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20 % des praticiens doutent

Le malaise des médecins face à la vaccination

Par Audrey Vaugrente

BAZIZ CHIBANE/SIPA

ENQUÊTE – L’épidémie arrive, mais 70 % des Français ne comptent pas se vacciner contre la grippe. Le discours anti-vaccinal progresse dans la population, alimenté par des crises comme celle de la grippe A H1N1 en 2009. Pourquoidocteur a enquêté sur les raisons de cette crise de confiance qui dépasse le cercle des ligues anti-vaccinales et qui sème le trouble chez les médecins eux-mêmes.

« Comment le mec peut savoir que le vaccin contre la grippe marchera mieux cette année ? » En un seul tweet, posté au lendemain du lancement de la campagne de vaccination contre la grippe, le médecin généraliste strasbourgeois @DocArnica a mis le feu aux poudres sur le réseau social. Sa position résume bien le malaise au sein des professions de santé. Alors même qu’ils en sont les vecteurs principaux, les médecins viennent à douter de la vaccination. Certains se tournent même vers les ligues anti-vaccinales. Un doute qui, forcément, se répercute sur la patientèle.

8 % de médecins « peu confiants »

La part de médecins radicalement opposée à la vaccination reste marginale. L’unité 912 de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) évalue régulièrement les attitudes de cette profession vis-à-vis de l’acte vaccinal. La dernière étude en date révèle que 97 % des généralistes y sont favorables (80 % très favorables, 17 % plutôt favorables). Mais dans le détail, les positions de ces professionnels de santé se montrent bien moins affirmées.

Dans la revue Etudes et résultats, Pierre Verger, médecin épidémiologiste à l’Inserm, distingue trois profils de professionnels selon leur perception des risques et de l’utilité des vaccins. Le premier, très majoritaire (76 %), se montre « confiant » et parle assez aisément de la vaccination. Le deuxième groupe (16 %), s’avère plus modéré, émet davantage de doute quant aux effets secondaires et à l’utilité de la vaccination en général. Le dernier groupe (8 %), rassemble les médecins « peu confiants ».

Ecoutez...
Pierre Verger, médecin épidémiologiste : « On sait de toute façon qu’une partie des médecins ne fait pas du tout confiance à la vaccination. Ces médecins, on les trouve plus souvent dans les rangs des médecins qui pratiquent les médecines alternatives. »

 

« Stratégie de contre-peur »

Le médecin généraliste est dans un fauteuil pour le moins inconfortable. Seuls 43 % des généralistes sont à l’aise pour expliquer le rôle des adjuvants dans les vaccins. Lui-même médecin épidémiologiste, Pierre Verger reconnaît quelques lacunes dans la formation initiale. « Les médecins ne sont pas forcément bien informés des arguments à avancer pour montrer que tel aspect de la controverse est vrai ou faux, parce qu’elle est scientifique et complexe, souligne-t-il. Or, la formation des généralistes est assez sommaire sur la vaccination. Quelques heures seulement y sont dévolues. » 

Cet inconfort, les anti-vaccinaux en jouent. Certains éditent même un « petit guide » à destination des patients qui souhaitent interroger leur médecin. La stratégie est détaillée dans un rapport complet d’Anne Bertrand et Didier Torny (1). Elle commence par l’introduction du doute. Le sceptique établit un dialogue sur la prescription du vaccin, il évoque les effets indésirables et des études scientifiques controversées. Dans un second temps, se met en place une « stratégie de contre-peur », qui consiste à signer une reconnaissance de responsabilité plus ou moins farfelue. Le médecin doit notamment y reconnaître être conscient des possibles effets de la vaccination, dont ceux des adjuvants.

La peur des poursuites

« Des médecins qui ne se sentent pas en confiance, cela signifie que face à des patients qui se posent des questions, ils ne seront pas les mieux à même d’apporter les réponses appropriées », analyse Pierre Verger. La conséquence semble presque inéluctable : plutôt que de prendre le risque de vacciner et d’être poursuivi ensuite, certains médecins préfèreraient s’abstenir.

Ecoutez...
Pierre Verger : « Ce qui m’amène à penser cela c’est que les vaccins sont contre-indiqués lors d’une maladie infectieuse grave. Mais la majorité préfère ne pas vacciner lors d’une petite fièvre. »

 

Face à des affaires judiciaires qui se multiplient, les médecins font preuve de prudence. « Ils se méfient probablement des réactions des parents si quelque chose se produisait ensuite », avance Pierre Verger. Sur le seul dossier Gardasil, qui semble cristalliser les tensions, 25 plaintes ont été rassemblées. De quoi faire trembler les médecins... qui semblent oublier qu'en France, seul un laboratoire ou l'Etat peuvent être poursuivis lorsque des complications découlent d'une vaccination.

D’un côté, la défiance des patients, de l’autre, des autorités de santé qui n’inspirent pas que des bons sentiments. « Il y a une attitude générale de méfiance vis-à-vis des guides de bonne pratique, une attitude de réaction par rapport à la complexité du calendrier vaccinal, et peut-être une forme de méfiance par rapport aux autorités de santé qui fait dire à 30 % d’entre eux qu’ils préfèrent se fier à eux-mêmes », explique l’épidémiologiste. Et c'est là tout le paradoxe de cette profession de santé : malgré un manque de connaissance de fond sur le dossier, ils ont du mal à faire confiance à leurs référents.

(1) Libertés individuelles et santé collective, une étude socio-historique de l’obligation vaccinale, Anne Bertrand, Didier Torny, novembre 2004.

 

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Une crise internationale

Il n’y a pas qu’en France que la vaccination traverse une crise majeure. En Allemagne, en Espagne, aux Etats-Unis, les épidémies ou des cas des maladies contre lesquelles existent des vaccins ont émaillé l’année 2015. Nos voisins germaniques ont été confrontés à une véritable flambée de cas de rougeole à Berlin, révélant une faible couverture vaccinale. Le décès d'un bébé est à déplorer.
Même situation de l’autre côté de l’Atlantique : une épidémie a démarré au Disneyland situé en Californie. Résultat : entre le 1er et le 30 janvier 2015, 102 cas sont répertoriés dans 14 Etats différents.
« Ce qui va être typique d’un pays à l’autre, ça va être la controverse et le type de vaccin pointé du doigt », explique Patrick Peretti-Watel, sociologue à l’Inserm. En France, la population générale se vaccine très peu contre l’hépatite B. « C’est un fiasco franco-français, parce qu’on a voulu faire du rattrapage à ce moment (en 1994, ndlr), et parce qu’on a organisé une campagne de communication plutôt maladroite », détaille Patrick Peretti-Watel. A l’inverse, le vaccin rougeole, oreillons, rubéoles (ROR) est plutôt bien accepté dans l'Hexagone. Mais au Royaume-Uni, une étude parue dans le Lancet en 1998 a établi une corrélation entre autisme et vaccination et lancé une vive controverse. La publication a finalement été retirée totalement en 2010, les données ayant été falsifiées. « Dans un certain nombre de pays africain et du sud est asiatique, il y a des controverses parce qu’une partie de la population pense que sous couvert de les vacciner les médecins de l’OMS essaient des les stériliser », ajoute Patrick Peretti-Watel.