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Entretien

Covid-19 : “La seule façon de redonner confiance est de centrer la vaccination sur le médecin traitant”

Par Jean-Guillaume Bayard

Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), souhaite que les médecins traitants soient au cœur de la campagne vaccinale pour donner confiance aux Français et éviter les erreurs passées, notamment avec la grippe H1N1.

Tero Vesalainen/iStock

Ce jeudi 3 décembre, le Premier ministre Jean Castex a dévoilé la stratégie vaccinale française, plaçant les médecins généralistes au cœur du dispositif. Une bonne nouvelle pour Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), qui nous expose ses attentes. 

Pourquoi docteur - Quelles attentes avez-vous concernant la campagne de vaccination contre la Covid-19?

Jean-Paul Ortiz - Ce que nous pensons, c’est qu’il faut absolument tirer des leçons du passé et ne pas faire les mêmes erreurs que celles commise avec la grippe H1N1. Les Français ne se sont pas vaccinés et à l’époque Roselyne Bachelot, la ministre de la Santé, avait exclu les médecins traitants de la vaccination. La deuxième chose, c’est la méfiance des Français vis-à-vis de la vaccination en général. On le regrette, c’est atypique au niveau européen, mais on voit qu’ils sont très méfiants et quand on regarde les opinions, moins de 40% de la population annonce vouloir se faire vacciner quand les allemands sont à 70%.

Pourquoi le médecin doit-il, selon vous, être placé au centre de la campagne de vaccination ?

La seule façon de redonner confiance c’est de centrer la vaccination sur le médecin traitant, le médecin que les Français vont voir habituellement. Ça peut être un généraliste ou un spécialiste qu’ils consultent régulièrement. C’est au médecin qu’ils pourront poser toutes les questions et trouver toutes les réponses. La parole de l’État est remise en cause et celle des politiques en général. Celui auprès de qui les Français ont le plus confiance pour leur santé, c’est leur médecin.

La vaccination s’organisera donc en deux temps, avec un premier rendez-vous dédié à l’information et le deuxième à la vaccination. D’abord, il délivrera des informations pré-vaccination : les risques éventuels, le bénéfice à se faire vacciner, tout ce que la maladie engendre à court et long terme... Dans un deuxième temps, après que le consentement du patient soit obtenu, puisque la vaccination se fonde sur la base du volontariat, nous vaccinerons le patient. Ce sera la même chose dans les Ehpad. Pour les personnes très âgées, on informera également la famille.

Comment s’assurer de la gratuité du vaccin ?

Le vaccin sera gratuit et la consultation remboursée à 100%. L’acte de vaccination sera remboursé à 100%. Les deux rendez-vous seront remboursés et sont nécessaires, compte-tenu de la logistique des vaccins. Le vaccin de Pfizer doit se conserver à très basse température – environ -70 degrés - et ne peut être conservé dans un frigo entre 2 et 8 degrés que pendant 5 jours. De plus, il se présente sous forme de flacons multi-doses. Pour le vaccin développé par Moderna, c’est similaire. Dans ces conditions, il est nécessaire de programmer la vaccination. Cette programmation se fera chez le médecin traitant.

Avons-nous la capacité logistique d’accueillir ces vaccins ?

Il va y avoir un centre par département qui recevra les vaccins et qui est déjà, ou va être, équipé d’un congélateur à - 80 degrés. À partir de là, les vaccins seront acheminés via les grossistes répartiteurs dans les pharmacies de ville. Les médecins iront chercher les flacons multi-doses dans la pharmacie où ils ont l’habitude d’aller. Chaque pharmacie a déclaré les médecins qui ont pris l’habitude de s’y rendre, notamment pour organiser la distribution de masques. Il faudra commander à l’avance pour savoir la quantité de vaccin nécessaire.

