ACCUEIL > QUESTION D'ACTU > Mutations génétiques : inquiétudes pour les jumelles "CRISPR" en Chine

Innovation

Mutations génétiques : inquiétudes pour les jumelles "CRISPR" en Chine

Par Thierry Borsa

Les embryons de deux jumelles chinoises avaient été génétiquement modifiés pour obtenir une immunité naturelle contre le Sida. Mais des mutations imprévues auraient touché leur génome, avec des conséquences que personne ne peut prédire.

Ktsimage/iStock

Créer une mutation du génome pour obtenir une immunité naturelle contre des virus dangereux, c'est techniquement possible. C'est une des utilisations possibles du système CRISPR-Cas9, appelé aussi “ciseaux génétiques”, qui permet de cibler, couper et modifier une séquence d'ADN. 

De telles manipulations sur l'homme sont aujourd'hui impossibles en France car la législation interdit toute intervention sur le patrimoine génétique d'une personne. Cependant, des scientifiques chinois ont fait abstraction de ces limites éthiques et, en 2018, ont annoncé au monde entier qu'ils avaient, grâce au système CRISPR-Cas9, modifié des embryons de jumeaux dans le cadre d'une fécondation in-vitro. L'objectif de cette intervention: conférer aux bébés à naître une immunité naturelle contre le Sida.

Des conséquences que personne ne peut prédire

Mais aujourd'hui, selon un journaliste américain de la MIT Technology Review cité par 20 Minutes, de fortes inquiétudes existeraient quant à l'avenir de Lulu et Nana, les deux jumelles nées de cette fécondation in-vitro avec modifications génétiques des embryons. Si la mutation a apparemment réussi — donc si ces bébés sont bien ”naturellement” immunisés contre le Sida —, le problème est que ces mutations auraient touché aussi d'autres parties de leur génome avec, cette fois, des conséquences que personne ne peut aujourd'hui prédire.

Explications : l'utilisation du système CRISPR-Cas9 permet de cibler, couper, supprimer ou modifier et réimplanter une séquence d'ADN. C'est le principe du “copier-coller” qui autorise une réécriture du génome afin de prévenir ou corriger des désordres génétiques à l'origine de certaines maladies, voire d'adapter l'organisme humain pour le protéger d'attaque extérieures comme les virus ou les bactéries. 

Mais, comme le souligne Carine Giovannangeli, directeur de recherche au CNRS, dans l'émission “Santé 2030” diffusée sur la chaîne YouTube de Pourquoi Docteur, “une fois que l'on a cassé l'ADN avec le système CRISPR-Cas9, ce sont les mécanismes déclenchés par la cassure qui modifient les cellules et nous n'avons aucun contrôle sur ces mécanismes, parfois cela marche, parfois cela marche moins bien.”

Une modification “hors cible”

Carine Giovannangeli explique que ce sont bien là, sur la précision et l'efficacité, les limites de l'utilisation du système CRISPR-Cas9. En effet, au-delà des effets incontrôlables de la cassure de l'ADN, il y a aussi le fait que lorsque l'on vise une séquence du génome, le système peut l'identifier, mais peut aussi identifier en même temps toutes les séquences ressemblantes et y produire des effets non désirés. Ce que les chercheurs appellent une modification “hors cible”.

C'est bien cette absence de précision du système CRISPR-Cas9 qui semble en cause dans l'affaire des jumelles chinoises. Selon le journaliste de la MIT Technology Review, les résultats de leur intervention écrits — mais non publiés — par les scientifiques chinois, expliqueraient cette sorte de dissémination des mutations sur l'ensemble du génome des deux fillettes. Avec une visibilité nulle sur les effets que cela peut produire.

L'annonce de leur intervention sur les embryons par les scientifiques chinois avait suscité une grande émotion liée à toutes les questions éthiques qui accompagnent des innovations comme le système CRISPR-Cas9. L'affaire des jumelles chinoises montre bien que ces techniques, aussi prometteuses soient-elles, doivent encore être sécurisées pour éviter des réactions en chaîne qui pourraient être dramatiques en cas d'effets négatifs des mutations.