- L’addiction ne se résume ni à une maladie du cerveau, ni à un simple choix hédoniste : elle résulte d’une interaction complexe entre neuroadaptations et environnement.
- Les personnes dépendantes conservent une part de contrôle, et leurs décisions sont influencées par le contexte et les alternatives disponibles.
- Ce modèle plus nuancé invite à repenser les politiques de soin en valorisant le libre arbitre et en améliorant les conditions de vie.
Pourquoi continue-t-on à consommer de l'alcool, des drogues ou à jouer, même quand on dit vouloir arrêter ? Cette question, simple en apparence, révèle un profond paradoxe entre l'intention et l'action. Et si l'addiction était moins une perte totale de contrôle qu'une réorganisation des choix possibles, influencée par le cerveau et par l'environnement ? C’est ce que suggère le professeur de psychologie Matt Field, de l’Université de Sheffield (Royaume-Uni), dans un article publié dans The Conversation.
Ni simple maladie, ni simple plaisir
Depuis plusieurs décennies, le modèle de la "maladie du cerveau" a dominé la science de l'addiction. Il postule que la consommation répétée de substances altère le fonctionnement du cerveau, rendant l'usage compulsif, automatique, et déconnecté de toute volonté consciente. Cette approche a permis de "réduire la stigmatisation" et de "fonder le développement de nouveaux traitements", explique Matt Field. Mais dans les faits, peu de médicaments ont vu le jour, tandis que les thérapies psychosociales restent les plus efficaces.
En parallèle, une vision réductrice s'est imposée : l'addiction serait un choix, une simple recherche de plaisir. Pourtant, les recherches montrent que les motivations des usagers sont multiples : soulager le stress, s'intégrer socialement, éprouver un bien-être temporaire... "Ces motivations ne disparaissent pas simplement parce qu'une substance devient nocive."
Des choix modelés par le contexte
Contrairement à ce que laisse entendre le modèle strictement neurobiologique, les personnes souffrant d’addiction peuvent réduire ou cesser leur usage face à des changements de vie importants : mariage, emploi, ou encore parentalité. Autrement dit, elles conservent donc une part de contrôle. "L'addiction n'est pas tant une perte de la capacité à choisir qu'une conséquence de la façon dont le contexte façonne les choix."
C'est ici que la neuroéconomie apporte un nouvel éclairage : elle étudie comment le cerveau prend des décisions en fonction de la valeur perçue des options disponibles. Par exemple, les études ont révélé qu’une personne affamée accorde plus d'importance au goût qu'à la santé, optant donc pour des choix d’aliments malsains. De même, il a été démontré qu’un buveur dépressif et en manque accordera plus de valeur à l'alcool qu'à la nourriture.
Pourquoi les rechutes sont si fréquentes
Ce cadre d'analyse permet de comprendre pourquoi les rechutes sont si fréquentes : dans un contexte favorable au sevrage, la personne peut vouloir s'en sortir ; mais une fois revenue dans un environnement où les drogues sont accessibles et les alternatives rares, leur valeur relative augmente. "Les neuroadaptations comptent toujours, mais elles n'annulent pas la capacité à choisir", souligne Matt Field. Au lieu de voir les personnes comme irrémédiablement malades, le chercheur propose de revaloriser leur capacité d'action. "Nous pouvons soutenir un changement réel et durable" en rendant visibles, accessibles et attrayantes les alternatives aux comportements addictifs.