C’est l’organisation actuelle pour les deux premiers vaccins. On attend des vaccins dont la conservation est plus classique, au frigo, et qui devraient arriver au printemps. Il semble que Sanofi travaille sur un vaccin qui se conserve à température ambiante.

Les médecins ont-ils toutes les informations nécessaires pour rassurer les patients ?

Pour que cela se réalise du mieux possible, il faut que les médecins soient tous convaincus et aient toutes les informations sur les vaccins. Ce dont on ne dispose pas aujourd’hui. Il nous faut toutes les données scientifiques pour répondre aux Français. Il y a encore des choses que l’on ne connait pas. Je demande les données scientifiques et compte sur les semaines qui viennent pour que la Haute autorité de santé puisse nous communiquer ces éléments là pour être en capacité de répondre aux interrogations des Français.

Que savons-nous aujourd’hui des effets secondaires du vaccin ?

Aujourd’hui, aucun effet secondaire significatif, si ce n’est de la fièvre et quelques douleurs, n’a été rapporté. On ne possède pas plus d’éléments d’informations. Il faut comprendre le raisonnement médical qui repose sur le rapport bénéfice/risque, c’est-à-dire que lorsque l’on vaccine, il y a des risques secondaires. Aujourd’hui ils apparaissent mineurs et négligeables alors que le bénéfice de la vaccination est énorme. C’est la même chose lorsque l’on prescrit un médicament ou quand on réalise une opération. Il y a toujours des risques mais le bénéfice apparaît tellement supérieur qu’on le prend tout en faisant en sorte de le réduire au maximum.

Y aura-t-il un suivi des patients vaccinés par les médecins généralistes ?

Le suivi des patients, c’est aussi pour cela que l’on doit mettre les médecins en première ligne. Il faut un outil informatique pour l’organiser parce qu’il est fondamental d’avoir une traçabilité. Il va y avoir plusieurs laboratoires avec plusieurs vaccins qui utilisent des technologies différentes. Certains sont centrés sur la technologie ARN, d’autres sur des virus coronavirus modifiés et d’autres issus de la rougeole. Il faut savoir quel vaccin est utilisé, quel lot et à quelle date. La deuxième chose, c’est que le suivi du patient sera fait par le médecin traitant. On attend encore des recommandations sur l’organisation du calendrier de suivi. Pour l’instant, aucun rendez-vous n’est obligatoire mais on attend les recommandations de la Haute autorité de santé.

Le vaccin sera-t-il suffisant pour stopper l’épidémie, ou au moins empêcher une troisième vague ? 

Cette question concerne l’immunité collective et pour l’atteindre, il faut qu’entre 60 et 70% des Français soient vaccinés ou aient attrapé le virus. Dans les zones où le virus a beaucoup circulé, le taux de Français couvert oscille entre 10 et 15%. Au niveau national, on est en dessous de 10%, peut être entre 7 et 8%.

C’est logique que les Français s’interrogent. Je suis persuadé qu’il y aura progressivement un effet boule de neige. Tout le monde connaît quelqu’un qui a attrapé le virus voire qui a fait une Covid grave ou même qui en est décédé. Nous, médecins, nous avons également été surpris par la gravité de ce coronavirus. Lorsque, progressivement, nous connaîtrons une ou plusieurs personnes qui s’est fait vacciner et qui n’a pas eu de problème, on ira plus se faire vacciner.

Le virus va continuer de circuler tant qu’il n’y aura pas une protection des deux tiers de la population. Comme il y aura de plus en plus de personnes vaccinées, il y aura de moins en moins de personnes positives.

La question de la contagiosité des personnes vaccinées subsiste. Une étude française a été lancée pour connaître le degré de protection, notamment dans la muqueuse nasale. On peut être vacciné et porteur du virus donc potentiellement pouvoir le transmettre mais la charge virale sera tellement faible que le risque est très atténué, à la fois pour la transmission mais également pour les formes graves. Les formes graves sont liées à la quantité de virus qui nous a infectée.