ACCUEIL > QUESTION D'ACTU > Espace : le grand laboratoire pour la santé sur Terre

Recherche médicale

Espace : le grand laboratoire pour la santé sur Terre

Par Anne-Laure Lebrun

De retour sur Terre depuis juin dernier, Thomas Pesquet a présenté les expériences biomédicales auxquelles il a participé lors de sa mission à bord de l’ISS.

Pesquet/SIPA

La station spatiale internationale est un incroyable terrain de jeux pour les scientifiques. A chaque mission, les astronautes envoyés à 400 km au-dessus de la Terre participent à des études médicales qui visent à améliorer leur santé, mais aussi celle du commun des mortels.

Un grand nombre d’expériences auxquelles s’est adonné Thomas Pesquet, spationaute français parti 6 mois en orbite. De retour sur Terre depuis juin dernier, l’ex-pilote de ligne en a présenté quelques-unes à l’Académie des Sciences le mardi 10 octobre.

Coup de vieux 

Ses vaisseaux sanguins et son cœur ont, notamment, fait l’objet de recherches minutieuses. Car dans l’espace, ces organes sont victimes d’un vieillissement accéléré. Un phénomène dû en très grande partie à la microgravité et à la diminution de l’activité physique.

Le Pr Pierre Boutouyrie, pharmacologue et cardiologue à l’Hôpital européen Georges-Pompidou, n’a pas pu dévoiler les données personnelles du spationaute. En revanche, il a décrit les premiers résultats obtenus dans l’étude d’alitement bed rest qui simule l’effet de la microgravité. Entre janvier et avril, 10 volontaires ont accepté de rester allongés. Dix autres participants prendront leur place cet automne.

« En l’espace de deux mois, on observe un vieillissement artériel qui est de l’ordre de 10 à 15 ans, ce qui est absolument considérable, a résumé le chercheur. On observe également un changement de la structure des artères avec une augmentation du diamètre de l’artère carotide et une diminution du diamètre des artères de jambes qui est bien plus importante que ce que l’on avait anticipé ».

Après avoir été alités pendant 2 mois, ces volontaires suivent un programme de réadaptation. Différentes contre-mesures sont testées. Les résultats, encore inconnus, pourraient orienter les médecins vers de nouveaux traitements des maladies cardiovasculaires.

Perte osseuse irréversible ?

Le système artériel n’est pas le seul à trinquer dans l’espace. Les os des astronautes sont aussi mis à mal par l’apesanteur. Au fil de leur mission, l’intérieur de leurs os se détériore. Un mécanisme proche de l’ostéoporose qui intéresse Laurence Vico, directrice de recherche à l’Inserm qui travaille sur les fragilités osseuses.

Les cosmonautes partis dans l’espace passent plusieurs fois dans son scanner haute résolution pour évaluer leur perte osseuse. « Et nous avons eu des surprises. Nous avons observé que des os non porteurs, comme celui du poignet, qui ne présentaient pas de perte immédiatement après le vol commencent à se détériorer 3 mois après le retour sur Terre », a expliqué la chercheuse à Pourquoidocteur. Le phénomène l’inquiète beaucoup, au point qu’elle se demande s’il est réversible.

Cette perte osseuse pourrait s’expliquer par le fait que, dans l’espace, les cellules souches de la moelle osseuse se transforment davantage en cellules graisseuses qu’en cellules qui construisent de l’os. Un lot de ces cellules souches devrait être envoyé dans l’espace lors du vol Space X pour comprendre le mécanisme sous-jacent.

L’impact des rayons cosmiques

Mais il n’y a pas que la microgravité qui peut expliquer toutes ces complications. La part des rayonnements cosmiques ou solaires est encore à déterminer. Une tâche qui incombe au Dr Nicolas Foray, radiobiologiste et directeur de recherche Inserm.

Durant leur voyage dans le cosmos, les astronautes sont exposés quotidiennement à de faibles doses de rayonnement. Bien que la radiation absorbée par les spationautes en mission soit 5 000 fois inférieure à celle d’une séance de radiothérapie ou 10 à 20 fois plus faible qu’une séance de mammographie, elle impacte la santé des astronautes.

Ecoutez...
Nicolas Forey, radiobiologiste et directeur de recherche Inserm : « La radiosensibilité de l'os est encore mal connue mais elle serait plus forte que la peau... »

Un effet qui varie en fonction de la sensibilité de chacun. « Tout est lié à la réparation de l’ADN. L’irradiation va casser l’ADN, mais si les cellules n’arrivent pas à réparer correctement ces mutations, elles peuvent devenir cancéreuses ou mourir. Dans le cas de la mort cellulaire, si plusieurs cellules sont touchées, l’organe peut nécroser », décrit le radiobiologiste à Pourquoidocteur.

Ainsi, l’exposition à ces rayons ionisants est suspectée d’accroître le risque de cancers radio-induits chez les astronautes. « Néanmoins, avec 500 cosmonautes partis dans l’espace, nous ne pouvons pas encore calculer précisément ce sur-risque de cancer », a souligné Nicolas Foray.

Le spécialiste indique, par ailleurs, que les spationautes ont un risque accru de cataracte par rapport au commun des mortels restés sur le plancher des vaches. « Peut-être que le port de lunettes suffirait à protéger les yeux », suppose-t-il.

Ecoutez...
Nicolas Foray : « Pour la cataracte, c'est différent car c'est un liquide... »

A l’heure actuelle, la recherche n’a pas trouvé de textiles ou de traitements capables de protéger les astronautes. Cela doit-il remettre en cause la conquête spatiale ? Et oublier les missions sur Mars ? « Même si le risque de cancers radio-induits est confirmé, on trouvera toujours un astronaute volontaire pour ce long voyage. Mais la société sera-t-elle d’accord d’envoyer un quelqu’un », s’interroge le radiobiologiste.

Une question éthique que semble écarter le projet Mars One qui prévoit de coloniser la planète rouge dès 2023. Plus de 200 000 personnes à travers le monde ont envoyé leur candidature pour finir leur vie à l’autre bout du système solaire.