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Familles de personnes décédées

Plaintes contre Pradaxa : un médicament dans le collimateur

Par Bruno Martrette

Les familles de 4 personnes décédées début 2013 en France alors qu'elles prenaient du Pradaxa, un anticoagulant de nouvelle génération, portent plainte contre le laboratoire Boehringer et l'ANSM.

SERGE POUZET/SIPA

Un médicament en ligne de mire à l'origine d'une nouvelle affaire ? Les familles de quatre personnes qui prenaient le nouvel anticoagulant Pradaxa, et qui sont décédées début 2013 des suites d'une hémorragie, ont en effet décidé de porter plainte contre le laboratoire allemand Boehringer Ingelheim, qui le commercialise. Une plainte pour homicide involontaire a déjà été déposée ce mardi et trois autres le seront dans les jours qui viennent, a précisé à Reuters leur avocat, Me Philippe Courtois. Les plaintes visent également l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), à qui les plaignants reprochent d'avoir méconnu les principes de précaution et de prévention. L'avocat des victimes, prudent, a néanmoins appelé les patients à « ne pas arrêter leur traitement sans avis médical. » Retour sur une affaire qui secoue la planète santé depuis quelques jours.

Le point de départ : l'alerte des jeunes biologistes sur les risques des Nacos
Dans cette histoire, tout semble débuter le 17 septembre avec l’alerte du syndicat des jeunes biologistes sur les risques des nouveaux anticoagulants oraux (NACOs). Prescrits largement par les médecins, ces nouveaux traitements (Pradaxa, Xarelto et Eliquis), sont apparus sur le marché français fin 2011. Ils empêchent le sang de former des caillots, et sont donc indiqués dans la prévention des phlébites (par exemple après une intervention chirurgicale), des embolies ou des accidents vasculaires cérébraux.
Pourtant, pour les  biologistes, les NACOs ont un défaut majeur. Comme les anti-vitamine K, ils servent à fluidifier le sang, ils exposent donc logiquement à un risque d’hémorragie, qui est connu et très surveillé. Or, contrairement aux anciennes molécules, on ne leur connaît pas encore d’antidote. Autrement dit, on ne sait pas comment stopper leur effet fluidifiant si  la personne a besoin d’une chirurgie en urgence, par exemple.
Par ailleurs, les biologistes alertaient également sur le prix excessif de ces médicaments. « Le coût mensuel du traitement par NACOs est de 76 euros à comparer aux 12,5 euros en moyenne pour les anciens anti-vitamine K », chiffrait le syndicat. 

Enfin, dans leur lettre, ces médecins évoquaient aussi un « boom des NACOs » et s’inquiètaient d’un dérapage des prescriptions, les nouvelles molécules étant de plus en plus systématiquement préférées aux anti-vitamine K, sans suivre les recommandations. 

L’Agence de sécurité du médicament essaie d’éteindre l’incendie
A la suite de l'alerte des biologistes, l'ANSM a publié un communiqué pour indiquer tout d’abord qu’ « il est indispensable, lorsqu’un traitement anticoagulant a été prescrit de ne pas l’arrêter sans avis médical, compte tenu du risque de complications thrombotiques graves pouvant survenir, parfois à court terme ».
 « Il est également indispensable de prendre régulièrement son traitement et au patient d’informer systématiquement tout professionnel de santé qu’il reçoit un traitement anticoagulant ». 
Ce courrier adressé aux professionnels de santé reprend une décision européenne visant à rappeler que ces médicaments sont à manier avec précaution et que leur bon usage est la pierre angulaire de la minimisation du risque d’hémorragie. « Mais ce n’est absolument pas en réaction à une crise qui couve », assurait Lotfi Boudali, le responsable du pôle cardiologie de l'Agence. Si elle ne partage visiblement pas les inquiétudes des biologistes, l’ANSM confie ne pas comprendre cette alerte soudaine et s’inquiète surtout pour les patients affolés qui risquent l’accident vasculaire cérébral en cas d’interruption brutale de leur traitement.


La Haute autorité de santé fixe les règles
Cet été, la Haute autorité de santé (HAS) a rappelé que les nouveaux anticoagulants oraux représentent seulement une alternative au traitement de référence. Avant l’arrivée sur le marché de ces nouvelles molécules, la prévention de la thrombose était assurée par les Anti-vitamine K (AVK,). Ils sont efficaces mais nécessitent une surveillance très étroite de la coagulation avec une prise de sang tous les 15 jours. L’avantage des nouveaux anticoagulants est de ne plus nécessiter ce suivi biologique si régulier. « Néanmoins, leur utilisation peut être associée, comme pour tout anticoagulant, à la survenue de complications hémorragiques, parfois graves. »
C'est pourquoi, dans une fiche de bon usage du médicament à destination des médecins, publiée à la fin du mois de juillet, la HAS indiquait qu'on ne dispose pour l’instant d’aucun moyen de mesurer en pratique courante le degré d’anticoagulation que ces NACOs induisent. Les tests d’hémostase courants ne reflètent pas le niveau d’anticoagulation.
Par ailleurs, « du fait de la brièveté de leur demi-vie, plus courte que celle des AVK, l'action des nouveaux anticoagulants est très sensible à l’oubli d’une prise », précisait l'Autorité. Enfin, elle concluait en soulignant qu'il n’existe « pour l’instant pas d’antidote en cas de surdosage. » Pour toutes ces raisons, ces médicaments font l’objet d’un suivi national de pharmacovigilance depuis leur mise sur le marché et d’une surveillance étroite au niveau européen.