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Luxation, boiterie

Les médecins dénoncent les risques de l'emmaillotage des bébés

Par Afsané Sabouhi

Emmailloter un nourrisson entrave ses jambes et peut avoir des conséquences graves et durables pour les articulations de ses hanches.

Rick Danzl/AP/SIPA

Emmaillotage mode d’emploi, Bien emmailloter bébé, 10 bonnes raisons d’emmailloter bébé : c’est la tendance du moment d’après les journaux et les sites dédiés aux mamans. Un retour à la mode pour une pratique tombée en désuétude depuis les années 70 et qui aurait mieux fait de le rester, selon des spécialistes.
Le Pr Nicholas Clarke, chirurgien en orthopédie pédiatrique à l’hôpital de Southampton, fait part,  dans la revue spécialisée Archives of disease in childhood publiée ce mardi, de son inquiétude face à la résurgence de cette pratique à risque pour l’articulation de la hanche. « Neuf bébés américains sur dix sont ainsi emmaillotés à l’ancienne pendant les 6 premiers mois de leur vie et la demande de langes et de couvertures d’emmaillotage a bondi de 61% au Royaume-Uni entre 2010 et 2011 », s’alarme ce spécialiste.

Cocon pour la maman, luxation de la hanche pour l'enfant
D’après les parents adeptes, emmailloter l’enfant facilite son sommeil, apaise ses pleurs et même ses coliques en recréant le cocon rassurant du ventre de sa mère. Mais pour les spécialistes, entraver les jambes d’un bébé est absolument à proscrire. « J’espérais qu’on en avait fini avec ces pratiques d’un autre siècle. Ce langeage dit « en nourrice » où l’enfant a les jambes serrées favorise les luxations de la hanche », affirme le Pr Joël Lechevallier, chirurgien au CHU de Rouen et président de la Société française d’orthopédie pédiatrique (SOFOP). « Les Indiens Navajos, qui ont culturellement l’habitude de langer les enfants en position de quille, ont l’une des incidences les plus fortes de luxation de hanche », confirme le Pr Philippe Wicart, chirurgien à l’hôpital Necker à Paris et secrétaire général de la SOFOP.


Bouger pour se développer

Un bébé doit pouvoir gigoter même lorsqu’il dort car ses mouvements de jambes contribuent au bon développement de ses hanches et à l’emboîtement correct de la tête du fémur, l’os de la cuisse, dans la cavité du bassin. C’est encore plus indispensable s’il fait partie des 2 % d’enfants qui naissent en France avec une instabilité de la hanche, c’est-à-dire une hanche à risque de luxation.

 

Ecoutez le Pr Philippe Wicart, chirurgien à l’hôpital Necker à Paris et secrétaire général de la SOFOP : « In utero, le bébé a une posture luxante qui fait sortir la tête du fémur de son logement. Dans plus de la moitié des cas, ces hanches instables guérissent spontanément dans la petite enfance ».



Avec le brassage des populations, les origines bretonnes ou auvergnates ne sont plus un facteur de risque à part entière. En revanche, les antécédents familiaux, le fait d’être né en siège, de souffrir d’un torticolis congénital ou de certaines anomalies du pied augmentent le risque de voir la hanche instable persister et se transformer en luxation vraie. « Pour ces enfants à risque, on recommande la position de la grenouille, avec les jambes écartées et rétractées. Si on les lange en leur serrant les jambes, on entrave sérieusement les chances de rémission spontanée de leur hanche instable, voire même on leur luxe la hanche à coup sûr », prévient Joël Lechevallier. Or une luxation n'empêche pas d'apprendre à marcher mais peut entrainer une boiterie et nécessite un traitement qui peut aller jusqu’à la chirurgie.

Hausse des luxations congénitales de la hanche

Les spécialistes français constatent depuis 2010 une hausse du nombre d’enfants hospitalisés pour luxation congénitale de la hanche. La Société savante a donc mené une étude pour recenser ce type de cas dans toute la France. Philippe Wicart, qui est l’un des 2 coordonateurs de cette étude, révèle à avant-première à pourquoidocteur les chiffres 2012-2013 qui témoigne de cette augmentation.

 

Ecoutez le Pr Philippe Wicart, chirurgien à l’hôpital Necker à Paris et secrétaire général de la SOFOP : « En 2011, 70 enfants ont été hospitalisés après 1 an pour une luxation congénitale de la hanche. Entre mai 2012 et avril 2013, 182 enfants ont été hospitalisés pour le même diagnostic après 3 mois ».



Pour cet orthopédiste pédiatrique, il serait trop simpliste d’incriminer la mode de l’emmaillotage dans cette hausse des luxations congénitales. « Je pense plutôt que c’est le signe de lacunes de dépistage, dans les maternités, chez les pédiatres et les généralistes. Surveiller les hanches instables est un enjeu de santé publique aussi important que la vaccination », insiste Philippe Wicart.

Pour ne pas amplifier un problème de santé publique déjà existant, les spécialistes conseillent donc aux adeptes de l’emmaillotage de privilégier les langes lâches pour que leur bébé puisse bouger ses jambes à sa guise. Ou d’adopter le portage sur la hanche, à la manière des femmes africaines. « Sans le savoir, elles ont inventé la prévention de la luxation de la hanche », résume le Pr Lechevallier.