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Activité physique, alcool, tabac…

Remboursement des soins : va-t-on payer en fonction de nos comportements ?

Par Bruno Martrette

SALOM-GOMIS SEBASTIEN/SIPA

ENQUÊTE – Le tiers payant fait entrer davantage les complémentaires dans la prise en charge des soins. Avec des offres séduisantes, pour les uns; l'introduction à venir d'un système de bonus-malus, dénoncent les autres. Face au besoin de financement, les experts préconisent de définir un panier santé "solidaire". Des pays réfléchissent, eux, à des solutions radicales.

Cela fait près de quinze ans que les comptes de l'Assurance maladie n'ont pas été à l'équilibre. En 2014, son déficit s'établit à 6,5 milliards d’euros. Et à chaque fois les gouvernements de droite comme de gauche tentent de colmater un trou béant avec du sparadrap. Les plans d'économies successifs ne sont pas à la hauteur des vrais enjeux. L'espérance de vie s'allonge et des personnes de plus en plus âgées souffrent de maladies lourdes et coûteuses. Le facture des traitements pour les prendre en charge explose. Par exemple, celle des nouvelles chimiothérapies pour les cancers (par perfusion ou par comprimés) pèse plus d’un milliard d’euros par an.

Alors, pour éviter la cessation de remboursement ou pour ne pas laisser une dette abyssale aux futures générations, les experts de la santé appellent à un changement radical. Au risque de voir exploser notre modèle basé sur la solidarité. Un nouveau modèle français devra donc se dessiner dans lequel les complémentaires santé (mutuelles, assureurs) entendent jouer un rôle de premier plan. Elles se livrent d’ailleurs à une véritable bataille pour attirer les clients. Aujourd’hui avec des bonus, mais quelles seront demain les contreparties ? Verra-t-on notre taux de couverture santé modulé en fonction de nos comportements ? Faudra-t-il arrêter de fumer ou manger cinq fruits et légumes par jour pour éviter des malus ? En clair, comme pour notre voiture, va-t-on devenir des conducteurs responsables de notre santé. Pourquoidocteur a voulu en savoir plus.

 

Le scénario catastrophe 

Le Dr Jean-Paul Ortiz, lui, n'est guère optimiste. Le président du principal syndicat de médecins libéraux, la CSMF (1), estime que donner plus de place aux complémentaires santé serait une catastrophe. Pour lui, le nouveau dispositif de tiers payant généralisé que les mutuelles veulent gérer est un signe annonciateur.

« Nous sommes en train de changer de système de financement de la santé dans ce pays. On voit bien que progressivement la Sécurité sociale (qui est basée exclusivement sur la solidarité) est en train de se désengager, au profit des assureurs complémentaires dont la base est de dégager des marges, y compris au profit de la bourse. »
Avec cette dispense d’avance des frais, les médecins vont perdre leur indépendance. Et rentrer dans des filières de soins. Ainsi, les assureurs pourraient, selon lui, à terme, influencer les prescripteurs pour les rendre moins dépensiers, « en dehors de tout intérêt de santé publique ».

Ces filières pour le moment n'existent que dans l’optique et le dentaire et permettent aux patients qui les intègrent (via une complémentaire) d’avoir un meilleur taux de remboursement sur une paire de lunettes par exemple.
Et le Dr Ortiz va encore plus loin : « Les complémentaires mettront en place une modulation des remboursements en fonction des comportements des patients. En s'immisçant dans leur hygiène de vie (alcool, tabac...). » 

Les usagers pour le principe de responsabilité

Sur le papier, les Français n'y sont pas opposés. Une récente étude du cabinet Deloitte révèle, pour la première fois, que  70 % d'entre eux sont favorables à une modulation des remboursements en fonction des comportements à risque (alcool, tabac…). Une position qui fait bondir Christian Saout, secrétaire général délégué du CISS, le collectif qui représente les associations de patients. « Pénaliser le patient en fonction de son comportement, estime-t-il, n’a aucune utilité en terme de santé publique et ce n’est pas comme cela que l’on soigne des malades. Dérembourser en fonction du comportement a été essayé aux Etats-Unis (pensée utilitariste), il y a une décennie, mais les assureurs privés l’ont abandonné. » Et selon lui, en France, on ferait bien de prendre la même route.

Ecoutez...
Christian Saout, secrétaire général délégué du CISS : « Allez-y commençons. Mettons une balance connectée au domicile des patients diabétiques. Et annonçons leur qu'on ne va plus rembourser (...) On va rire... »


En fait, ce débat ne semble d'actualité qu'outre-Manche. Les Anglais ont en effet actuellement d'importantes réflexions à ce sujet. Lors des dernières élections dans le pays, une CCG (comité régional) du Devon, dans le sud de l’Angleterre a tenté, en vain, de mettre en place un plan expérimental pour combler ses 14,5 millions de livres de déficit, en limitant l’accès à certains soins pour les fumeurs et les personnes obèses.

