la pollution et du bruit des voitures de la ville », conclut-elle. Espérons que la vue sur la rivière saura faire naître des vocations... 

Martrette/Pourquoidocteur/TDR


Lire la suite de notre grand format :

Déserts médicaux : la chasse aux généralistes n’a plus de limites

 

 

Une généraliste pour 5 000 habitants : reportage dans un désert médical -> bit.ly/1Px0mnI

Posté par Pourquoi docteur sur samedi 26 mars 2016
 

 
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