Réponse à la crise du Covid-19, le dispositif "Mon soutien psy" permet à toute personne, dès l’âge de 3 ans, qui se sent angoissée, déprimée ou en souffrance psychique, de bénéficier, sans prescription médicale, de 12 séances d’accompagnement psychologique avec un professionnel agréé. Ces séances, à hauteur de 50 euros, sont prises en charge par l’Assurance maladie à 60 % (100 % dans certains cas), le reste par votre mutuelle ou, le cas échéant, par la complémentaire santé solidaire (C2S). Quelque 587.000 patients en ont bénéficié depuis son lancement en 2022.
Psychologue libérale partenaire du dispositif, Priscilla Descheemaeker est cofondratrice et présidente d’AID-Psy-Co, pour Association pour l'Information et la Défense des Psychologues Conventionnés, qui représente les intérêts de la profession et propose des réformes du dispositif, ainsi que diverses formations sur la dépression, le burn-out, les TOC, les insomnies, etc.
- Pourquoi Docteur : Trois ans après la mise en place de "Mon soutien psy", quel bilan peut-on tirer ?
Priscilla Descheemaeker : Au bout de trois ans, ce que l’on constate tous, c’est qu’un grand nombre de personnes ne seraient jamais venues consulter sans ce dispositif. C’est souvent ce qui nous motive en tant que psychologues partenaires : on rencontre chaque jour des personnes qui, sans ce cadre, n’auraient pas franchi la porte d’un cabinet. Certaines de ces pathologies se seraient aggravées avec un coût social supplémentaire, voire auraient terminé aux urgences qui accueillent actuellement 80% des hospitalisations en psychiatrie. « Mon soutien psy » joue donc un rôle de prévention à plusieurs niveaux, que ce soit pour affronter des problèmes de santé mentale à caractère plus individuel (sensibilité accrue, dépression, anxiété, troubles du comportement alimentaire...) ou des événements de dimension plus sociale du quotidien : deuil, accident, harcèlement scolaire ou moral etc.
- Quel type de patients le dispositif accueille-t-il ?
Ce sont des profils très variés, comme dans tout cabinet classique. Chaque psychologue a ses spécificités, certains travaillent davantage avec les personnes âgées, d'autres plutôt avec les enfants – comme moi. Il n'y a pas de critères "à cocher" pour pouvoir accéder au dispositif. On peut venir pour un mal-être global, une rupture difficile, une épreuve quelconque, sans que ce soit nécessairement une dépression clinique. C’est le travail du psychologue d’évaluer la situation, de discuter avec le patient, d’observer son évolution.
Dans l’esprit du dispositif, on vise les troubles psychiques dits "légers à modérés". Il ne s’adresse donc pas aux pathologies lourdes comme la psychose, les délires ou certaines dépressions profondes, qui nécessitent une prise en charge médicale plus spécialisée. Ceci étant, la loi dispose des critères d’exclusion, comme par exemple la présence d’idées suicidaires (qui sont très fréquentes dans la population mais dont l’intensité peut impliquer une prise en charge en urgence) ou la prise de psychotropes depuis plus de six mois (ce qui correspond à des situations très diverses également). Ces critères mal définis dans les textes complexifient nos prises en charge. Aussi notre association demande-t-elle au législateur de les supprimer. En effet, dans les rares cas où une pathologie plus "lourde" se présente – un patient schizophrène par exemple – on l’oriente déjà naturellement vers un psychiatre, nul besoin de texte de loi sur ce point.
Seuls les psychologues diplômés peuvent y participer. C’est un gage de sécurité, de garantie. En revanche, les approches restent variées : EMDR, hypnose, TCC, etc.
- Le cadre de "Mon soutien psy" a-t-il évolué depuis son lancement ?
Oui, il y a eu de belles avancées. On est passé de huit à douze séances remboursées par année civile, et de 30 à 50 euros la consultation. De plus, le courrier d’adressage par un médecin n’est plus requis : les patients peuvent directement prendre rendez-vous avec un psychologue partenaire, ce qui simplifie la démarche.
- Qui sont les psychologues associés au dispositif ?
A ce jour, quelque 6.000 psychologues sont engagés dans le dispositif, répartis sur tout le territoire français, selon le ministère de la Santé. Seuls les psychologues diplômés peuvent y participer – ni les psychothérapeutes, ni les psychanalystes. C’est un gage de sécurité, de garantie. En revanche, les approches sont variées : EMDR, hypnose, thérapies cognitivo-comportementales, psychodynamique, etc. Pour rejoindre le dispositif, il faut justifier de trois ans d'expérience et déposer un dossier examiné par une commission. Nous sommes régulièrement alertés par des collègues refusés au conventionnement avec des dossiers similaires à d’autres pourtant acceptés. Notre association demande donc un droit de regard sur les travaux et le fonctionnement de cette commission dont on ne se sait pratiquement rien.
