Il y a d’abord eu le célèbre "chambre à part", avec pour credo chacun dans son lit. Et pour avantages revendiqués : la liberté ensemble, la paix du couple sans les petits ennuis nocturnes (ronflement, pieds qui remuent, chaleur…), le plaisir de se retrouver certains matins pour des rendez-vous amoureux, les textos d’une chambre à l’autre, le romantisme retrouvé…Bref, une vraie relation intime sous le même toit, mais avec des petites bulles de liberté.
Il y a bien sûr eu le « chacun chez soi ». Cette fois, les bons moments sont ceux passés ensemble en week-end ou en vacances. Les avantages revendiqués de ce mode de vie : la liberté ensemble, avec plus d’indépendance et une gestion du temps différente. La paix du couple sans les petits ennuis ( le quotidien qui mine, la routine qui ennuie, les enfants qui s’additionnent en cas de famille recomposée). L’esclavage de la domesticité auquel on échappe ( surtout pour les femmes qui se lancent dans un nouveau couple). La nécessité ( on travaille dans une autre ville et on se retrouve le week-end). Enfin, la préservation du désir à tout prix… Mais soyons honnêtes, selon l’INED (1), c’est loin d’être la motivation première, peu de gens revendiquent l’idéal de Sartre et de Beauvoir.
Il y a même ceux qui prennent leurs vacances séparément. Après tout , pourquoi ne pas franchir allègrement le pas ! Arguments pour : la liberté tout court, le besoin d’oxygène. Mais quand même, déplorent les adeptes du full-contact , autant se séparer ! Si on ne prend même plus ses vacances ensemble, alors que reste-t-il de la chaude complicité du couple ? Des échanges qui rapprochent ? Des loisirs qui soudent ?
On ne s’emballe pas ! Personne ne prétend qu’il faut prendre toutes ses vacances sans l’autre. Non, la proposition est habituellement beaucoup plus modeste et raisonnable. On se contente de quelques week-ends disséminés ça et là pendant l’année avec les copains de promo ou de sport, d’une petite semaine en solo au ski, d’une virée en bateau pendant quelques jours… Pas de quoi fouetter un chat. Et ça fonctionne très bien ! Pas seulement dans les milieux bohèmes, intellos ou artistiques. Chez les couples « tradi » aussi.
Pourquoi ça marche ? Parce qu’on le sait tous, l’identité du couple ne se résume pas à un copié/collé de chacun des deux partenaires qui serait superposable. Ni à une fusion viscérale et improbable. Chacun a besoin d’affirmer son propre espace et ses besoins. Chacun à besoin de décompresser. D’être étranger à lui-même et à son couple. De s’étonner et de se renouveler. De sortir des sentiers battus. D’élargir l’horizon. De faire le point.
Et miracle, une simple absence de quelques jours permet tout cela. L’éloignement apporte le bonheur de se retrouver, exalte le désir, offre au couple l’occasion de se redécouvrir et de partager l’expérience vécue loin de l’autre. Le psychiatre et thérapeute de couple Serge Hefez le dit très bien dans La danse du couple. Les couples ont besoin de redéfinir en permanence la « bonne distance » et la ligne de partage de l’autonomie. « Un pas en avant, un pas en arrière, un pas sur le côté, les couples ne cessent de danser une espèce de tango pour réguler ce qu’ils mettent dans le pot commun et ce qu’ils gardent pour eux, de leur vie personnelle ». Ce réglage permanent de la bonne distance permet de réguler les crises et de les éviter souvent.
Rien de tout cela n’est toutefois possible sans confiance en l’autre et en soi. C’est ce qui advient quand la relation est mature, quand les années vécues ensemble garantissent l’absolue certitude d’une fidélité d’âme et de sentiments.
Laisser à l’autre la liberté de partir se ressourcer loin de soi, c’est aussi être capable de ne pas se sentir abandonné ni exclu par lui. C’est avoir conscience, qu’à soi tout seul, on ne peut être totalement « suffisant » pour combler le désir de l’autre. C'est être persuadé que le plaisir pris ailleurs par son conjoint ne nous enlève rien et qu'il enrichit la relation du couple. C'est compter sur sa propre richesse personnelle et ne pas tout attendre de la relation conjugale.
L’exercice a une dernière limite, il doit rester équilibré. Se séparer trop et trop souvent, c’est un signe d’alerte, un SOS qui révèle qu’on ne partage plus grand-chose ensemble. Qu’on ne danse plus le même tango. Tandis que se séparer un peu, c’est le pas de côté qui permet de mieux danser ensemble.
(1) Institut national d’études démographiques