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L'entretien du week-end

Covid-19 : “Les personnes atteintes d’obésité sont complètement désemparées”

Par Mathilde Debry

Agnès Maurin, directrice et fondatrice de la Ligue contre l'obésité, nous éclaire sur les grands enjeux de cette maladie chronique, particulièrement atteinte par la Covid-19.

Ian_Redding/istock

Pourquoi docteur - Jusqu’à la suspension du décret jeudi 15 octobre*, le Gouvernement excluait les personnes souffrant d’obésité du dispositif d’activité partielle. Qu’en pensez-vous ? 

Agnès Maurin - C’est une ineptie totale, au moment où la crise sanitaire de la Covid-19 sévit toujours et que de très nombreuses études scientifiques démontrent que l’obésité constitue un risque majeur de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2.

On a alerté dès début avril sur ce problème, en constatant par exemple qu’à Lyon, 89% des patients en soins intensifs sont atteints d’obésité, des chiffres alarmants que l’on retrouve au CHU de Lille. 

90% des décès liés à la Covid-19 sont des personnes âgées, mais ce n’est pas seulement parce qu’elles sont âgées, c’est aussi parce la plupart du temps, elles souffrent d’une maladie chronique, dont l’obésité fait partie.  

En quoi les personnes obèses sont-elles plus fragiles que d’autres face à la Covid-19 ? 

Plusieurs facteurs de risque entrent en jeu. D’abord, l’accumulation de graisse dans le ventre réduit la capacité pulmonaire. Ensuite, le gras loge de nombreux vaisseaux sanguins, qui permettent au virus de circuler plus facilement dans le sang. Par ailleurs, la surcharge pondérale entraîne une inflammation des tissus permanente, qui pourrait favoriser l’orage cytokinique que l’on observe au cours de l’infection par le SARS-Cov2. Enfin, les complications de l’obésité́ sont multiples, dont l’insuffisance respiratoire aiguë, qui constitue un motif de plus en plus fréquent de consultation aux urgences.

Que leur conseillez-vous pour faire face au virus ? 

On reçoit de nombreux appels de personnes atteintes d’obésité qui sont complètement désemparées face à la Covid-19. Pour les aider, on leur recommande d’aller d’abord chez leur médecin généraliste, afin d’évaluer leur risque de contracter une forme grave du virus. 

En fonction de leur bilan, on leur conseille, dans la mesure du possible, de demander à leur entreprise travailler de manière isolée ou de chez eux. Ces règles d’adaptation aux personnes atteintes d’obésité devraient être obligatoires. 

Suite à l'épidémie, certaines personnes obèses ont-elles pris conscience qu’elles devaient se soigner ? 

Tout à fait, il y a eu une vraie prise de conscience pendant le confinement. Beaucoup de personnes nous ont appelé ou nous ont écrit pour la toute première fois, en nous expliquant qu’elles calculaient leur IMC et que, pour la plupart, elles ne savaient pas quoi faire. 

On peut encore une fois constater qu’en France, la première prise en charge des personnes atteintes d’obésité ne fonctionne pas, notamment parce que les médecins généralistes ne sont pas assez formés à cette problématique. De ce fait, de nombreuses personnes souffrant d’obésité sont soignées beaucoup trop tard, et en arrivent à la chirurgie alors que cela aurait pu être évité. 

Cette mauvaise prise en charge engendre également de lourdes souffrances psychologiques et de l’isolement social, qui pourraient être fortement diminués.

L’initiative de Boris Johnson, qui veut mettre au régime les Anglais, est-elle un modèle à suivre ? 

Pour nous, cette politique publique est catastrophique, c’est tout le contraire de ce qu’il faut faire. L’initiative de Boris Johnson se concentre sur la responsabilité individuelle, en insinuant que l’obésité se traite simplement en faisant l’effort de manger moins et de bouger plus. Or, l’obésité relève de la responsabilité collective, car c’est une maladie dont les causes sont multiples : le stress, les problèmes de sommeil, la pollution de l’air, la santé mentale, la pauvreté, etc.

Le "manger moins, bouger plus", ce sont des conseils valables pour les personnes en léger surpoids, mais pas pour les personnes atteintes d’obésité. Faire croire le contraire stigmatise les personnes atteintes d’obésité, sans par ailleurs parler du danger que représentent les régimes amincissants pour la santé. 

Des médecins canadiens ont récemment revu la définition de l'obésité, en proposant une approche la maladie plus globale que celle centrée uniquement sur le poids. Qu’en pensez-vous ? 

Nous sommes en lien avec eux, et sur la même longueur d’ondes. La prise en charge de l'obésité doit sortir du comportementalisme. Elle doit reposer sur des principes de gestion des maladies chroniques, c’est-à-dire se plonger dans le vécu des patients, dépasser les approches simplistes consistant à “manger moins, bouger plus” et s'attaquer aux causes profondes de la pathologie.

Basé initialement sur du body positive, le hastag #PlusDe100kgEtSereine a divisé la Toile, certains critiquant une apologie de l’obésité. Ce mouvement est-il une bonne chose ? 

Ce mouvement est à mon avis indispensable, et une bonne chose pour lutter contre la stigmatisation des personnes atteintes d’obésité. L’obésité aujourd’hui, c’est comme avec le VIH dans les années 80. Il faut que les militants puissent s’exprimer librement sur ce qu’ils vivent dans leurs chairs.

En France, la grossophobie sévit partout, jusque dans les familles. Les discriminations et les agressions envers les personnes atteintes d’obésité peuvent être aussi frontales que sourdes.

*Après la suspension, jeudi 15 octobre, par le Conseil d’Etat du décret du 29 août réduisant la liste des critères de vulnérabilité, le gouvernement a décidé, selon les propos du ministre de la Santé, Olivier Véran, "de faire probablement évoluer cette liste de manière à protéger davantage de personnes compte tenu de l'état d'urgence sanitaire".