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Témoignage patient

Lèpre : “Quand on est informé, il n’y a plus de peur”

Par Sophie Raffin

Ce 26 janvier 2024 est l’une des trois journées consacrées aux malades de la lèpre. Cette infection chronique qui touche la peau et les nerfs, fait l’objet de nombreuses idées reçues. Armel Koudou, infecté alors qu’il était enfant, s’est confié à Pourquoi Docteur pour mettre un terme à l’ignorance et aux tabous concernant cette pathologie.

Alors qu'il était en CE2, Armel Koudou a vu apparaître des taches rougeâtres sur son corps. Il a découvert plus tard grâce à son oncle qu'il s'agissait de la lèpre.
Il a été pris en charge par l’Institut Raoul Follereau d’Adzopé, centre spécialisé dans le traitement de la lèpre, en 1995. En plus d'un traitement pris pendant 6 mois, il a subi 4 opérations pour certaines déformations créées par la maladie.
Aujourd'hui guéri et père de famille comblé, il oeuvre pour sensibiliser la population à la lèpre et pour réduire la stigmatisation des malades.

Dans l’imaginaire collectif, la lèpre est une maladie du Moyen-Âge. Pourtant, cette infection chronique qui affecte principalement la peau, les nerfs périphériques, les muqueuses des voies aériennes supérieures et les yeux, circule toujours, avec plus de 200.000 nouveaux cas chaque année. Ainsi, une personne est diagnostiquée toutes les 3 minutes dans 145 pays. Sans traitement, elle peut entraîner des atteintes graves de la peau ou des lésions nerveuses responsables d’infirmités ou de difformités physiques.

Pour l’Ivoirien Armel Koudou, la lèpre est apparue dans sa vie par le biais de taches rougeâtres sur sa peau au début des années 90 alors qu’il était en CE2. 

Diagnostic de la lèpre : "ça m’a fait peur"

Dans un premier temps, le jeune garçon et ses parents ont pensé que ces plaques étaient de simples dartres (petites desquamations cutanées). "Ma mère a été au marché de Divo où nous habitions, pour acheter des pommades. Elle les a appliquées sur les taches, mais elles n’apportaient aucun changement. Cela empirait même", se souvient Armel Koudou. 

"Quand je touchais ces tâches, j’avais l’impression que ce n’était pas une partie de moi, car je ne sentais rien. C’est comme si cette zone était anesthésiée. Je pouvais prendre une aiguille, piquer et ne ressentir aucune douleur. C’était vraiment difficile d’avoir une partie de mon corps qui ne m’appartenait plus."

C’est son oncle maternel, instituteur en visite dans la famille, qui est parvenu à identifier ce dont Armel souffrait. "Étant enseignant, il a immédiatement compris que c'étaient des tâches de la lèpre. Il nous a conseillé de nous rendre rapidement dans un centre spécialisé. Nous sommes partis dès le lendemain. C’est au sein de cet établissement que la maladie a été diagnostiquée." 

Alors âgé d’une douzaine d'années, Armel reconnaît avoir été effrayé par le diagnostic. "Ça m’a fait peur, car j’avais vu des malades de la lèpre aux abords des routes dans mon pays. La plupart étaient des mendiants", se rappelle le quadragénaire. "Quand on m’a dit que j’avais cette maladie, j’ai eu très mal au cœur. J’ai imaginé tout de suite quelqu’un qui n’allait plus avoir ses doigts, ses orteils, qui serait peut-être amputé."

Toutefois, les professionnels de santé qu’il a rencontrés sont parvenus à le rassurer. "Lorsque j’ai été dépisté, le médecin nous a bien expliqué à mes parents et moi que si j’étais pris en charge, la lèpre serait stoppée et que je ne pourrai pas contaminer mon entourage." Il a été dirigé vers l’Institut Raoul Follereau d’Adzopé, centre spécialisé dans le traitement de cette maladie. Sa prise en charge a débuté en janvier 1995. Il a reçu un traitement pendant 6 mois. "À côté de cela, j’ai subi 4 interventions chirurgicales étalées entre 1995 et 2000 pour corriger certaines déformations créées par la lèpre au niveau des mains ou des pieds." 