 

Pas efficace d’après les économistes

Même son de cloche pour Brigitte Dormont, membre du Conseil d'analyse économique, instance qui conseille Matignon. Ce professeur d'économie à Paris Dauphine ne voit pas non plus ce scénario se dessiner en France. Elle souligne, qu'en plus, la loi Evin de 1989 interdit aux assureurs de majorer isolément la prime d’un individu dont l’état de santé se dégraderait. Il y a par ailleurs un bonus fiscal pour les complémentaires qui ne sélectionnent pas les risques avec un questionnaire à la souscription. Enfin, cette option ne serait plus envisagée depuis longtemps par les assureurs, car non rentable économiquement parlant.

Mais elle explique que pourtant, dans les faits, une sélection des risques peut être pratiquée de façon indirecte, en ajustant les contrats de façon à cibler des publics particuliers. « Il peut y avoir une concurrence sur l’étendue du contrat qui permet de sélectionner les risques. Je vous cite un exemple très simple : les mutuelles font un contrat qui ne couvre pas les lunettes au-delà des tarifs négligeables retenus par la Sécurité sociale et là elles n’auront personne de plus de 40 ans. » 

Ce système leur permet, il est vrai, d’avoir des contrats très ajustés pour n’attirer qu’un public ciblé. Ainsi, dans un type de contrat, tous les jeunes seront ensemble, et dans l’autre, toutes les personnes âgées. « Cette technique aboutit à ce que les personnes âgées en mauvaise santé se retrouvent avec des primes énormes qui représentent parfois 10 % de leurs revenus », conclut-elle.

Ecoutez...
Brigitte Dormont, membre du Conseil d'analyse économique : « Des collègues ont fait une étude sur les inégalités sociales de santé (...) Ils voulaient voir si pour certaines les gens étaient responsables parce qu'ils ont bu ou fumé. Dans tous les cas, l'effort ne joue que pour 8 %... »

Les assureurs misent sur des bonus

De leurs côtés, les assureurs balaient d'un revers de main cette stratégie de modulation des remboursements en fonction des comportements. « Nous ne nions pas que nous nous intéressons aux comportements. La preuve, on rembourse déjà les substituts nicotiniques. Mais des pénalités pour ceux qui ne sont pas vertueux, ce n’est pas à l’ordre du jour », avertit le Dr Philippe Presles, directeur Recherche & Développement Santé pour AXA France.

Ce tabacologue  rappelle au passage que les pouvoirs publics y sont en plus « totalement opposés ». A l’heure actuelle, sa complémentaire, comme les autres, se veut plutôt séduisante avec ses clients. Et dans cette bataille, AXA assurance a déjà bien avancé ses pions et proposera par exemple dès juin une offre de téléconsultation médicale.
Contre 50 centimes d'euros par an, les 2,2 millions d’adhérents aux contrats de santé du groupe bénéficieront de ce service disponible 24h sur 24 et 7 jours sur 7. Le service proposé s’étend du diagnostic, aux examens complémentaires, en passant par l’ordonnance télétransmise au médecin traitant et à la pharmacie.

Aux médecins inquiets par le dispositif, le Dr Philippe Presles soutient qu’il s’agit d’une « démarche de service » qui pourrait bien les arranger en désengorgeant, pourquoi pas, leurs cabinets. Mais le groupe ne compte pas s’arrêter là et prépare déjà des applications santé gratuites (Smilesrun pour les coureurs débutants) tout en s’intéressant aux objets connectés.

Ecoutez...
Philippe Presles, directeur Recherche & Développement Santé pour AXA France : « Nous allons expérimenter avec nos clients un nouveau dispositif d'automesure de la glycémie plus confortable. Les gens n'ont plus besoin de se piquer avec. Ils placent seulement un capteur 15 jours sur le peau...»


Mais pas question pour ce médecin de faire des gadgets ou du flicage. La compagnie qu'il représente, Axa, ne jouerait qu’un rôle d’assistance dans la santé, comme pour les voyages ou l’automobile…

Des propos auxquels ne croit pas le Pr André Grimaldi, l’un des fondateurs du Mouvement de défense de l'hôpital public (MDHP). Opposé au poids toujours plus important des complémentaires, il souligne que les assurés vont payer ces bonus. « Ce sont des appâts, pour organiser le système de santé et en faire du business. Les primes d’assurance ont augmenté de 5 à 7 % par an pendant 10 ans. Les gens en ont marre de payer deux fois. Pour la Sécurité sociale qui rembourse mal les soins courants et pour leur assurance qui coûte de plus en plus cher. »
 

Ecoutez...
Pr André Grimaldi, l’un des fondateurs du MDHP : « Le budget de la santé total, c'est 240 milliards. Les assureurs privés pensent que ce n'est pas possible que ça continue comme cela. Ils veulent mettre de l'argent là-dedans à condition d’organiser eux-mêmes le système de santé en créant des réseaux de soins. »

 

La proposition du panier de soins "solidaire" 

Face à cette situation, l'ensemble des acteurs de monde de la santé semble se mettre d'accord sur un panier de soins "solidaire" à redéfinir, avec tout ce que rembourserait l’Assurance maladie à 100 % d’un côté, et le reste pour les complémentaires. « Aujourd’hui, cela semble inévitable », conclut le Pr André Grimaldi.

(1) Confédération des Syndicats Médicaux Français

 

Lire la suite de notre enquête : 

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Remboursement des soins : le NHS fait la chasse aux fumeurs et aux obèses