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Dr Christian Gov

Codéine : restreindre l’accès est une bonne décision

Par Audrey Vaugrente

ENTRETIEN – Pour ce spécialiste de la douleur, la mise sous prescription de ces médicaments permettra de limiter les effets négatifs chez les jeunes et les adultes.

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Face au mésusage, la ministre de la Santé resserre la vis. Ce 12 juillet, Agnès Buzyn a signé un arrêté qui restreint les conditions d’accès à plusieurs substances à visée antalgique ou antitussif. Les médicaments à base de codéine, dextrométhorphane, éthylmorphine et noscapine ne seront désormais disponibles que sur ordonnance.

Il faudra donc passer par le cabinet médical pour obtenir ces traitements. C’était l’une des pistes envisagées par l’Agence nationale de sécurité du médicament. L’ANSM s’était alarmée, en juin, de plusieurs cas graves d’intoxication liés à l’usage récréatif de ces substances.

Avec cette restriction, le ministère de la Santé espère mettre fin à la mode du Purple drank, ce cocktail à base de codéine, d’antihistaminique et de soda prisé des adolescents. Mais pour le Dr Christian Gov, médecin algologue au centre de la douleur du CHU de Lyon (Rhône), cette décision rappelle que la codéine n’est pas un antalgique à prendre à la légère.

Restreindre la codéine est-il justifié ?

Dr Christian Gov : C’est une bonne nouvelle parce que ce médicament, jusqu’ici sans prescription, est potentiellement dangereux. La codéine passe au niveau du foie, où elle est transformée en morphine, quelle que soit son indication. Cela revient donc à donner de la morphine en accès libre.

Tous les médicaments en vente libre ne sont pas sans risque. On peut avoir une hépatite fulminante au paracétamol. Je suis pour l’autonomie des patients, voire l’automédication, mais ils doivent être prévenus des risques.

Ecoutez...
Dr Christian Gov :

 

En quoi la codéine est-elle à risque ?

Dr Christian Gov : Peu de gens le savent, mais nous ne sommes pas tous égaux face à ce médicament. La transformation en morphine ne va pas au même rythme pour tous. Grosso modo, 10 % des patients sont des « métaboliseurs rapides », ce qui veut dire qu’ils transformeront très vite la codéine en morphine. Ils ont alors dans le sang une quantité importante de morphine. Chez 80 % des patients, ce processus se passe normalement. Enfin, les 10 % restants sont des « métaboliseurs lents ». Ils sont très peu sensibles au produit parce qu’ils libèrent la morphine bien plus lentement. Aux centres de la douleur, on est souvent amenés à prendre en charge des patients douloureux et dépendants à la morphine. On a alors des problèmes de sevrage.

Les patients souffrant de douleurs récurrentes risquent d’être pénalisés…

Dr Christian Gov : C’est sûr qu’on pénalise certains patients, mais rien ne leur interdit de voir un médecin pour prescrire. En revanche, il n’est pas normal qu’on puisse délivrer ce médicament à un jeune. Les adolescents ne savent pas ce qu’ils font. Je préfère pénaliser certains patients qui peuvent voir leur médecin et les protéger. Il n’est pas logique qu’un jeune décède avec un produit pharmaceutique.

Quelles sont les alternatives ?

Dr Christian Gov : Les douleurs chroniques concernent quelqu’un qui souffre tous les jours, avec un retentissement sur a vie quotidienne. Ces patients, qu’on voit régulièrement, n’ont pas besoin de codéine. Ce n’est, de toute façon, pas l’indication. Concernant les douleurs récurrentes, il est toujours intéressant de voir à quel type de patient on a à faire. Si un patient souffrant de lombalgies récurrentes me demande de la codéine, cela ne pose pas de problème. On sait qu’ils gèrent bien la molécule. Les autres patients, qui n’ont jamais reçu de codéine, doivent bénéficier de notre prudence.

Faut-il s’inquiéter de la hausse des délivrances ?

Dr Christian Gov : La prescription de codéine correspond à une volonté institutionnelle il y a 20 ou 30 ans. On était les derniers en Europe à prescrire des morphiniques. Le juste équilibre doit encore être trouvé. Mais aux Etats-Unis, c’est l’inverse. Il y a une épidémie de prescription de codéine et de morphiniques sur des pathologies qui ne le nécessitaient pas, et d’addictions qui en découlent.

En France, on ne se situe pas dans la même optique. Même s’il y a une hausse des prescriptions, notre milieu est très sensible à ce sujet. Nous sommes mieux protégés, et nous tirons les leçons de la situation outre-Atlantique.