"Il fallait non seulement aller à l’école et en même temps me soigner"

Si ces soins étaient nécessaires pour vaincre l’infection et limiter son impact sur le corps, ils ont fortement perturbé sa scolarité. "Il fallait non seulement aller à l’école et en même temps me faire soigner, se souvient Armel. J’ai eu un parcours scolaire, surtout au collège, en dents de scie. Je ne finissais pas souvent mes années scolaires." Par ailleurs, en raison des nombreux patients attendant une opération, l’intervention ne pouvait pas toujours avoir lieu avant la reprise scolaire. "Parfois, le médecin était obligé de me dire 'une autre fois' et de me laisser partir uniquement avec des médicaments. Ce n’était pas facile."

Pendant cette période particulièrement difficile, Armel a pu compter sur sa famille. "Ma mère, mon père, mes frères et mes sœurs m’ont entouré de leur amour. Ils ne m’ont pas rejeté. Ils ont été avec moi : ils m’ont dit : c'est juste une maladie, il peut y avoir des complications, mais tu vas te soigner et ça va passer, tu vas te retrouver." Malheureusement, conduits par la peur et le manque d’information, les voisins n’ont pas fait preuve du même soutien. "Quand ils ont appris le mal dont je souffrais, ils m’ont rejeté. Ils ont même demandé à leurs enfants de ne plus jouer avec moi, de ne pas m’approcher de peur qu’ils soient contaminés."

Lèpre : "j’ai permis le diagnostic de 3 de mes élèves"

Mais la maladie, les douleurs et l’ignorance n’ont pas stoppé Armel. Il a étudié coûte que coûte pour atteindre son rêve : devenir instituteur. "Je me suis dit : avec cette maladie, si je ne réussis pas dans mes études, qu'est-ce que je vais pouvoir faire ? Franchement, cela n’a pas été facile, mais il fallait avoir un moral d’acier et foncer pour atteindre mon objectif."

Et ses efforts ont été payants. Armel est devenu instituteur en 2004. Et comme son oncle, il a - à son tour - aidé des enfants. "De par mes connaissances de la maladie, j’ai permis le diagnostic de trois de mes élèves. J'ai pu identifier les tâches de la lèpre, prévenir les parents et les inciter à consulter. Aujourd’hui, les enfants sont guéris. Plus la maladie est prise tôt, moins il y a de complications et de séquelles", se réjouit l’enseignant. 

Maladies tropicales négligées : "je suis un père de famille comblé"

Aujourd’hui guéri, mari heureux et père de 5 enfants, Armel poursuit le combat contre la lèpre pour les autres. Il a intégré l’Association Ivoirienne des Anciens Malades des MTN (maladies tropicales négligées) afin d’aider à mettre un terme aux idées reçues qui accompagnent l’infection. "Chez nous, quand tu souffres de la lèpre, tu es stigmatisé. Ce sont des moqueries et des railleries. Tu es rejeté par la société. Nous autres - anciens patients qui sommes passés par là et qui avons eu la grâce de nous en sortir - nous avons décidé de sensibiliser afin de faire changer les mentalités." L’organisation a prévu de lancer une campagne contre la lèpre à travers la Côte d’Ivoire après la coupe d'Afrique des nations de football qui se tient sur le sol ivoirien jusqu’au 11 février.

"Souvent, c’est le manque d’informations qui amène les gens à dire n’importe quoi. Quand on est informé, il n’y a plus de peur", estime le bénévole. 

Armel a gardé quelques petites déformations au niveau des mains qui sont, parfois, source de questionnement pour les personnes qu’il rencontre. Mais il ne se laisse pas atteindre et rappelle qu’il est un être humain au même titre que tout le monde. "La lèpre, je l’ai eu. Mais cela ne m’a pas empêché d’avancer : j’ai été à l'école malgré la maladie, j’ai un travail malgré la maladie, j’ai une épouse et de jolis enfants que j’aime malgré la maladie. Je suis un père de famille comblé. La maladie n’est pas un handicap, ni une fin en soi. La vie est faite de défis, il faut se battre."