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La peau : la crème des tissus

Par Cécile Coumau

Elle est multifonctions. La peau nous protège, régule notre température, se répare toute seule... et frémit au gré de nos sentiments. Alain Froment, médecin et anthropologue, perce les secrets de cette partie de notre anatomie.

PETILLOT/SIPA

Lavable, imperméable, extensible, auto-réparateur, thermorégulateur, émonctoire – c’est à dire qui sert à éliminer -, la peau est un petit bijou de technologie, que nous n’avons pas encore réussi à recréer. Elle pèse chez un adulte entre 3,6 kg et 5 kilo soit  plus de 2 fois le poids du cerveau et elle une surface de près de 2 m2 soit la dimension d’un couvre-lit. Ce qui fait d’elle le plus grand de nos organes. La peau est constitué de trois couches : l’épiderme, le derme et l’hypoderme. La plus superficielle, l’épiderme, est  de l’épaisseur d’une feuille de livre. Dans la couche profonde de cet épiderme, logent des milliers de cellules nerveuses qui servent à renseigner le toucher. A la surface de la peau on retrouve la couche cornée  faite de cellules mortes qui desquament et tombent ? C’est  une véritable mue plus fréquente que celle des serpents, puisque  c’est un processus permanent qui produit une nouvelle peau tous les 30 jours.


Entretien avec le Dr Alain Froment, médecin, anthropologue et directeur de collections d’anthropologie au musée de l’Homme. Il vient de publier aux éditions Odile Jacob « Anatomie impertinente – le corps humain et l’évolution » (1)


Pourquoi Docteur : Aujourd’hui, nous vivons dans des conditions confinées, dans des appartements, alors que nos ancêtres lointains étaient à l’extérieur tout le temps. Est-ce que cela a fragilisé notre peau ?

Dr Alain Froment : La peau n’est pas du tout un tissu fragile. C’est un tissu extraordinaire. Sa conception est ancienne, son architecture est liée au fait que nos ancêtres poissons ont dû sortir de l’eau pour affronter la vie sur terre et donc se protéger. Et que vous preniez des populations en climat chaud ou en climat froid, peu importe, la peau est partout la même. Ce qui nous distingue le plus des autres mammifères et notamment de nos cousins primates, c’est que notre pelage est beaucoup moins visible. En fait, nous avons autant de poils qu’un chimpanzé, mais nos poils sont beaucoup plus fins, et donc ils se voient moins. Et ce qu’on a aussi qui nous différencie, c’est qu’on a davantage de glandes sudoripares, qui nous permettent de suer et de nous rafraîchir en climat chaud.


L’homo erectus, par exemple, était-il plus poilu que nous ? Est-ce que, petit à petit, finalement, on a perdu ces poils ?

Dr Alain Froment : L’homo erectus a une structure squelettique qui est analogue à la nôtre, ce qui veut dire que ses exigences en termes de régulation de température étaient les mêmes que les nôtres. Donc, on est à peu près sûr que l’homo erectus avait la peau nue parce qu’il vivait en savane, dans des conditions où il fait parfois 45°.

 

« Peau de balle »

Ca vaut peau de balle, autrement dit ça ne vaut rien. Deux hypothèses circulent pour expliquer l’origine de cette expression péjorative. Pour certains, la balle est l'enveloppe des grains de céréales. Une enveloppe qui a vocation à être jetée alors que l’intérieur a de la valeur. Pour d’autres, la balle n’est autre que le testicule. Reste à savoir pourquoi la peau de cette partie intime ne serait pas précieuse… Alors, que « la peau des fesses » a une valeur inestimable. Elle coûte presque aussi cher que les yeux de la tête !

 

 


Sous l’épiderme, il y a une couche de graisse. Est-ce que cette couche de graisse a évolué aussi, puisque, autrefois, il y a très longtemps, évidemment, nous avions besoin de réserves ? Maintenant, nous avons des réfrigérateurs…

Dr Alain Froment : Toutes ces outils inventés récemment ne comptent pas aux yeux de l’évolution. Nous avons quand même à peu près 200 000 ans derrière nous d’homme moderne, et 5 à 6 millions d’années de pré-humain. Ce qui fait la capacité d’adaptation de l’espèce humaine, maintenant, ce n’est pas son corps en évolution, qui est sur un rythme lent, mais ce sont ses inventions. C’est comme cela qu’on peut par exemple aller habiter sous les mers en se fabriquant une maison. Donc inutile d’attendre que nous retournions au stade de poisson, ce qui a mis quand même 3 à 400 000 millions d’années. Mais, nous avons davantage de graisse sous la peau que les autres primates. C’est certainement une couche de protection. Mais si vous prenez les Esquimaux, ils ne sont pas plus gras que nous, tout simplement, parce que pour résister au froid, d’une part, ils prennent une alimentation qui est hyper calorique, et d’autre part, ils s’habillent. Et la température dans un igloo, c’est entre 20 et 25°, donc cela ne nécessite pas en fait, d’avoir un pannicule de graisse énorme.


Et est-ce que notre peau se régénère aussi rapidement aujourd’hui qu’il y a des millions d’années ?

Dr Alain Froment : Le tissu cutané est à peu près le même dans toutes les espèces de mammifères. Ce qui est intéressant, c’est de voir effectivement qu’en permanence, nous fabriquons de la peau. Les couches inférieures font remonter les cellules vers l’extérieur, et elles se dessèchent. On perd donc de petites écailles, qu’on appelle les pellicules, et nous en perdons à peu près 500 g par an. Ces petites pellicules servent d’alimentation à tous les petits parasites, les acariens, qui vivent dans nos appartements. Et dans la poussière d’appartement, une bonne partie, ce sont nos cellules mortes.


(1) « Anatomie impertinente – le corps humain et l’évolution » Ed. Odile Jacob, 281 p. 25,90 €


Demain : « Le crâne, modelé pour la grosse tête », avec le Dr Alain Froment.