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Marie-Christine Gryson-Dejehansart

Viols sur mineur : "La victime a besoin d'être entendue par la société"

Par Audrey Vaugrente

ENTRETIEN – Un rapport préconise d’étendre à 30 ans le délai de prescription des viols sur mineurs. Les victimes pourraient alors porter plainte jusqu’à 48 ans.

luislouro/epictura

Le délai de prescription des viols sur mineur doit s’allonger. C’est la conclusion du rapport remis ce 10 avril à la ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, Laurence Rossignol. Il propose d’étendre de 10 ans le délai actuel de prescription. Co-signé par l’animatrice Flavie Flament, victime d’une telle agression, et le magistrat Jacques Calmettes, le document suggère ainsi de porter à 30 ans la période durant laquelle une victime peut porter plainte contre son agresseur. Cette durée commencerait à partir de la majorité de la victime.

Dans les faits, seules une femme victime de violences sexuelles sur dix finit par porter plainte contre son agresseur. Une donnée prise en compte par le rapport, qui préconise aussi d’améliorer l’accompagnement. Cela inclut, notamment, une prise en charge des soins psychiatriques à 100 %.

Mais plusieurs voix, en particulier dans le secteur judiciaire, se sont élevées contre cet allongement du délai de prescription, qui ne serait pas efficace. Marie-Christine Gryson-Dejehansart, psychologue clinicienne et experte judiciaire de 1989 à 2015, décrypte le débat pour Pourquoidocteur.

Allonger le délai de prescription est-il nécessaire ?

Marie-Christine Gryson-Dejehansart : Oui c’est nécessaire car deux cas de figure existent : quand la victime n’a jamais oublié, même adulte, et quand le phénomène de mémoire traumatique intervient. Brutalement, les souvenirs reviennent avec douleur et obligation de faire passer les choses car elles sont insupportables.

J’ai accompagné des victimes qui n’ont jamais révélé leur agression et ont choisi de construire leur vie professionnelle, familiale d’abord. A un moment donné, parce que professionnellement ou affectivement cela ne fonctionne plus, il y a un effondrement.

Dès lors, la victime a absolument besoin d’être entendue par un psy mais aussi par la société, car elle s’est sentie projetée hors de celle-ci suite aux événements vécus dans l’enfance. Mais à l’époque, elle ne les a pas forcément identifiés. L’identification est compliquée pour un enfant, dans un contexte insidieux et tellement incongru. Cette partie de son corps assaillie par un adulte n’a aucun sens pour lui.

Ecoutez l'interview de Marie-Christine Gryson-Dejehansart :


Quels sont les arguments qui s’opposent à cette proposition ?

Marie-Christine Gryson-Dejehansart : Certains psychologues estiment que cela peut être à nouveau destructeur pour la victime s'il n'y a pas de condamnation. Ce n’est pas vrai dans le sens où la victime est prévenue qu’il n’y a pas de preuve. Mais agir par rapport à ce qu’on a subi est extrêmement thérapeutique. C’est intégrer à nouveau un groupe d’appartenance. Et il faut savoir qu’une victime est éjectée de son groupe d’appartenance. Je pense pour ma part que, même sans délai, c’est très intéressant que la victime puisse déposer plainte.

Mais les magistrats sont un peu réticents car cela sera compliqué à juger. Par ailleurs, tout un mouvement anti-victimaire a mis sur pied des théories qui ont été enseignées aux magistrats. Par exemple, le syndrome d’aliénation parentale discrédite la parole de l’enfant. Il vient d’être interdit par la ministre Laurence Rossignol.

30 ans après un viol, les preuves ont-elles le même poids ?

Marie-Christine Gryson-Dejehansart : Quoiqu’il en soit, dans ce type d'affaires il n’y a pratiquement jamais de preuves. Pour obtenir des empreintes ADN, il faut que la personne soit prise sur le fait, ce qui n’est jamais le cas. Même les preuves anatomiques sont discutées par les avocats de la défense. Certains présentent des arguments médicaux, concernant des fissures anales qui seraient causées par une constipation, par exemple.

Ou bien les preuves sont des photos ou des vidéos. C’est extraordinaire quand on les obtient. Au cours des dernières années, les seules affaires concernant des mineurs qui sont allées jusqu’aux assises étaient accompagnées de ce type de preuves. Ce qui compte énormément, c’est l’expertise psychologique et psychiatrique de la victime. Car si l’auteur n’avoue pas, il n’y a pas de preuve dans la majorité des cas.

La situation des mineurs est-elle particulière ?

Marie-Christine Gryson-Dejehansart : Les viols sur mineur constituent une situation différente. L’agression est très difficile à identifier pour un enfant. La prise en compte de sa parole doit être protégée, entendue avec précaution. Pour ma part, j’ai 47 critères d’investigation, sur le contexte, le discours de l’enfant et sa compatibilité avec son âge, son intelligence… Il faut être extrêmement formé pour identifier la plausibilité du discours par rapport au trouble de l’enfant. Les psychothérapeutes ont beaucoup plus d’éléments que les experts judiciaires, mais leur déontologie leur interdit de parler. C’est dommage. Il faudrait qu’ils puissent être dégagés de cette obligation, avec l’accord de la victime, pour apporter ces éléments devant les tribunaux.