- Le nombre de psychologues partenaires est-il suffisant ?
Il en faudrait davantage. Au cours d’une vie peuvent s'accumuler de nombreuses difficultés : deuil, rupture, accouchement difficile, addictions, accidents, traumatismes, etc. Plus on peut consulter rapidement, plus on peut se décharger de ces émotions et éviter l’installation de troubles psychiques sur le long terme, on peut aussi prévenir des rechutes. Nous vivons dans une société anxieuse et anxiogène : si chacun pouvait venir exprimer ce qu’il a sur le cœur, sans être jugé et dans le secret, ce serait un premier pas vers une forme de résilience collective. L’accès à un espace thérapeutique de qualité est un droit et il est normal, et utile, que cet accès soit garanti et financé par la Sécurité sociale.
[Parmi les pistes d’amélioration :] lever le plafonnement à douze séances par an, supprimer les critères d'exclusion actuels liés à la nature du trouble mental, et autoriser le dépassement d'honoraires.
- Et douze séances par an, est-ce suffisant ?
Selon les statistiques de l’Assurance maladie, douze séances suffisent en moyenne. Parfois, en quatre ou cinq séances, des blocages importants peuvent sauter, surtout si l'on intervient au bon moment. Les premières séances permettent souvent de poser les bases, de "décharger". Néanmoins, douze séances, cela reste insuffisant dans certaines situations. Notre association veut donc déplafonner ce nombre.
- Quelles améliorations seraient nécessaires ?
Pour moi, il y en a trois principales : lever le plafonnement à douze séances par an ; supprimer les critères d'exclusion actuels liés à la nature du trouble mental (et non à son intensité, que nous savons évaluer) ; et autoriser le dépassement d'honoraires, le tarif de base (50 euros) ne couvrant pas nos coûts, au regard de nos charges. Nous sommes les seuls professionnels conventionnés qui ne bénéficient pas de charges allégées et de l’absence de dépassement d’honoraires. Nous demandons de faire changer cela pour rendre notre engagement viable à long terme. Il faudrait aussi renforcer les garanties, pour les patients, aujourd’hui, un psychologue n’est pas obligé de suivre une formation continue. Rien ne nous oblige à nous mettre à jour sur la pharmacologie ou la psychopathologie... Éthiquement, beaucoup le font, mais pas tous. La formation continue est actuellement onéreuse et optionnelle. Nous souhaitons qu’elle devienne accessible et obligatoire pour les psychologues.
- Pour vous, ce dispositif reste néanmoins un pas en avant pour protéger la santé mentale ?
Il peut faire l'objet de critiques et nous devons le faire évoluer, mais il a le mérite d'être un signal fort. La santé mentale n'est plus un tabou, la parole s’est libérée. C'est particulièrement visible chez les jeunes, les enfants et les ados que je suis, notamment depuis la pandémie de Covid. Mais il n’y a pas que la crise sanitaire : les périodes de chômage, les reconversions professionnelles, les entreprises qui ferment, les problèmes de management, les relations toxiques au travail, mais également l'éco-anxiété, le terrorisme... sont autant de bouleversements sociétaux qui affectent notre santé mentale.
- Faudrait-il étendre le dispositif à d’autres professionnels comme les psychothérapeutes ou les sophrologues ?
Pour l’instant, le dispositif est réservé aux psychologues – c’est déjà beaucoup. Ce titre garantit une formation universitaire. C’est crucial pour éviter certaines dérives, le charlatanisme, le magnétisme, etc. Il faut maintenir ce cadre clair et sérieux. Les ergothérapeutes, qui sont des diplômes d’Etat en France, pourraient apporter beaucoup en termes de santé, y compris en santé mentale.
- Au-delà de "Mon soutien psy", que penser du "plan santé mentale" dévoilé cette semaine par l’Etat, qui prévoit notamment un repérage précoce des jeunes atteints de troubles et le renforcement de la formation en psychiatrie ?
La santé mentale a été déclarée "grande cause nationale 2025" par le gouvernement, mais il faudra attendre le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour voir quel budget sera alloué à ce plan. Mais certaines mesures vont dans le sens de nos revendications, comme le renforcement des moyens dans les centres médico-psychologiques (CMP), les services de psychiatrie. Solution de première ligne pour les patients, "Mon soutien psy" est un bon levier pour préserver la santé mentale. Mais pour fonctionner, il doit s’accompagner d’une réorganisation globale de la prise en charge de la santé et notamment la santé mentale, d’une meilleure formation des professionnels avec des moyens adaptés, coordination des services, d’une augmentation de l’offre de soin psychiques en général...