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Journée internationale

Cancers de l'enfant : parent pauvre de l'innovation thérapeutique

Par Mathias Germain

A l'occasion de la journée internationale de mobilisation contre les cancers de l'enfant, les associations et les médecins pointent un manque d'investissement dans la recherche.

CATERS NEWS AGENCY/SIPA
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« Chaque année, ce sont près de 500 enfants et adolescents qui décèdent faute de traitements adaptés », dénonce avec émotion Corinne Védrenne, la présidente de l’association Eva pour la vie, à l’occasion de la journée internationale contre les cancers de l’enfant qui se déroule aujourd’hui. Cette mère a perdu sa fille âgée de 7 ans et demi suite à un cancer du tronc cérébral en 2011.

Près de 1 700 cancers sont recensés chaque année chez les enfants âgés entre un et quatorze ans et 700 chez les adolescents âgés entre quinze et dix-huit ans en France. Ils représentent 1 % de l’ensemble des cancers. Dans l’Hexagone, les progrès dans les traitements et la prise en charge globale ont été considérables au cours des 40 dernières années pour aboutir à un taux de survie à 10 ans de 70 % aujourd’hui, selon la Société française de lutte contre les cancers et leucémies de l’enfant et l’adolescent (SFCE).

Néanmoins, chez les enfants, les cancers constituent la deuxième cause de décès après les accidents, et la première cause de décès par maladie. En effet, pour certaines formes de cancer, les taux de guérison restent bas : moins de 10% dans le cas de certaines tumeurs cérébrales. « La recherche semble stagner comparé à ce qui se passe chez les adultes », souligne Corinne Védrenne. Les fonds pour la recherche sur ces cancers bien spécifiques aux enfants et aux adolescents sont largement insuffisants ».

Sur l’ensemble des fonds dédiés à la recherche contre le cancer, « on peut estimer à environ 1,5 % à 3 % la part qui est spécifiquement dédiée à la recherche contre les cancers pédiatriques ». Face à cette situation, le député centriste Jean-Christophe Lagarde, a déposé en juin dernier une proposition de loi. Elle vise à créer une taxe de 0,15 % prélevée sur le chiffre d’affaires des laboratoires pharmaceutiques afin de financer des actions spécifiques de recherche dans la lutte contre les cancers pédiatriques. Cette taxe serait affectée à l’Institut national du cancer (INCa) et permettrait de lever près de 42 millions d’euros « sans mettre en danger l’équilibre financier de l’industrie pharmaceutique », selon le député. Mais, cette proposition de loi n’a pas dépassé les clivages politiques et restée lettre morte.

Pas assez de protocoles de nouveaux médicaments 
L’association Eva pour la vie n’est pas la seule à se mobiliser. La journée internationale a été créée il y a plusieurs années à l’initiative d’associations de parents comme entre autres en France la Fédération Enfants et Santé, Imagine for Margo, L’Etoile de Martin, rassemblées au sein d’une fédération internationale, l'International Confederation of Childhood Cancer Parents Organisations.
Sous la pression des chercheurs et de ces associations de parents, le Parlement européen a voté en 2007 un règlement incitant les laboratoires à investir dans les médicaments pédiatriques. Une initiative insuffisante pour les experts de l’institut britannique de recherche contre le cancer. Parmi les 28 molécules approuvées par l’Agence sanitaire européenne depuis 2007, 26 pourraient avoir potentiellement des effets bénéfiques chez les enfants mais 14 ont été exemptées d’essai clinique chez l’enfant, selon les experts qui ont publié une tribune cette semaine dans le British Medical Journal. Le constat est partagé par le Dr Dominique Valteau-Couanet,  responsable du département pédiatrie à l’Institut Gustave Roussy (IGR, Villejuif). « L’objectif de la directive européenne n’a pas été atteint, il y a encore trop peu de protocoles de nouveaux médicaments développés chez les enfants. »


Ecouter le Dr Dominique Valteau-Couanet , chef du département pédiatrie à l’Institut Gustave Roussy.« Les medicaments développés en cancérologie adultes ciblent des anomalies présentes dans les cellules qui peuvent être communes à différents types de tumeurs. Et le souhait des onco-pédiatres est de pouvoir développer des protocoles avec ces médicaments dans les maladies pédiatriques où on observe ces mêmes anomalies. »


Toute la difficulté est qu’un cancer chez l’enfant ne ressemble pas à ceux des adultes. « Ils sont différents par leur nature, par les sites où ils se développent, et par leur rapidité d’évolution », rappelle l’onco-pédiatre de l’IGR. De ce fait, les traitements doivent être différents des adultes et la prise en charge spécifique.
En France, une trentaine de centres spécialisés ont été agréés par l’INCa dans la cadre des plans cancer. Justement, est-ce que le troisième plan présenté le 4 février dernier par François Hollande relance la lutte contre les cancers des enfants ? Pour Corinne Védrenne, le compte n’y est pas. Mis à part l’instauration d’un droit à l’oubli, et des mesures dans le suivi de l’après cancer, la recherche n’est pas mise en avant.


Ecouter Corinne Védrenne, présidente de l’association Eva pour la vie.« Il n’y a aucune mesure prévue pour garantir un financement pérenne d’une recherche dédiée aux enfants. »


Le Dr Dominique Valteau-Couanet ne partage cet avis. « Ce plan soutient la mise en place de protocoles innovants dans des centres agréés, il offre aussi la possibilité de prendre en charge le déplacement et l’hébergement des enfants et des parents dans ces centres. » En outre, le 3e plan cancer favorise la création d’unités adaptées aux adolescents, « une population un peu abandonnée » selon l’onco-pédiatre. Dernier point, un effort est fait sur le devenir des enfants et adolescents après la maladie. « A Gustave Roussy, nous avons développé une clinique de suivi à long terme, et nous espérons grâce à cette structure proposer des prises en charge adaptées en fonction du passé thérapeutique du patient ». En effet, en fonction du cancer et de son traitement qu’il aura subi au cours de l’enfance, la personne risque des complications au cours de sa vie.


Ecouter le Dr Dominique Valteau-Couanet. « La radiothérapie peut avoir des séquelles sur la croissance. Des médicaments peuvent être toxiques pour le cœur. La fertilité est aussi un point important : nous mettons en place des techniques de préservation de gamètes, mais ce n’est pas simple chez les tout-petits. »