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Santé publique

Les victimes de l'amiante veulent garder leur juge

Par Afsané Sabouhi

Dans une lettre ouverte à la ministre de la Justice, l’association des victimes de l’amiante réclame le maintien en poste de Marie-Odile Bertella-Geffroy, la juge en charge dossier depuis 10 ans.

Marie-Odile Bertella-Geffroy est en charge dossier de l\'amiante depuis 10 ans (DURAND FLORENCE/SIPA)

26 février 2013. A cette date, la juge d’instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy, vice-présidente du pôle de santé publique du Tribunal de grande instance de Paris, devra quitter ses fonctions. Une loi de 2001 limite en effet à 10 ans les fonctions d’un juge instructeur dans une même juridiction. Mais ce changement de poste annoncé suscite beaucoup de contestations.

Du sang contaminé aux conséquences des essais nucléaires français en passant par le Distilbène, une grande partie des scandales sanitaires de ces dernières années a été instruit par cette magistrate. L’instruction fleuve autour de l’amiante, ouverte il y a 16 ans, représente plusieurs dizaines de mètres cubes de dossiers dans son bureau. L’association des victimes de l’amiante, l’Andeva, qui désespère de voir se tenir un jour un procès au pénal, craint ni plus ni moins l’enterrement de l’affaire en cas de changement de magistrat. D’autant qu’aucune transmission de ces dossiers complexes n’a été anticipée. « Ce serait une véritable démolition d’un dossier sur le point d’aboutir enfin, un gâchis absolu de temps et de travail pour un éventuel nouveau magistrat qui aurait à refaire tout l’historique », affirme Me Jean-Paul Tessonière, l’un des avocats de l’association.

 

Ecoutez François Desriaux, vice-président de l’Andeva : « S’il y a un nouveau juge sur le dossier, les prévenus seront morts avant que se tienne le procès ».


 

L’Andeva a donc adressé ce jeudi une lettre ouverte à la ministre de la Justice, Christiane Taubira, pour lui demander « de maintenir la juge dans son poste et de lui affecter les moyens indispensables pour que l’instruction puisse être terminée avant la fin 2013 ».
Pour l’Andeva, pour le syndicat FO-Syndicat national de la magistrature et pour la magistrate elle-même, la loi des dix ans ne devrait pas s’appliquer dans son cas puisque sa prise de fonction y est antérieure. La juge a d'ailleurs écrit à François Hollande et Christiane Taubira combien elle souhaitait conserver ses dossiers, évoquant la possibilité d'aller jusqu'au contentieux si ce retrait de fonction se confirmait. Pour le secrétariat général du gouvernement en revanche, ce n’est pas la prise de fonction de la juge d’instruction mais sa nomination au poste de vice-présidente en février 2003 qui justifie que s’applique la loi, entrée en vigueur au 1er janvier 2002.
Le ministère de la Justice a donc indiqué à l’Agence de presse médicale que la juge Bertella-Geffroy serait automatiquement déchargée de ses fonctions fin février et que deux ou trois juges devraient être nommés à sa place pour terminer le dossier de l’amiante.

 

Ecoutez François Desriaux : « On va utiliser des arguties juridiques pour virer manu militari la seule juge qui se préoccupe du dossier ! »


 

« Une décision politique »
Dans sa lettre ouverte à la garde des Sceaux, les mots de Pierre Pluta, le président de l’Andeva, sont tout aussi directs. « Les victimes ne sont pas dupes ! (…) La décision que vous prendrez à propos du maintien ou non dans ses fonctions de Madame Bertella-Geffroy n’est en rien une décision dictée par la loi. C’est une décision politique ». La décision définitive revient en fait à François Hollande car c’est un décret du Président de la République qui devrait mettre effectivement fin aux fonctions de Mme Bertella-Geffroy. « Je veux croire que les promesses sur la nécessité de mener le procès à son terme qui ont été faites aux victimes par les responsables socialistes lorsqu’ils étaient dans l’opposition seront tenues », souligne leur avocat.


« Le naufrage de l’affaire de l’amiante »

Entre temps, la donne politique a changé. Martine Aubry, l’ex-patronne du Parti socialiste a été mise en examen pour homicides et blessures involontaires par la juge Bertella-Geffroy le 6 novembre dernier. La maire de Lille est poursuivie en tant qu'ancienne directrice des relations du travail au sein du ministère du Travail entre avril 1984 et septembre 1987, période pendant laquelle une directive européenne concernant la protection des travailleurs exposés à l’amiante aurait tardé à être transcrite en droit français.
« Pour nous, l’éventuel défaut d’action de Mme Aubry est accessoire par rapport à l’action déterminée des industriels. L’affaire de l’amiante, ce n’est pas l’affaire Aubry », insiste Me Teissonnière. Dans l’attente de la décision présidentielle qui pourrait intervenir avant la fin du mois de février, l’avocat de l’Andeva se refuse à voir un lien entre la mise en examen de Martine Aubry et le retrait de fonction de Marie-Odile Bertella-Geffroy.
Il préfère souligner les coïncidences de calendrier peu flatteuses pour la justice française. Février 2013 pourrait marquer « le naufrage de l’affaire de l’amiante » en France tandis que de l’autre côté des Alpes s’ouvrira le procès en appel des dirigeants de la société Eternit, condamnés en première instance à 16 ans de prison ferme et de lourdes indemnisations.