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L'interview du week-end

Pesticides : “On a un faisceau de preuves très important sur la toxicité du glyphosate”

Par Alexandra Wargny Drieghe

La Commission européenne propose de prolonger l’autorisation d’utilisation du glyphosate pendant dix ans de plus, soit jusqu’au 15 décembre 2033. Les 27 doivent s’accorder lors d’un vote la semaine prochaine, malgré les controverses liées à cet herbicide. Mais que savons-nous exactement ? On fait le point avec le Dr Pierre-Michel Périnaud, président de l’Association “Alerte des Médecins sur les Pesticides”.

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Pourquoi docteur : Aujourd’hui, que savons-nous des effets du glyphosate sur notre santé ?

Dr Pierre-Michel Périnaud : Le glyphosate est classé cancérigène probable par le CIRC [Centre international de recherche sur le cancer, ndlr], qui est une référence en la matière ! C’est également un perturbateur endocrinien. Il a des effets neurotoxiques [peut entraîner des troubles neurologiques et neuro-comportementaux à long terme, ndlr] et reprotoxiques [provoque des effets néfastes sur la fonction sexuelle et la fertilité des femmes et des hommes adultes, ainsi que des effets indésirables sur le développement de leurs descendants, ndlr]. Cela repose sur un faisceau de preuves très important. En 2021, l’expertise de l’Inserm nous montrait que les dernières données épidémiologiques renforcent le lien entre l’exposition au glyphosate et le risque de développer un lymphome. Pareil concernant la génotoxicité : les experts expliquent qu’on a de nombreuses données, autant sur le plan qualitatif que quantitatif.

“La maladie de Parkinson est reconnue comme maladie professionnelle chez les agriculteurs exposés aux pesticides”

Les effets neurotoxiques du glyphosate sont quant à eux en arrière plan car ce n’est pas un critère d’exclusion du marché. Et ce n’est pourtant pas rien ! Un ensemble d’études montrent que l’exposition des femmes au glyphosate pendant leur grossesse, de part la situation de leur habitation par exemple, augmente le risque de trouble du spectre autistique chez l’enfant. Un risque qui augmente également si l’exposition se produit après la naissance.
En France, la maladie de Parkinson est reconnue comme maladie professionnelle chez les agriculteurs exposés aux pesticides, donc on voit bien qu’il se passe quelque chose.

De plus, l’Inserm a fait une remarque importante en disant qu’on s’était focalisé sur l’effet cancérigène du glyphosate mais que tout cela cachait peut-être autre chose de plus important qui est l’effet perturbateur endocrinien. Les implications sont trop graves, ce produit devrait être mis à l’index.

D’un côté le CIRC et l’Inserm produisent des positions contre le glyphosate, et de l’autre, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) “n'a pas identifié de domaine de préoccupation critique” concernant l’impact du glyphosate sur la santé humaine. Comment est-ce possible ?

Tout simplement parce que les agences et les scientifiques n'examinent pas les mêmes données. Celles fournies par les industriels dans le cadre d'un cahier des charges pour les agences, et celles de la littérature scientifique publiée dans des revues à comité de lecture pour le CIRC et l'Inserm. Les agences n'ont pas de possibilité de contre-expertise !

En Europe, une substance active ou une formulation représentative de cette substance, ne peut pas être autorisée si elle est reconnue CMR [Cancérogène, mutagène et reprotoxique, ndlr] ou perturbatrice endocrinienne.
Or ce n'est pas le glyphosate que les agriculteurs utilisent mais une formulation qui comprend le glyphosate, des co-formulants et des ingrédients liés à la synthèse. Ce détail n'en est pas un car contrairement aux médicaments, nous ne connaissons pas les formulations complètes qui sont des “secrets industriels”. De plus, la toxicité de la formulation à long terme n'est jamais évaluée d'un point de vue expérimental.

Dans le cas de la régulation du glyphosate, on a l’impression qu’il y a un bras de fer entre les industries et les États, car les dirigeants connaissent forcément les expertises du CIRC et de l’Inserm.

Glyphosate : “même si ce n’est pas le produit le plus cancérigène jamais inventé, il a des effets génotoxiques”

En France E.Macron s’engageait en 2017 à interdire le glyphosate d’ici 3 ans et finalement, en 2020, son ​​utilisation est interdite uniquement dans les situations où “il peut être substitué par une solution non chimique”. Est-ce suffisant ?

Le glyphosate est un cas d’école car les scientifiques l’ont beaucoup étudié et on dispose de nombreuses données très solides ! Donc les politiques doivent faire attention à ce qu’ils disent. Ils doivent absolument utiliser toutes les preuves fournies par la littérature scientifique internationale, au lieu de juger uniquement celles apportées par les industriels qui ne retiennent que ce qu’ils veulent.

Pour les scientifiques, le glyphosate est génotoxique ce qui signifie qu'il n’y a pas de seuil protégeant la population, c’est la probabilité de l'effet qui augmente avec l’importance de la contamination. Or la population contaminée par le glyphosate étant très large, de l’ordre de 40 % au minimum jusqu’à plus de 90 % dans certaines études, même si la probabilité est faible, on doit s’attendre à des effets cancérigènes !
Autre problème : ce sont des effets qu’on ne voit pas forcément. Lorsqu’un médecin rencontre un patient avec un lymphome, il ne peut pas le rattacher à une cause en particulier… Donc non, ce n’est pas suffisant, il faudrait définitivement s’en passer, mais pas pour le remplacer par une autre substance. Il faut revoir entièrement notre façon de produire et de consommer pour y parvenir. Les solutions sont déjà là, mais il faut modifier notre modèle économique et faire évoluer notre rapport au vivant.

Pesticides : "On est dans un degré quasi 0 de la protection des riverains"

Est-ce-qu’en tant que citoyen, on dispose de moyens pour se protéger du glyphosate ?

J’aurais du mal à donner des conseils dans la mesure où c’est une substance qui fait largement partie de la contamination de la population. On la retrouve un peu partout et on n’avance pas car l’État n’a pas souhaité que les agriculteurs communiquent sur ce qu’ils épandent. On est dans un degré quasi 0 de la protection des riverains… les seules protections c’est “passer votre chemin” en quelque sorte !
Manger des résidus de glyphosate nous contamine également. Donc il faut au maximum se tourner vers l’agriculture biologique, et aussi essayer de manger moins de viande car sa production repose sur des importations de soja, réalisées par des cultures OGM tolérantes aux formulations herbicides à base de glyphosate, avec des conséquences sur les populations locales et sur la déforestation.